Terme combinaison des raccourcis kara du mot japonais karappo (qui veut dire « vide »), et oke de orchestra (« orchestre »), ce qui peut signifier que le chanteur n'a pas besoin qu'un orchestre soit présent pour chanter...
Ces jours-ci, c'est la loi que le karaoké n'a pas de son côté.
Dans le texte de Rima Elkouri publié dans La Presse, elle dit : « Après une première vague qui s’est révélée cruelle et éprouvante, si on se dit que l’éducation, c’est important, si on se dit que l’école doit rester ouverte le plus longtemps possible, ce n’est peut-être pas exactement le moment de contribuer à une éclosion et de risquer la fermeture d’une école pour faire respecter son droit inaliénable de chanter faux « Y’a de l’amour dans l’air » dans un karaoké.»
On renchérit ensuite comme quoi les élèves et l'éducation, c'est noble, et que les bars à tour de chant, c'est pas nécessaire, futile, dérisoire.
Je sais pas.
J'en ai animé et j'en ai vécu des karaokés.
J'irais pas jusqu'à dire que c'est inutile.
Ça paraît insignifiant de même. On s'imagine mon alter ego de DJ Patricia, perruque et boules scintillantes sorties, se promener entre les tabourets en encourageant les Nicoles et les Jean-Claude à s'époumoner sur du Laurence Jalbert ou Joe Dassin, on a le goût de rire.
Regarde comment ils sont caves.
Jusqu'ici c'était inoffensif. Maintenant, ces mêmes personnes, toutes nommées dans le cas de l'éclosion au bar Kirouac de Québec lors de la fameuse soirée karaoké, sont vues comme le patient zéro d'un mal immonde ou encore le méchant à la fin de 12 Singes.
Pas de se questionner si oui ou non c'est irresponsable comme comportement (d'autres tribunes s'en chargent déjà merveilleusement, et le gros bon sens aussi), mais plutôt illustrer ici qu'est-ce qui pousse l'envie irrépressible de sortir pour aller chanter, après six mois de pandémie, où le fun a souvent été confiné.
Le karaoké, comment je le vois et l'ai vécu, c'est le chant d'un village, le cri d'un quartier, la couleur d'un premier du mois, l'ivresse des heures qui avancent mise sur des notes.
J'ai vu du karaoké faire du bien à des gens qui ne sortent pas. J'ai vu des aînées chanter Edith Piaf avant de retourner dans leur 1 et demi, après avoir tété patiemment leur coco-cognac en attendant le micro.
J'ai vu un Marcel à qui la vie a pas fait de cadeau chanter une version de Les portes du pénitencier qui aurait faite orgarder à terre Johnny Hallyday.
J'ai vu aussi une madame se vomir sur le coton ouaté au Dauphin sans broncher. C'est aussi ça, là-bas, les premiers de mois, quand tu as du karaoké 7 soirs semaine.
J'ai vu des gens gênés se dégêner. Des waitresses rauques and roll hurler Les soirs de scotch à Luce Dufault, entre deux tournées de shooters sur leur cabaret collant de Stinger.
J'ai vu des jeunes gars drogués chanter Les boys d'Éric Lapointe plus que trois fois dans la même soirée, en trouvant chaque fois confréries de chummys et pichets à partager.
J'ai vu des couples ensemble depuis 45 ans chanter Islands in the stream de Dolly & Kenny, bras dessus, bras dessous, comme de jeunes amants en première date.
J'ai vu des Dianes qui ont déjà vu neiger me serrer dans leurs bras les yeux mouillés après que j'aille chanté du Corbeau "comme Marjo".
J'ai vu Bohemian Rhapsody se faire massacrer trop de fois par des bandes d'amis au zénith de leur soirée, cellulaire brandi et gorge déployée devant de futurs souvenirs.
Photos prises pré-covid au Rond Coin de Saint-Élie-de-Caxton.
Avant de crier sur nos tribunes numériques comment tous les chanteurs d'un soir sont des caves, des irresponsables, on peut aussi se poser la question : Pourquoi on sort dans les bars alors qu'on peut boire à la maison ? Pourquoi on va au resto alors qu'on peut manger une poche de gruau à 0,47$ la portion ? Pourquoi refaire le monde en écumant les fonds de tavernes sur des banquettes spatiales, stellaires, bien que vissées entre le baril de peanuts et les machines à sous, alors qu'on pourrait s'empêcher de rêver ?
On sort pour trouver autre chose, un contact. Fatal, en temps de pandémie, certes. Mais une communion presque pas trouvable ailleurs.
Les communautés et fraternités des Anonymes font des meetings en ligne. Je ne saurais dire si elles apportent autant de succès et de réconfort pour les gens qui ont besoin d'un tissu social cousu de nos cordes vocales.
Est-ce que je va' intellectualiser une Karine qui chante le Po, po, po, poker face de Lady Gaga un vendredi soir à 23h57 jusqu'au niveau de la tradition des chants de gorge inuits ? Je suis bien partie. Mais suffit de prendre le pouls et descendre de nos grands chevaux pour comprendre que les soirs de karaoké dans ces bars dits interlopes, sont là pour répondre à un besoin d'expression humaine. C'est peut-être pas glamour, c'est peut-être pas la bulle la plus haute dans la flûte de notre champagne culturel, mais c'est une note basse qui résonne à fond les coeurs, des coeurs qui n'ont souvent pas d'écho ailleurs.
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Cela dit. Y aura moyen de se retrouver de façon safe. Et faut continuer de se faire attention, ça on peut tous être en accord là-dessus...
Image de la couverture d'article par Jeffective.com