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Photo du rédacteurCristina Moscini

Le graffiti qui est resté

Dernière mise à jour : 17 juin 2020

« Je t’aime princesse, reviens ! »


C’était écrit gros de même, sur une paroi du dessous d’un aqueduc qui mène dans le quartier Saint-Pie-X à Québec où je restais, encore enfant.


Si vous connaissez le quartier, vous pourrez peut-être vous souvenir de cette phrase, peinte à la canette en lettres jaunes et majuscules, qui se démarquait parmi les tags illisibles. Cette phrase écrite quelque part autour de 1990 et qui est restée jusqu’en 1996, approximativement.


Petite, j’apprenais encore à lire et ce fut une des premières phrases que j’ai lues toute seule. Ayant les référents qu’on peut, je m’imaginais qu’elle avait été écrite par un punk comme les punks qu’on voit dans les films des années 80, avec un mohawk jaune comme sa requête en aérosol et que, la princesse en question, c’était Peach, la blonde à Mario Bros.


On a aussi les princesses qu’on peut.


*


Plus tard au secondaire, je me souviens d’un gars qui avait gravé « I love Cristina » sur une des tables de la cafétéria de Samuel-De Champlain avec ses clés. Je me souviens d’un surveillant qui était en tabarnaque parce qu’ils avaient justement remplacé les tables la semaine d’avant et qu’elles étaient encore flambant neuves.


Quand on est jeune, on défigure le mobilier avec notre amour.

L’urgence de figer dans le tangible quelque chose qui se passe, quelque chose qui passe, éphémère comme l’adolescence.


*


Je me souviens d’un chum qui avait gravé nos initiales en équation de signe de + qui se finissait entourée par un cœur. Gravés dans une rampe de bois du parc de la Jacques-Cartier, proche de là où passe la Rivière-à-Pierre. Je me rappelle la route en char, de nos mains qui se touchaient encore en conduisant, et du soleil qui rentrait dans les éclisses de bois, témoin d’un amour qui voulait durer fort. Tatouer le décor d’un road trip en forme de O  pas fermé.


*


Est-ce que la Princesse est revenue, vingt ans plus tard ? Est-ce qu’elle est morte ? Est-ce qu’elle a continué sa vie avec un moins punk, un moins vandale romantique ? Est-ce que la Princesse du graffiti travaille en réaménagement urbain, en ressources humaines, elle-même mère d'un ado qui graffe plus vite que son ombre ? Est-ce qu’elle vit avec un gars super plate qui ne ferait pas de mal à un mur au nom de leur amour en péril ? Est-ce que ça lui a fait de quoi quand on a repeint le ciment du dessous de l’aqueduc qui lui criait en lettres jaunes de revenir ?  


*


Ars longa, vita brevis, comme on dit.


*

L’art est long et l’amour court, qu’on pourrait - si on voulait changer quelques mots et le sens, traduire. Que faut-il résumer de ces actes de vandalisme romantique qui survivent souvent à l’amour qu’ils déclaraient alors ? Qui sera témoin de ces cris tout écrits, de ces cicatrices verbeuses ? Que reste-t-il sinon des traces de contes de fées sur les murs pour les jeunes filles qui apprendront à lire ?


*


Si le phénomène du graffiti d’amour t’interpelle, on en parle ICI et .


Texte précédemment publié sur La Fabrique Crépue. Ici en version non-censurée.

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