Cristina Moscini

26 févr. 20233 Min

« Penses-tu être capable de recommencer ? »

« Penses-tu être capable de recommencer ? »

C’est une question que je me suis fait reposer récemment, et qu’on m’a posé dès le début de ma sobriété, ça, à savoir si j’allais pouvoir recommencer à consommer un jour.

Mis à part les quelques « ça toffera pas » et « tu vas orcommencer » qu’on essuie de grâce quand on est une alcoolique notoire se frottant à quelques sceptiques rébarbatifs, l’angoisse flottante de quand est-ce que notre sabbatique de bouésson va fenir par finir reste des plus intrigantes, pour les ceusses qui continussent.

Certains chamans de la sobriété proposent de se dire « j’arrête pour aujourd’hui », pour ne pas affronter de pleine face le « je ne consommerai plus jamais une goutte d’alcool de toute ma vie ». Et si ça fonctionne, si ça permet d’avancer, tant mieux.

Pour moi, il est clair que je ne veux pas y retourner, j’y ai fait mon dernier Bye Bye, c’est fini final bâton, hin-hin, comme Dominique Michel… au Bye Bye (vous deviez être vivant dans les années ’90 pour comprendre cette référence, autrement, sautez directement au prochain paragraphe).

J’aime aussi la façon dont la question nous est posée : « Penses-tu être capable de recommencer ? » Être capable.

C’est certain que je ne suis pas capable, c’est comme ça j’ai obtenu mon écusson d’alcoolique !

Si j’étais capable de prendre un verre, j’en serais pas là aujourd’hui. Ne pas être alcoolique, je serais probablement en train de préparer une bolognaise végé, les totons gentiment dins chaudrons, en sirotant la même damnée coupe de Malbec toute l'apré-midi, en allant nourrir mes chats rescapés puis en finissant mon bénévolat hebdomadaire, dans une vie écoeurante d’équilibre fin et d’estime personnelle toujours nivelée. J’aurais probablement d’autres problèmes, moins colorés que celui de l’alcoolisme, cela dit. On dira ce qu’on voudra, c’est nous qui avons les plus rocambolesques histoires à raconter autour d’un feu de camp. (et parfois pas, mais bon, tout de même, chacun sa marde disait Marc-Aurèle.)

Quand j’ai rassemblé des témoignages dans mon Guide du Nouveau Sobre (en ligne ICI), une des personnes disait avoir recommencé à boire quelque part après une sobriété complète de quelques années. Mais comme sa vie, ses habitudes, son travail et son environnement avaient changé, ce n’était plus un problème pour elle.

Est-ce que c’est accessible pour tout le monde ?

C’est certain que la sobriété prolongée va occasionner des changements positifs dans la vie d’une personne dépendante. En sobre, on a tendance à se déraciner de ce qui nous est toxique, et on peut se rebâtir une vie et des meilleures habitudes ailleurs. Est-ce qu’on est à l’abri de la dépendance, une fois qu’on s’est « corrigé » le mode de vie ?

Dans mon cas, non. Et dans plusieurs cas, j'estime ça dangereux. Mais est-ce que ce serait le cas pour toutes les substances ?

Si quelqu’un avait une dépendance plutôt aux drogues, est-ce que le verre de vin au souper serait inoffensif ? J’ose pas me prononcer. Moi, j’étais plus boisson que autres substances, est-ce que ça voudrait donc dire que je pourrais me permettre une poffe du joint qui circule ? Je sais pas, mais j’essaierai pas juste pour voir. Je veux pas prendre ce risque, je ne touche à rien qui pourrait m’altérer l’esprit car je sais que je suis une maudite. J’ai pogné la grippe avec fièvre délirante l’hiver passé, et mon cerveau d’aimeuse de buzz a souhaité pendant un instant que cette grippe reste encore quelques jours de plus, car l’étourdissement de la fièvre me rappelait l’ébriété ! Si ce n’est pas être une crisse, je ne sais point ce que c’est.

Alors je suis assez studieuse, voire téteuse, ayant banni tout, même la mélatonine. Je checke les posologies sur mes vitamines, d’un coup que je me claque une accoutumance au magnésium. Peut-être est-ce pathétique, cette fiévreuse guerre contre tout ce qui altère les sens comme les nerfs, mais c’est que je sais, dans mon for intérieur, que cette bête à qui j’ai coupé les vivres il y a presque trois ans, est faible, mais pas morte décédée, incinérée.

Et comme je n’ai pas le goût de lui financer un sequel dans ma vie rendue pas trop mal du tout, je continue de lui être sévère. C’est du tough love, comme on dit chez les Anglais, mais du love pareil.

Il existe certainement un débat sur la sobriété, le California Sober (texte ICI), est-ce que quelqu’un qui s’abstient maintenant de tout mais qui prend des dérivés de marijuana serait considéré sobre ?

Ultimement, je pense que peu importe où on penche, on peut tous se rencontrer à l’intersection que chaque dépendant se protège de ses démons comme il peut, et que le mieux est de ne pas retourner à sa consommation d’avant.

Si vous êtes en début de sobriété, lâchez pas, et si vous êtes de plus en plus vétéran, lâchez pas non plus ! Joyeuse fin de février.

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