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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Peur et dégoût à Limoilou

Dernière mise à jour : 10 août

 

Le Stratos de Limoilou a eu le privilège ou le déplaisir de me voir dans tous mes états à différents matins au plus sinistre de ma vie.

 

Je m’y traînais le cul, débrossante de ma cuite de la veille, et j’y acceptais le deal des néons clairs contre la fraîcheur d’un siège, les ondes presque relaxantes des télés accrochées montrant le canal des sports ou celui des nouvelles LCN sur mute, baignant dans la symphonie des cafetières, du grondement des frigidaires, de l’aller-retour des souliers orthopédiques de la serveuse jusqu’à la sonnerie du téléphone pour répondre « Oui, nous sommes ouvert » à l’écho de l’a cappella du bacon hurlant quelque chose comme un ré dièse en tombant sur la plaque amorçant sa cuisson.

 

J’étais à cette époque moi-même serveuse à deux endroits pour un temps plein mortellement éreintant, où je remplissais silex et lignes de fût à la même vitesse que je les vidais une fois que j’avais finalement punché out après des journées de seize heures laissant imprimé dans mes flancs ma ceinture de fond de caisse en un relief de rougeurs. Chaque paie épongeait comme un plaster une hémorragie de dettes que je ne pouvais plus contenir et par pulsion de mort, je courais avec ma maigre liasse restante, boire et manger hors de chez moi, ce quatre murs qui me chuchotait tant de me tuer sans laps de temps. J’étais automate en tabarnaque et une rage sourde m’habitait à chaque instant, une rage que je gardais pour moi, contre moi. J’étais laide à regarder, déplaisante à écouter, éprouvante à sentir. J’étais sans conteste une expérience négative pour les sens il me semble.

 

Les seules fois où mon reflet ne me révoltait pas trop, mis à part en utilisant ces nouveaux filtres animorphants de Snapchat, avec lesquels sans le savoir je composais déjà mon journal de vie en filmant le testament de mes beuveries, c’était quand je m’apercevais dans un de ces minces couteaux dentelés au manche de plastique noir qu’on servait d’office dans ce restaurant ouvert aux petites heures de jour comme de soir. Suffisait d’approcher pour voir, un rond d’eau séchée du lave-vaisselle sur la lame, mon œil pas trop rougi à part si on s’y attarde, la moitié de mon visage, le coin de ma bouche. Si je plissais des yeux, pas encore trop déssoûlée, il m’arrivait de me retrouver des éclats de ce qui auparavant m’avait déjà fait trouver ressemblance à de la beauté.

 

Ankylosée, lourde, sale, mon pas de mon matelas au restaurant était celui d’une vibration émanant des limbes. Pesante du poids de la mort à se donner. Souffrante de la honte de mes chairs enflées. Prisonnière du polyester d’une brassière que je n’aurais jamais lavée, d’un hoodie oversize qui cacherait mon corps que je n’aimais plus montrer.

 

Frustrée que la substance que j’avais élue ultime médicament à mes maux, l’alcool, commençait à me trahir de façon plus visible de jour en jour. L’hébétude des sens tant chérie s’écourtait de brosse en brosse. Je devenais maussade, même en ivresse. Je me vois, chiffonnée, de comptoirs en comptoirs voir le regard des barmen et barmaids changer, alors que je ne sais plus articuler la commande de mon drink préféré. Je suis devenue l’habituée bizarre, l’étrange bibitte qui ne sort que tard. Le papillon de nuit affreux qui resterait caché si ce n’était de son attrait maladif pour cette jaune lanterne. L’alcoolisme, j’apprendrais, ça rend laide.

 

Mais laide je ne l’étais pas tout le temps, ou pas suffisamment dans l’œil de tous les garnements. Il en restait une poignée pour froisser le froid hors de mes draps et réchauffer dans un concert de sueur le peu de vigueur à vivre qu’il me restait au cœur. Ces parties de fesses n’étaient pas déplaisantes. J’arrivais à rire et à oublier l’aqueuse obsession de mourir qui glissait de mes tempes à mes seins, j’arrivais même parfois à jouir, malgré un clitoris de mille trois cent bières engourdi.

