La jeune fille tardait à révéler son premier maillot deux pièces en gardant sur elle son t-shirt malgré un midi de fin juin plutôt cuisant à la piscine Samuel De Champlain.
Douze ans bientôt treize, elle s'assoirait bientôt à son pupitre de secondaire 2 avec les boules qui lui avaient poussé sur sa cage thoracique au fil des semaines. Trop vite, lui semblait-il. Déjà que cette même année eut été celle de ses premières menstruations, elle aurait opté pour un ralentissement des bouleversements de son corps et de son identité en plein chantier.
Avide de fitter mais aussi de se démarquer, on lui avait acheté alors un bikini bleu et turquoise, avec le haut en triangles et des cordes à attacher aux côtés pour le bas. C'était la première fois qu'elle apercevait son corps dans le miroir en ayant une idée de ce qu'elle aurait l'air un coup qu'elle deviendrait femme. Un vertige lui avait pris au ventre. Trop vite. Mais, ses seins qui avaient une longueur d'avance sur elle, la guideraient peut-être en ligne de front sur ce que les mystères de l'adolescence allaient dévoiler.
Elle disait à qui voulait l'entendre que la nouvelle gomme Bazooka aux pommes vertes mixée avec une chips Doritos BBQ en même temps avaient le même goût que la bière. Son palais n'était pas encore expert, mais sa luette connaissait le houblon volé par gorgées plus qu'on pourrait s'imaginer.
Il devait faire trente-trois degrés à l'ombre, pas d'humidité. Les plus vieux se relayaient au plongeoir pour faire des bombes ou pogner des flats volontairement, et éclabousser quelques autres ados, fâchées que leur discman reçoivent des gouttes chlorées. L'eau de la piscine semblait fluorescente de fraîcheur, la jeune fille désirait s'y baigner mais savait, ou craignait les railleries qu'elle aurait de porter un costume de bain d'adulte.
Mais elle se dit, avec toute la bravoure qu'elle pouvait se permettre, qu'elle ne passerait pas son été à avoir peur, ou qu'on la prenne pour une pognée. Alors que les plus vieux parlaient en anecdotes, la jeune fille passa son gilet par-dessus ses épaules et puis baissa ses shorts.
Immédiatement, un des gars s'arrête et s'exclame. Ça y était, qu'elle se dit, on allait se moquer de moi. L'exclamation du gars fut jointe par celle d'un autre, et ils se rapprochèrent d'elle encore plus. La jeune fille était prête à lancer des insultes, des crachats, sacrer, pour se défendre. Le premier gars s'exprima sur combien elle était bandante. Le deuxième rigola. Le premier renchérit en se serrant la poche en pantomime de poigner un chubby. La jeune fille, hébétée, ne savait trop faire devant cette déclaration de ce qui était là l'émoi d'un compliment voulu sincère dans sa prédation ordinaire.
Deuxième gars félicita la jeune fille pour sa récente croissance, et elle qui était d'abord terrifiée, fut réconfortée de voir qu'il n'y avait là semblait-il que l'adhésion véritable à la gang d'ados du quartier. La semaine d'avant, on la laissait errer à l'extérieur du cercle avec des moins cools, le poitrail venait tout juste de lui ouvrir le premier portail d'opportunités. C'était tout, se disait-elle. C'était assurément le choc du début, mais maintenant, ils sont habitués et on passera à autre chose.
La jeune fille profita même de sa baignade en nageant dans le semi-creux, en tentant de faire une chandelle, la tête sous l'eau, les pieds dans les airs. Elle fit quelques longueurs qui l'essoufflèrent et se reposa dans le coin barbotteuse du grand rectangle aquatique municipal.
