Loin d’être présentement dans une ère de lumières, le Québec s’est autrefois, par moments, démarqué par son avant-gardisme culturel, sa modernisation des mœurs, ses quelques grands penseurs, sa résistance face au clergé et à l’oppression politique. En copiant nos voisins du Sud, il s’est installé un confort dans l’ignorance, la paresse intellectuelle et le désintéressement du savoir. Est-ce « la faute d’la tévé » si on est aussi cave aujourd’hui ?
L’analphabétisme était une tare il y a des décennies déjà, traçant sévèrement une distance entre les cols blancs et certains cols bleus. Il n’y a pas si longtemps, nos grands-pères travaillaient à la factory, avaient une quatrième année à peine, les dents brunes et les pieds boueux, et ont peiné jusqu’à leur mort, le regard gêné, perdu, pour lire même une carte d’anniversaire. Il y avait souvent un violon qui jouait, au même moment. De mon souvenir, ne pas savoir lire, pour les aînés et les générations avant eux, était une honte à cacher, qui trahissait leur statut social. Oh, combien ils chieraient dans leur culotte de jute de voir le nombre de Marios qui en 2021 s’enregistrent sur leur cell dans leur char pour vomir des théories à peine mâchées dans un français épouvantable. Classisme, ou…? Pourquoi un homme blanc de 54 ans, par exemple, né au Québec, élevé en français, ayant eu accès à une éducation niveau secondaire (on blâmera les écoles une autre fois), parle et écrit autant comme de la marde ?
Que s’est-il passé entre le désir de dépasser sa condition, s’élever au-dessus d’un Petit-Québec, s’outiller pour combattre l’Anglais industriel, s’armer de mots pour corriger le destin, puis se complaire dans une imbécilité opaque et éhontée ?
D’abord, non, je n’ai pas sniffé la poudre de talc de Denise Bombardier pour tenir de tels propos en ce beau matin de moutarde à hot-doye. (Mais peut-être 🤯, send help !) Peut-être suis-je tombée sur un Tiktok de trop, d’un énième Jean-Marc, né et grandi avec tous les privilèges et qui dans son sillage ne laissera que des commentaires haineux, aux relents de Monster Energy, de baloney, avec barbichette au Axe, tattoo barbelé, piscine hors-terre et hashtags enragés.
Un exemple pour illustrer cette colère (c’est souvent de la colère) mal dirigée et surtout ironique, c’est cette manifestation pro-Trump il y a un an, où les manifestants écoutaient Killing in the name de Rage Against the Machine, tous contents de leur malfaisance, sans se rendre compte qu’ils headbangaient sur un hymne anti-police, anti-racisme, anti-fascisme. Tom Morello avait alors retweeté le vidéo en disant « Pas t’affaite’ ce qu’on avait à l’esprit. »... (Traduction libre)
Est-ce qu’apprendre la signification des tounes, apprendre à lire, apprendre à écrire, serait notre chemin vers salvation, l’illumination ? On le dit : Lire, pour se libérer de nos chaînes. Développer la pensée critique, en Québécois ou en Amaricain, c’est, certainement, d’apprendre à lire. Décoder un texte plus en profondeur que par son accroche dans le titre. À ce compte-là, les médias sont aussi responsables d’enflammer une toile de paresseux avec des phrases click-bait, sachant que les Monique et Jean-Paul de ce monde ne se donneront même pas la peine de lire l’article. Esti, vous pourriez rédiger un journal complet avec du Lorem Ipsum, que jamais on ne s’en rendrait compte. On est devenus caves, lâches, pressés de partager de la marde ni lue, ni digérée.
Si aux États-Unis, l’arrivée de Trump a certainement cimenté la décomplexisation du morron moyen, qu’est-ce qui s’est passé au Québec ? Est-ce seulement l’influence de proximité de voir un ignorant, fier de son espace vacant dans le lobe frontal, porté au plus grand pouvoir du monde, ou y a t’il eu un déclencheur made in Qc ?
Dans les années ’60 au Québec, l’après Grande Noirceur a été marqué par une soif intense de rattrapage sur le monde civilisé. La culture s’est mise en ébullition. On écrit, on filme, on chante, on joue. On veut parler notre langue, on se veut « maîtres chez nous », on se fabrique des héros artistiques dans Leclerc, Miron, Tremblay, Deschamps, qui deviendront nos pères spirituels alors qu’on délaisse la religion, on commence à câlisser patience aux femmes, arrive le divorce, la pilule, le « on laisse faire ce qui se passe dans ‘chambre à coucher entre deux adultes consentants », l’accès gratuit aux soins de santé, les cégeps sont crées, toute. On se défroque, on s’érudise, on accélère. J’ai toujours trouvé ça drôle qu’on appelle ça la Révolution tranquille, car de l’extérieur, ça avait l’air d’y aller aux toasts en sacrament.
Quand les gens parlent du Québec, de leur Québec, c’est souvent le produit des années ’70. Même s’ils relatent des personnages, des événements qui sont arrivés après, leur source part de là. Falardeau capotait à quel point tous les imbéciles qu’il croisait pensaient que « leur voisin ou leur beau-frère » était un Elvis Gratton, alors qu’ils en étaient un eux-mêmes, sans s’en rendre compte.
Pasta Dentale ? Linda, c’est d’la pâte à dents…
Est-ce qu’on est tous le petit gars dans Pea Soup qui mange du poulet frit en bedaine, assis à terre accoté sur la clôture ? Quand est-ce qu’on a arrêté de vouloir se rendre plus intelligent, plus savant ? C’est tu la faute des médias ?
À une époque où l’accès à l’information (valide) n’a jamais été aussi facile et rapide, c’est encore étonnant de voir des théoristes YouTube pérorer que la Terre est plate.
Pour en revenir à Mario qui livestream au volant de sa Topaz 2004…
Personne n’aime se sentir comme le dindon de la farce. Le gouvernement, historiquement, a plus souvent brûlé des livres et mis d’autres à l’index plutôt qu’encouragé la quête du savoir chez le citoyen moyen. Mais si s’instruire devenait, ou redevenait un outil de défense, contre les forces du mal (autrefois le clergé, aujourd’hui la désinformation, le racisme, le sexisme), est-ce qu’on assisterait pas à un débat moins pitoyable où les oppresseurs se posent en opprimés ? Là où la voix des opprimés se perd dans la cacophonie des autres voix qui chignent sur leur tribune (j’en suis, hélas avec mon ti-blogue de 47 lecteurs), où la botte sur le cou des marginalisés pèse plus que jamais, et la voix qui porte la botte leur dit de baisser le ton... Comment en arriver à la conclusion qu’il se mène là-dehors un combat égal et paritaire, alors que le systémisme défaillant n’a jamais autant été exposé aussi clairement ?
Va t’assire.
Va lire un peu.
Pèse pas sur Send, Mario.
Un peu de gêne, comme nos ancêtres, en attendant de mieux connaître l’inconnu, me semble. Sa ferais po de tord.