Je me souviens d’avoir voulu commencer à boire tôt pour faire comme les plus grands. Et j’ai pensé longtemps que c’était et ce serait un passage obligé pour tous. Un rite liquide versé cérémonieusement dans le calice proverbial, où le poison de la perte de l’innocence nous oindrait les parois du foie et ferait de nous enfin des adultes cools et accomplis.
Ça se traduit par avoir hâte qu’on nous tende le menu des cocktails au lieu du menu pour enfants au restaurant. L’anticipation de tenir une coupe à martini avec une olive dedans. Une flasque en argent sortie du manteau de cuir d’un bum en moto pas d’casque auquel on s’agrippe serré un soir de fugue en été en prenant une longue gorgée. Un bureau en merisier sur lequel attend un décanteur de cristal transparent, pour le whisky offert aux clients qu'on veut impressionner, amadouer. So cool, tsé. *Le temps aura continué de me prouver que non, mais bon, c'est de là que pour moi ça partait.
Mais apparence que, la boisson, n’est plus tant « in », elle ne « trende » plus, les brosses ne sont plus la « vibe » chez les jeunes d’aujourd’hui.
Est-ce que l’alcool est en voie d’extinction culturelle ?
Telle une Columbo en bobettes (columbette pour être grammaticalement scientifique), j’ai ausculté les commentaires de moult vidéos Tiktok sur le sujet. Car, indice numéro un, c’n’est plus dans les discothèques et roulathèques qu’on trouve des jeunes; là où ils se trouvent, c’est sur l’internet. (J’ai officiellement 90 ans.)
D’abord, l’introduction à l’alcool pour plusieurs, se fera dans le cercle social. L’adolescence aujourd’hui se vit à travers l’écran plus souvent qu’autrement. L’époque de se retrouver dans la cour d’école le jour tombé ou le parvis de l’église du quartier en bécyclette après l’souper semble définitivement révolue. Les petits cercles qu’on formait avec des connaissances qu’on rencontrait le soir même pour faire circuler un joint, un bowl, une quille de Colt 45 ou du Goldschläger ont moins la cote. Le contact social, en fait, tous âges confondus, hélas, a juste moins la cote. Inflation, pandémie, ça t’change des mœurs en maudit.
On vit nos drames, extases et dépressions sous le toit qu’on appelle maison. Plus difficile de délurer une jeunesse encloitrée.
Moins d’occasions d’exposition au produit serait donc une première hypothèse de pour quossé faire que l’alcool perd de son cool.
« Ça goûte pas bon », est aussi un des commentaires que j’ai lu le plus fréquemment. Oh, jeunesse grandie aux Trix, Capri Sun & Fruit-o-Long, comme je t’envie ! Dans mon temps (bon, ça r’commence) on buvait de la bière brune en bouteille pas d’saveur, les cigarettes goûtaient l’tabac (on s’accrochait un oignon à notre ceinture (pour ceusses qui savent)), et sinon la Smirnoff Ice pour chasser l’haleine herbacée de Menthols aurait pu être le summum de la sophistication d’la paroisse... Mais maintenant, des années après les désastres collatéraux des cannettes fluos de Four Loko en vente libre, le marché est sursaturé de boissons alcoolisées au goût aussi inoffensif que du nectar de litchi sans sucre ajouté, mais, pas assez plaisant pour le fin palais de la jeunesse étudiée.
Le goût déplairait à ces mêmes jeunes, avec pourtant les papilles et poumons défoncés de vape aux framboises des champs. (Eille, je juge pas, j’ai fumé des plombs de résine de hash au secondaire avec un 2L de RC Cola pis un sac à pain Gadoua, à chacun son chemin.)
Pour en revenir au rite social, les bars, sortir avec des fausses cartes, aller danser sur des caisses de son ou headbanger dans un show de sous-sol humide, c’était là des expériences qui si certes pas totalement disparues, sont juste plus rares. En parlant à deux jeunes-vingtenaires, elles m’expliquaient leur hantise d’être filmées dans un club si elles dansent ou « font une folle d’elles », alors que moi j’ai pu vivre ma dévergonderie sans le souci de devenir un meme viral. Une anxiété de surveillance rend tout le monde un potentiel « stooleur » de votre comportement en temps réel et en 4K. Ça peut enlever l’envie de l’échapper. Résultat ? Les pistes de danse ferment et les microbrasseries et bars ludiques de jeux de société où tout le monde reste assis tranquille sans s’énerver poussent comme des champignons.
« Ça coûte cher » est évidemment la phrase qu’on entend et qu’on prononce le plus souvent dans cette époque maudite, mais, dans ce cas-ci, ça vient des jeunes quand on leur demande pourquoi ils ne boivent pas.
Il y a vingt ans, dans un bar populaire de la rue St-Jean, un soir par semaine, la bière coûtait vingt-cinq cennes en rentrant, et augmentait de vingt-cinq cennes tout au long de la soirée pour finalement atteindre son prix régulier, de pas loin de cinq piastres.
Aujourd’hui, on privilégie le service à la bouteille de fort en entier, avec un cover pour entrer, et un Uber pour sortir. Un drink qui aurait le malheur d’être un peu fancé (avec une paille) plus le tip : pas loin de vingt piasses (je ne suis plus dans la game depuis la pandémie, peut-être que mon estimation n’est pas t'à faite exacte).
Plus difficile de make it rain avec d’la Grey Goose ces temps-citte, quand même juste faire l'épicerie nécessitera bientôt d'avoir d'abord un endosseur, mettons.
Alors, est-ce que l’industrie de l’alcool va faire faillite mondialement puisque potentiellement passée de mode ? Nah.
Mais est-ce que les jeunes souffrent moins si ils boivent moins ? Nope.
Faque qu’est-ce que ça veut dire, cette réflexion-là ? Que la dépendance va continuer de trouver ses cibles d’une façon où d’une autre. Qu’on n’est pas à quelques jours près de voir les SAQ offrir des massages d’épaules aux clients avec des deals 2 pour 1 sur le merlot. Si boire et dégueuler et reboire et dégueuler des kegs est moins présent dans les films pour ados avec les Stifler aux cheveux blonds spikés au gel et compagnie, ce sera remplacé par autre chose, juste différemment dosé.
Mais il est intéressant de constater comment notre comportement, nos envies, nos angoisses, nos limitations, financières ou sociales, vont jouer dans la balance des substances servant à donner l'illusion éphémère et douloureuse de s'évader, et influencer la consommation puis ses habitudes sur les prochaines décennies, sur qu’est-ce qui nous sortira vraiment de la jeunesse, qu’est-ce qui fera vraiment de nous une personne adulte. Si jamais, on se donne la chance de s’interroger sur ce que ça pourra définir, à différents moments de notre longue traversée.