 

Et le Stratos en terminal d’aéroport où je reconduisais ces amants en espérant un départ tôt, car les heures du jour décharnées de la magie de celles de la nuit me rendaient la tâche plus difficile de garder le masque de cette bougresse éthyliquement joviale une fois mes bulles dégazées. Le Stratos ne me jugeait ni quand j’arrivais seule, ni quand j’étais accompagnée par l’un de ces chevaliers de l’oreiller. Le café filtre arrivait avec leste, et coulait sans cérémonie dans la porcelaine d’une tasse en solo comme en duo.

 

Quand j’étais avec un vis-à-vis, il arrivait qu’il voulait débriefer sur les culbutes de la veille et proposait de s’y remettre une fois repus. C’était pour moi hors de question une fois redevenue citrouille de me recendrillonner, revêtue de ce mal de vivre en lumières allumées, tout en me décomposant du foie en douleur sciée. Une fois les avances avancées – était-ce des avances une fois qu’on s’était avance-reculé ? – je bricolais une menterie d’être occupée ou attendue plus tard dans la matinée. C’était surprenant d’en voir vouloir étirer le temps en compagnie d’une affreuse au charme à vous en javelliser les cornées. Mais simulant plus souvent l’envie d’un ordre de toasts qu’un orgasme, je regimbais l’offre de requeutage avec ce stratagème moyennement fin, de faire décoller de chez nous ce serviable intrus, pour en ressortir avec un déjeûner, splitté ou gratis, en bonus.

 

La vraie expérience stratorienne – stratosphérique étant déjà pris – c’était d’y aller seule, à l’aube, alors qu’on croit que la vie ne cache plus de surprise ou de gaité pour nous sur une durée indéfinie, mais qu’on y circule en périphérie des aléas douloureux d’une vraie vie.

 

Ce matin-là, jusqu’ici, tout marchait comme sur des roulettes rondes. Télé sur mute montrant un monsieur qui parle avec une opinion arrêtée sur un sujet hors de son champ d’expertise, le couteau me rend un reflet pas trop dégueulant, le café est arrivé, le restaurant est calme au point où la serveuse m’a offert de prendre une banquette rienque pour moé. Je me sens comme une reine monarchiée. J’y suis à l’heure où on m’apprend avant ma commande que j’ai le choix entre le menu déjeûner ou le menu du midi. Il faut croire qu’il n’est plus aube. Il me semblait que le soleil était sorti de façon persécutante lors de ma courte marche jusqu’au commerce. Vampirique, j’observe l’hégémonie des diurnes affairés en véhicule ou au pas pressé par la vitrine donnant sur le coin de rue encore en train de se gentrifier. Ça doit être un jour de semaine. Le reflet, uniquement que pour me faire pleurer je présume, me renvoie soudain l’image complète de ma silhouette assise et je me vois dans une vérité encore inédite, sans le point de vue avantageux de l’obscurité toute maquillée.

 

Non seulement je me rends à l’évidence qu’il est bientôt deux heures de l’après-midi, mais que nous sommes un mardi. Comme dans l’expression un petit mardi. Si le 3 fait le mois, le petit mardi dénote du régulier, du commun, de l’usuel. Tel un polaroïd de la honte, mes couleurs apparaissaient tranquillement.

 

Avant de m’avouer telle que je suis, secouée d’horreur d’une telle vision, je commande comme si c’était mon dernier repas avant l’exécution. Un grand verre de Pepsi diète fontaine servi avec glace et pétillant, deux onces de rhum que je verserai dedans, de la pizza all dressed et des cups de beurre qui n’auraient que d’être exposés à l’âpreté de mon haleine pour ramollir, et puis, avec ça, un petit pichet de Bleue Dry, pour commencer pas trop pire.

