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Photo du rédacteurCristina Moscini

Un paradoxe aux arcs-en-ciel

Dernière mise à jour : 17 juin 2020


Pour les gens qui ont déjà souffert de dépression ou qui sont prompts à l’anxiété, la pandémie est parfois accueillie avec une légèreté qui peut sembler déconcertante. Cette angoisse journalière tellement pratiquée, que quelque chose d’incontrôlable arrive, de ne pas avoir de ressource, et d’être submergé d’infranchissables épreuves qui fleurent le danger de mort au bout de chaque pique des tiges tendues par un cruel quotidien... Curieusement, une fois ces pires craintes arrivées, un genre de sérénité (presque coupable) m’envahit; je n’ai plus de contrôle. La psychologue Elizabeth Cohen résume : « La chose terrible est arrivée. D’une certaine façon, les gens ne sont plus en état d’anticipation. » Le pire est arrivé. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Notre pouvoir, pandémie ou pas, résulte ultimement dans notre pouvoir d’achat. Nous, les paysans comme le monde riche nous appellent. Que vas-tu faire avec ton trois mille sous ? Avec mon trois mille sous, je vais encourager une entreprise locale et urger les gens sur Facebook à faire de même. Bon. Bien. Chose faite. Une chance que le monde est sauvé. Un plaster sur une plaie fait-il vraiment du bien s’il se colle tu seul en forêt ? On a la richesse d’avoir du temps, de se prêter le bénévolat aux plus vulnérables que nous, de devoir le faire délicatement, sans les mettre en danger. Fort louable. On a aussi le pouvoir de respecter les consignes et de ne pas devenir une honte nationale pour 2 benanes.


Pour ce qui est de l’anxiété préexistante, le jour à jour des solitaires se fait plus léger parce qu’il y a cette idée du global. Ce n’est pas mon monde qui s’écroule, c’est le Monde. Je ne me noie pas avec ma gorgée d’eau, c’est le Titanic qui coule. Et l’iceberg aussi. Ça va plus loin que le « si je suis triste, maintenant tout le monde est triste et ma tristesse est amoindrie, yay ! Hip-hip-hip, hourra ! ». Même si… ish… C’est de s’en remettre à la Nature, passer les rênes au chaos, admettre que nous vivons dans un monde de fous et que notre survie dépendra de l’humanité de chacun. De ne pas succomber à la folie, la monstruosité, aux émeutes, aux campagnes de peur. Reconnaître notre privilège. Si c’est quelques gigs annulées, si c’est d’être plus cassé, d’occasions perdues, on fait partie des chanceux. Reconnaître que rien ne nous est dû. La reconnaissance du travail, les accolades, le public, le bord de la plage d’un tout inclus, la saison des terrasses. Cela fait partie d’un tout qui n’est accessible que par le labeur des travailleurs de l’ombre. Et que s’il commence à y avoir de l’eau qui abime la semelle de nos chaussures, c’est que d’autres sont déjà morts noyés, prisonniers dans la cale. Alors, oui, donc : Est-ce que se sentir bien pendant une crise planétaire est criminel ? Froidement aveugle ? La famine n’est pas chose nouvelle, la misère n’est plus dans son emballage d’origine. La pauvreté, vous l’avez croisée tous les jours avant crise. Combien de guerres vous ont empêché de dormir ? Les combats que l’on mène sont avant tout individuels. Dès le lever. À quelle voix donnerai-je de l’importance aujourd’hui ? Celle qui me dit de me poignarder au plus câlice en courant vers le fleuve pour un aller simple avec du ciment comme flotteurs ? Celle qui me dit de boire avant 11h que l’angoisse s’engourdisse et me fasse perdre le fil de ma pensée morose ? Celle qui s’inquiète pour ces voisins qui crient après leurs enfants ? Celle qui essaie de sortir un tableau Excel pour raisonner le mal du monde, pour savoir où donner de la tête, pendant que tout le monde brûle ? Ce monde qui brûle. Il brûlait déjà certes, on s’entendra. On s’entendra aussi qu’il vient de passer à broil.


Alors, comment ça va ? Capoter, moi ? Je capotais déjà tous les jours. J’ai suivi mon cours de Capotage Averti. Si ça se trouve, je ressens de la gratitude d’être en santé, de voir les masques tomber, voir la pression sociale pour les acquis de plastique qui s’effondre. Les followers, les diplômes, ne deviennent que fioritures bonnes à orner votre mur ou votre clout si ce n'est pas un service essentiel. La bonté qui émerge à travers les lianes de peur, parfois, en éclair. Certains new-yorkais qui vivent cette période comparent et se rappellent de la beauté de la phase qui a suivi les attaques du 11 septembre. La communauté était unie comme jamais dans le terrible. Est-ce qu’est-ce qui est en train de se passer ? Il faut abdiquer, admettre que nous n’avons que peu de contrôle. Mais cette fois-ci, à la différence du terrorisme, on peut épargner des vies en évitant de sortir. D’une facilité déroutante. Les entreprises & services se sont revirés comme sur un dix cennes. Ici, un gouvernement caquiste au pouvoir étonne par son professionnalisme, toutes confessions politiques confondues. Unir. Dans l’adversité. S’en sortir avec un sourire. Un sourire purulent, édenté de précieuses dents, usées, tombées au combat. Un sourire de gencives au sang, un sourire de langue noire, de commerces abandonnés, d’entrepreneurs banqueroutés. Un sourire plein de tartre qui nous a gardé en vie, un peu plus moches, mais un peu plus vrais. S’en sortir avec un sourire, élimé de charme, mais pas dépourvu de volonté de continuer à mordre cette vie qui continue, inéluctablement, avec ou sans nous.



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