Premier gars la rejoint, le révélé comique, et lui demanda si elle était capable de faire toucher ses coudes dans son dos. Au loin, une fille plus vieille lui lança vivement Fais le pas ! C'était trop tard, la jeune fille se contorsionnait déjà les bras en arquant la colonne vertébrale, ce qui accentua fâcheusement ses deux jeunes boules en maillot bleu mouillé. Premier gars sourit comme les loups dans les dessins animés d'avant-guerre, et la jeune fille compris parce qu'elle avait vu le film Le Masque et laissa tomber ses bras, puis les croisa sur son chest. Honteuse de s'être faite prendre, elle ajouta Ça a pas rap, câlice, critiquant ainsi avec véhémence malhabile l'incartade du malotru. Il était certes trop tard, et ça s'était encore passé trop vite.
Hors de la piscine, la jeune fille tenta d'aller trouver compagnie, et peut-être même réconfort avec la fille plus vieille et ses amies. Là aussi, il était déjà trop tard. Sur fond de Destiny's Child, les ados avaient décidé que la jeune fille avait volontairement voulu aguicher le premier gars, qui comble de la malchance, était l'ex et le futur chum de l'une d'elles. Cet été-là partait mal.
Si la jeune fille voulait se faire des amis, il faudrait qu'elle cache ses boules, ces boules qui étaient la raison pourtant, qu'on l'avait remarqué. En même temps, elle ne pouvait pas s'empêcher d'avoir le corps qu'elle avait. Il suffirait simplement de demeurer vigilante toute sa vie de ne pas attiser le désir des hommes tout en restant sympathique et à proximité des femmes en montrant bien ses intentions pures, mais aussi savoir démontrer une nature assez décontractée et cool qu'on continue de la tolérer dans ces cercles où des fois même on lui faisait des shotguns de weed puisque trop pauvre d'argent de poche pour s'en acheter, et où elle finissait volontiers les 1,18L des filles qui dégueulaient vite le soir au parc en face de l'église où tous se tenaient.
C'est ça qu'elle ferait, un genre de danse d'acceptabilité. Pas trop compliqué.
Le soir venu, la jeune fille espérait l'épisode du maillot loin d'elle et avait déjà même prévu mettre à la place pour le reste de l'été le vieux Louis Garneau Sport une pièce slaque qui lui avait été refilé en troisième main, ce qui est quand on se fait donner de quoi qui a déjà été donné.
Arrivée au parc, la jeune fille repéra en premier la caisse de douze à côté des jeunes, caisse qui était plus grande qu'un six pack et augmentait ses chances de pouvoir en voler une ou deux avec succès. S'approchant des bières elle entendit son nom, c'était le premier gars, avec le deuxième, et quelques trois, quatre, cinq, six, puis les filles. Travailles-tu dins jeans ? qu'il lui demanda. Perspicace mais encore neuve, la jeune fille sentait la facétie s'en venir, il fallait rétorquer de quoi au plus sacrant-- Parce que tu travailles dins miennes ! Trop tard, trop vite. Premier gars avait gagné en vitesse et provoqué l'hilarité de la gang.
C'était pas vrai que ça allait être ça. Menstruée, bonnet B, à quelques semaines du secondaire 2, la jeune fille répondit Ben va t'crosser ! Le silence, après sa phrase, tomba à ses pieds.
Puis des rires, des coups dans les côtes, et le premier gars, à son tour hébété. Sa verve d'urgence lui accorda quelques points d'acceptabilité souhaités et le cercle s'ouvrit, et c'est altière qu'elle joignit les rangs de ceux qui étaient comme l'autorité en matière de maturité.
C'est devant tout le monde et sans les épaules voûtées qu'elle vola une première bière pour la décapsuler avec ses dents. Il semblait déjà que plus elle agissait largement, en prenant de la place, plus elle n'était plus une menace, plus une agace-pissette, plus juste une kid, qu'on juge et qu'on jette.
Ce n'était ni la première, ni certainement pas la dernière bière de sa vie, mais il s'était passé cette journée et cette soirée-là l'apprentissage de la fatalité de sa condition. Damned if you do, damned if you don't. Et t'en bois une, t'en pisse dix. La sagesse lui viendrait comme ça par slogans, aussi vite que le reste de sa puberté d'ébriété...