Quand j’ai vu passer il y a quelques semaines de ça des t-shirts avec le visage d'Horacio Arruda, et l’engouement pour les tartelettes portugaises, j’ai su que quelque chose allait de travers. Les gens étaient donc pressés d’enthousiasme pour… un représentant gouvernemental. Pas un chanteur rock. Un politicien, vivant. Qu’on célébrait à coups de Hourra ! (Hourracio ?)
Je savais que quelque chose allait aller de travers pour plein de raisons, et l’une d’elles est qu’il est impossible presque de vivre à la hauteur des standards d’une population comme la nôtre qui a une faim inassouvie de héros. La faim d’un peuple qui a besoin d'une figure de père puissant, d'intouchable, de hauteur de figures de dieux presque. Mais pour tomber de haut, il faut d’abord avoir été élevé, et soulevé.
Le jugement à l’ère numérique remplace la place publique d’autrefois, là où on faisait les pendaisons, où on guillotinait les traitres, où on mettait au pilori les criminels, pour qu’on puisse leur lancer des tomates et des choux avariés. Mais d’où ça peut nous venir ?
De un : Ce besoin humain d’adoration de quelque chose ou quelqu’être divin, au delà des lois naturelles, d'ériger en notre esprit un être qui possède une sorte de vérité, de pouvoir. En échange de ce savoir ou de ce talent qu’on lui accorde - ou qu’il nous partage, on lui voue un culte et une importance, souvent accompagnés d’un généreux salaire et d’un espace copieux dans les médias. Ce qui va redorer sa pertinence et faire tourner la manivelle.
De deux : C'est un besoin humain aussi que de vouloir s’exprimer et de déchanter ouvertement dès que cette figure ne fait plus notre affaire. Les dieux païens des moussons passées sont crissés dans le feu, et on sacrifiera de nouvelles vierges à la prochaine saison, et ce, jusqu’à la fin de l’humanité. La sacralisation éphémère, l'inétanchable soif de zeus (et zeusses) dernier cri.
Pour en revenir au docteur Arruda. On l’a élevé au rang d’idole, pour ensuite l'honnir à cause d’une vidéo de danse. Vidéo certes insensible de sa part selon les circonstances, mais je crois qu’il ne faisait que répondre à la demande générale d’un public qui hurle au divertissement pendant le confinement. Donc un Québec qui réclame le punchline, mais qui s’offusque après de la vacuité de la joke.
Cet incident-là m’a rappelé que ce n’était pas la première fois dans l’histoire où on voyait une personnalité publique prendre du plomb dans l’aile pour un faux pas (de danse), mais qui peut aussi être un tweet, un changement de cap, une citation du passé.
L’an dernier, l’humoriste et acteur Kevin Hart a perdu sa gig d’animation aux Oscars non seulement car on avait trouvé un tweet de lui d’allusion homophobe qui datait de 2013, mais surtout parce que sur le coup il avait refusé de présenter des excuses publiques. Il avait alors réclamé la liberté d’expression.
Autre exemple, James Charles le jeune youtubeur-maquilleur-prodige devenu star mondiale du web suite à sa photo de graduation où il était maquillé avec moult fards, rouge et gloss – photo qui lui avait décroché le contrat de premier porte-parole masculin de Cover Girl. James a perdu la moitié de ses sponsors et plusieurs millions de ses jeunes abonnés en quelques heures à peine, en gros parce qu’il aurait profité de ses privilèges et double-crossé la mauvaise personne, soit la maquilleuse qui l’avait pris sous son aile à ses débuts. On lui a fait un procès public, on l’a #cancellé, pendant une courte période dont il lui a été difficile, mais pas impossible de se relever. Et ça s’est fait à coup de plusieurs vidéos d’excuses.
C’est ce qui est arrivé aussi avec Kevin Hart, qui lui s’est dégoté un contrat de série documentaire sur Netflix, où on le voit avec sa femme, sa famille dans la vie de tous les jours. Pour permettre de le réhabiliter, de l’humaniser à nouveau.
C’est là le danger de notre époque : Élu par l’image, détruit par l’image. Puis reconstruit par l’image.
Si c’était en 2020 que Tiger Woods avait trompé sa femme, à mon avis il n’aurait pas tant perdu de contrats ou dû annuler autant de tournois. À la place, on aurait droit à du hashtag #CancelTigerWoods pendant un bon deux semaines. Il aurait ensuite émis une vidéo de pardon sur Twitter, aurait été invité à des talkshows, des podcasts pour s’excuser de tromper autant sa femme avec des guidounes, et du même souffle annoncer son don généreux et charitable pour l’ouverture d’une école de golf pour p'tits enfants pauvres qui peuvent pas jouer au golf.
Si vous êtes un ou une crotté.e célèbre à l’écoute qui a le goût de faire un statut raciste ou d’aller se masturber au parc, ou de faire quelques pas de danse en temps de pandémie, j’ai la solution pour vous réhabiliter, soit l’excuse en sandwich : la bonne action médaillée – le mea culpa – et la promo en clôture. Ça se voit dans le domaine artistique, chez les athlètes, et dans la sphère politique. Je récite un exemple crée de toutes pièces ici, mais qui peut sonner comme déjà tellement entendu. Donc ça donne :
«1. Mes chers 18 millions d’abonnés à ma chaine YouTube où je publie à chaque jeudi une nouvelle recette. J’ai le plaisir depuis 2001 (mettons) de mettre de l’avant les produits québécois dans mon travail qui s’est vu récompensé plusieurs fois de la médaille du mérite mondial de l’Ordre de Sœur Angèle-de-la-Sauce-à-Spag'. 2. Aujourd’hui je prends parole pour m’excuser des propos que j’ai tenu sur le décolleté de Mitsou Gélinas en 1994. J’ai utilisé l’expression ‘faire monter la béchamel’ à mauvais escient. Je suis absolument désolé que vous l’ayez entendu. Rappelez-vous que je suis un homme de famille et que vous me devez ce respect qu’on accorde aux figures qui respectent en façade les codes de la société qu’on dit morale. 3. Dorénavant, je vise un avenir meilleur et c’est justement ce qu’il est question dans mon nouveau livre de recettes « Mille et une frites-sauce » par Chef Ragoût où 10% des profits iront à la Fondation des gars qui peuvent pas se retenir devant une belle grosse paire de boules du Québec, en librairies le 8 juin prochain ! Utilisez le code promo #GROSDJOS».
Donc en terminant : Comment on s’en sort ? On vit dans une ère où l’ascension publique vient très (trop ?) rapidement. Et avec la reconnaissance et la visibilité médiatique, souvent vient l’impunité morale. Mais cette ascension reste fragile. À défaut des lois, le public, le peuple garde cette peur d’en fait adorer un monstre caché, ou un mauvais dieu. Rappelons-nous que la plus grande punition de la gloire ne serait pas le châtiment du jugement public, mais bien de tomber dans l’oubli.
Et pour finir, le service que nous pouvons nous rendre en tant que membres de la société, est de cesser immédiatement de louanger ces personnages dits publics. Cesser de les élever au rang de divinités pures, de les glorifier jusque dans les #tartelettes, même si c’est ironique. À canoniser des êtres de leur vivant, on ne peut qu’être déçu et finir dégouté de la race humaine.
En livre audio :