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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Des morts moteurs

Je m’excuse d’avance pour le noir du cynisme dégoulinant de mes phrases.


L’injustice n’existe pas que devant témoins. L’horreur existe sans frapper la pellicule. Will Smith a célèbremment tweeté « Racism is not getting worse, it’s getting filmed ». Dans le cas de George Floyd et de Joyce Echaquan, des preuves vidéos du racisme mortel qui les a tué.


On s’émeut, on s’indigne, on met un filtre sur la photo de profil, on partage un joli dessin-hommage, on manifeste dans les rues. Avec raison, on secoue les instances pour que justice arrive pour ces criminels, même sur le tard. Et c’est long. Pour faire arrêter les quatre policiers américains impliqués. Pour faire renvoyer l’infirmière puis l’aide-soignante. Mais rien pour Breonna Taylor.


Mais rien pour tant de victimes qui ont payé de leur vie sans être immortalisés dans la perte de leurs droits jusqu’au dernier moment, dans leur perte de dignité reprise comme élément contondant, pour instrumentaliser la révolte populaire.


C’est dur de manifester pour des victimes sans visage, sans nom. C’est difficile, au niveau de la loi, de comprendre, et d’avouer les violences subies par une partie de la population, du haut de leurs tours barricadées. C’est dur, pour un chat, de comprendre que c’est pas correct de faire pepi sur le tapis si on ne lui met pas la face devant sa flaque d’urine. C’est difficile pour un peuple d’accepter qu’on soit tous complices des mauvais traitements perpétués.


Chaque instant où on ne met pas à feu et à sang les institutions gouvernementales, chaque minute ou on ne révolutionne pas le système d’éducation, chaque seconde où on ne fait pas rouler la tête des riches pour redistribuer les richesses, on acquiesce doucement ce qui est en train, et continue d’arriver. L’inégalité. L’horreur.


Reconnaître le racisme systémique aurait été la moindre des choses. On lisait, il y a quelques mois, « qu’on est chanceux que les premières nations veulent seulement réparation, et non vengeance ». Imaginez des centaines d’années de droits brimés. Imaginez les centaines de Joyce depuis les années 1970 dont on se fiche, mené par une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues, assassinées, sans grand résultat. Avec un climat de complaisance médiatique.


Imaginez les préjugés, les quolibets, imaginez les opportunités qu’on vous enlève quotidiennement depuis la naissance jusqu’à votre mort de par la couleur de votre peau. De génération en génération. De l’injustice à longueur de vie. À courteur de mort. 8 minutes 46. 7 minutes 12, comme le relatait Isabelle Hachey dans La Presse.


Imaginez ensuite la férocité de la révolte contre le port d’un bout de tissu sanitaire pour quelques mois.


Les efforts ne sont pas mis à la bonne place.


« Mais ça ne me touche pas moi ». On s’insurge contre ce qui nous touche personnellement, c’est humain. Les agresseurs et misogynes décident de se révolter contre les victimes de viol qui dénoncent. Les milliardaires se scandalisent de l’augmentation du salaire minimum. Les compagnies de gaz contre les pistes cyclables. Les Will E. Coyote contre l’émancipation des Road Runner. Les anti-masques probablement bien fiers de manifester contre quelque chose pour la première fois de leur vie où on leur a dit « non ».


Ce serait humain de s’insurger pour ce qui se passe au-delà de notre carré de gazon. La planète est en feu, mais on prend le temps de se tuer pareil. Les couleurs en premier. On attend de leur mort qu’on fasse bouger les choses. Le culot d’accrocher une responsabilité à ceux qui en ont périt. En faire des symboles, des leviers temporaires. Des morts moteurs.


On n’a pas besoin de d’autres séquences filmées.

On n’a pas besoin de démonstrations plus claires.

C’était très clair depuis longtemps déjà.


Et l’inaction que l’on permet est sans équivoque.


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