 

Le tout arrive et je suis encore saisie d’être pognée avec ce reflet de moi-même, choquée de m’être vue comme nue après tout ce temps. Je fais l’examen de ma terreur en commençant par les pieds alors que je lève le coude à mes premières gorgées. Des bottines de chez Ardène datant d’il y a deux ans qui ont fait contre toute indication du quatre saisons. L’acidité de leurs semelles usées mange le synthétique de mes bas dépareillés. Sous ceux-ci des bas résille mauves avec des grands trous où la fourche, de trop s’être assise jambes croisées sur un millier de tabourets vissés. Une paire de shorts achetée extra grande qui maintenant peine à cacher mon expansion expansive du bassin et du ventre accusant mon stupre quotidien et une intolérance au gluten indiagnostiquée. Un t-shirt de friperie bon pour dormir comme travailler, me faisais-je croire, et par dessus un cardigan mince et long d’une couleur abjecte avec des trous aux pouces, si le message d’un esprit dérangé n’était pas assez clair jusque là, ça se dessine au trait gras. Une chevelure entretenue au shampoing sec et au crêpage à la racine pour entretenir quelques nœuds permanents jamais brossés. Mais le visage… c’est cette face que j’ai été obligée de regarder. Cette face qui m’a brisé.

 

Je ne me suis jamais attardé à ce que je trouvais que j’avais de joli ou qui valait le détour. J’étais consciente de l’avantage de ma jeunesse pour la rétention du regard mâle peu regardant tant que l’épiderme de nos seins et notre cul s’exposent sans trop de périmètre de sécurité. J’ai souvent remarqué que les yeux qu’on complimente sont ceux qui sont bleus, aux paupières lourdes, bien bombés, aux sourcils hauts et définis. J’ai le regard brun foncé et creux de mes ancêtres, allergique à la douceur, offensé par la tendresse. Quand je regarde l’objectif, je vois le mugshot d’une tueuse en série, d’une dirigeante de secte, d’une folle à lier vivant dans la paranoïa de sa maison remplie d’ordures aux murs en carton pâte ayant tenté de noyer ses bibelots de caniches français sous les ordres du gouvernement d’un pays qu’elle a imaginé en assemblant les voyelles d’un mots-croisés. J’ai la mâchoire carrée de serrer des dents en dormant depuis que je suis née. Une narine qui devient plus grande et définie que l’autre. Je ne sais pas si toutes les gauchères sniffent de la droite. Mais il est plus naturel d’appuyer mon index gauche sur la narine gauche et laisser la droite faire le travail d’aspirateur, le résultat étant que ma symétrie en prenait un coup elle aussi. Des lèvres minces et une bouche petite qui pourtant ouvre grand pour les verres et les vices. Disgracieuse et atrophiée de ne jamais vraiment servir à vraiment dire, une bouche dissociée qui garde jalousement dans le manoir placardé de ma neurone unique tous mes émois bleuis d’hiers et rosis d’ailleurs. Un menton rond et fuyant d’où dessous se forme une boule grenouillère de mes excès accumulés. Faciès tant ingrat qu’il m’en faut de baisser la tête au complet constamment, cacher cet air porcelet. Ah, qui es-tu, créature ? Que fais-tu encore ici, dans cette vie abysse de sens et de vertu ? Pour ajouter à l’humiliation, je garde la bouche fermée du rote à venir aux relents de pepperoni et poivron vert tranché, l’unique raison, je l’espère, de ce qui fait automatiquement jaillir de grosses larmes chaudes embourbées dans l’esti de creux mes yeux.

 

Allais-je un jour en finir ? Allais-je un jour m’en sortir ? L’idée de me donner la mort m’apparaissait plus simple que celle de me changer le chemin, me replacer, me guérir, me porter soin. L’enfer me digère de mon vivant. Est-ce que je valais l’air que j’allais continuer de respirer en existant ?

 

La facture arrive. C’est plus cher que ce que je devrais dépenser pour une autre série de journées. Je calcule déjà une excuse pour le retard du loyer à payer. Je me lève et repars, ne sachant pas que je ne retournerais plus au Stratos de cette façon-là. Si eux n’avaient rien modifié à leur magie, dans mon âme s’était éteint une dernière lueur d’illusion, de douce-amère déraison. Trépassée ou respirante, j’entendais ce glas sonner qu’il me faudrait à un moment donné l’affronter, la laideur de ma dépendance dévorante.

 


 

 

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