Cet été, on a eu droit dans l’actualité à la nouvelle la moins grunge de l’histoire, soit « le bébé de Nirvana », littéralement le bébé nu figurant sur la pochette du fameux-tissime album Nevermind sorti en 1991, qui poursuit en cour les anciens membres du groupe et le leg de Kurt Cobain, pour pornographie juvénile.
Les chemises en flanelle se sont déchirées sur l’autel du rock and roll, et des milliers de fans dans le monde ont rapidement repris la nouvelle en se portant à la défense du groupe.
Internet étant internet, on en a fait des blagues retweetées, des memes, des gifs, et des enquêtes personnelles où en est ressorti pas moins de 4-5 occasions où le bébé, une fois grandi, a recrée pour différents magazines le fameux shooting photo sous l’eau, mais habillé à chaque fois. On s’est même insurgé que le petit bonhomme de maintenant 30 ans, ait le mot « Nevermind » de tatoué en grandes lettres bord en bord du chest.
On ne peut qu’imaginer l’attention en mal ou en bien, mais aussi l’adoration, l’effet ou l’envie que cela a pu faire dans de nombreux partys « Oui, Marie-Meghan, c’est moi le bébé de Nirvana ! » et les filles folles d’émoi s’enfargeant dans les lacets de leurs Docs Martens en accourant pour aller sucer dans des toilettes cools pleines de graffitis cools le Kurt by proxi qui porte les mêmes cheveux longs et blonds et cools. C’est presque comme si.
Un tweet m’est resté à l’esprit : « Ce gars a mal calculé ce que ce serait de passer d’être ‘le gars sur la pochette de Nirvana’ à ‘le gars qui poursuit Nirvana’. » Pas mal moins cool et branché, mettons.
Certes, à l’aide d’exemples comme les entrevues et shootings photos répétés et le choix de tatouage, on peut broder une conclusion que le ti-gars ne détestait pas l’attention encourue suite à son célèbre zouiz sous-marin imprimé en millions de copies laser. Mais est-ce vraiment ça ?
Un bébé chassant un dollar qui devient… un bébé chassant un dollar.
Le gros de la plainte judiciaire tient sur le fait que le bébé nu chasse un dollar hameçonné sous l’eau, faisant de lui un travailleur du sexe, de là découlerait l’idée de la pornographie juvénile.
La petite fille de Coppertone™️ aurait peut-être son cas elle aussi. On dit que l’art, c’est subjectif. Le plafond de la chapelle Sixtine contient plus de bizounes que mon agenda scolaire de secondaire 4. Les chérubins sur les boîtes de chocolat de Saint-Valentin ont le zouiz sorti et au vent.
Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que la pornographie ? Quand est-ce que l’un devient l’autre ?
Apparemment, pour le ti-bebé Nirvanien, ses parents auraient donné consentement au photographe pour l’album, mais le bébé n’aurait pu consentir à cause de son âge. Pourquoi alors ne poursuivrait-il pas ses propres parents de l’avoir pimpé ainsi ? Dans cette optique, les parents seraient accusés de proxénétisme, le photographe de créateur de contenu pornographique juvénile, le groupe, de diffuseurs de pornographie juvénile et les millions de fans ayant acheté l’album, le t-shirt, le porte-clé à l’effigie de Nevermind depuis trente ans, des consommateurs de pornographie juvénile… Judiciairement, ce serait ça le raisonnement. Ainsi, si vous avez l’album chez vous ou le poster sur votre mur, vous seriez vraisemblablement en litige de délit sexuel.
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L’issue de ce conflit n’est pas encore dévoilée, mais ça peut certainement créer un précédent artistique quant à l’utilisation de modèles mineurs, et aussi questionner sur le pouvoir sexuel accordé aux parties du corps exposées.
J’en arrive aux bretelles spaghetti…
La nouvelle Nirvanienne fut bouleversante pour plusieurs, car, la blessure est encore présente au cœur des fans du groupe du départ précipité de son chanteur et compositeur. La nouvelle aurait été toute autre si ce n’était pas un groupe phare d’un mouvement aussi fort et iconique de la musique. Mettons qu’un ancien bébé nu poursuit un album de flute de pan vendu à 47 copies dans un centre d’achats, tout le monde s’en serait crissé. Mais ce fut bouleversant de se faire dire que quelque chose que l’on croyait inoffensif, comme l’anatomie d’un nourrisson puisse être potentiellement de la pornographie. Et susciter de la charge sexuelle.
Mes esties de bretelles…
En 2001, dix ans après bebé-Nirvnirv’, un surveillant de corridor m’a empoigné par le bras alors que je me rendais à mon cours. Il m’a traîné sans rien dire jusqu’à un bureau où m’attendait une directrice et 5-6 autres adultes attablés. « J’en ai trouvé une autre » qu’il leur a dit avant de de me lâcher en pâture et sortir. La directrice, que je n’avais jamais rencontrée auparavant, me demande en ne desserrant pas la mâchoire « Tu dois savoir pourquoi tu es là ? ». « Non », que je lui dis. « Ton t-shirt est trop serré et trop court. On voit la cambrure de tes hanches et la courbe de ton sein. » Moi, j’ai 13 ans, je me suis jamais fait parlé de ma shape de même et je suis un peu déçue que ça vienne d’une vieille madame et pas de Leo Di Cap’, mais bon… En bref, on me somme d’aller chez moi me changer parce que mon gilet est distrayant. Et brave teenage puberte moi, du haut de ses 13 ans répond : « En passant, y a personne à part vous qui m’a fait de remarques sur mon gilet. Peut-être que vous pourriez penser à ça… ». En gros, on impose une charge sexuée à ce qui ne l’est pas, ou pas encore, genre.
T-shirt, jupe, camisole à bretelles spaghetti…
Combien de filles dans les vingt ou trente dernières années se sont fait et se font encore revirer de bord pour « ne pas distraire », parce que nos corps d’adolescentes « suggèrent le sexe », selon les adultes. What is wrong with y’all pervs’ ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous, mes cochons ?
Et je bouclerai ça avec le bébé de Nirvana…
Qu’une ado se promène en crop top, qu’un fan achète l’album Nevermind avec un bébé nu, y a un monde, c'est certain. À quand et à qui de dire qu'est-ce qui est de la pornographie, et quelles sont les véritables ressources dans ce temps-là, est un autre questionnement, aussi troublant.
[Gracieuseté, mon moi ado, hanches à l’air en train d’affoler le Carré d’Youville, colorisé.]