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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Tu peux toujours courir



Présenté depuis plusieurs années partout à travers le monde, le spectacle Running Piece affichait sa dernière représentation le 1er mai dernier au Centre des Arts de Shawinigan. La « pièce de courrage », du chorégraphe et metteur en scène Jacques Poulin Denis, a fait beaucoup d’effets dans le milieu de la danse et du théâtre comme elle se compose en fait d’un seul danseur sur scène « qui court » sur un tapis roulant pendant 50 minutes.


Installation artistique, critique sociale, art conceptuel, chef d’œuvre intime ? Cette pièce aux allures muette laisse l’espace à la poésie de chacun, au lieu d’un tapage d’auto-présentation, et ne nourrit pas le spectateur à la cuillère de sa signification précise. Et c’est magnifique.


Cinquante minutes de cardio. Mais tellement plus. Au fil des années et des représentations, le danseur sur scène a changé. Ce soir-là, c’était Fabien Piché. [Disclaimer ici, pour avoir déjà collaboré avec Fabien à Québec sur des spectacles et l’avoir vu plusieurs fois sur scène dans des productions différentes, je savais à quel point son mouvement peut être immersif, comment, sans mot, il peut happer l’attention d’un public comme le ferait un comédien des plus grandes agoras résonnantes d’oraisons.]


Ça devait faire près de deux ans que je n’avais ni vu un show de théâtre ou de danse.


On pourrait penser qu’en pandémie, avec l’isolement, le spectacle qu’il nous faudrait voir en serait un d’effets spéciaux, de fanions, de pompons et flammèches. Et ben non, justement.


Si je n’avais qu’un spectacle à voir, au sortir (espéré) de ce confinage, je suis chanceuse d’avoir pu vivre Running Piece


À la fois olympique et onirique, on plonge avec Fabien, dès le début face au public, qui court sur ce tapis, d’abord sans mot, sans musique. Puis, quelques mouvements, entre résistance et résignation. Un humain qui court vers le dépassement, rythmé par les pieds qui frappent le sol, le sourd ronronnement de la machine, la cadence de son souffle. Lentement, graduellement, on est hypnotisé.


La scénographie tantôt pesante, tantôt légère, fait voyager ce danseur-coureur en une rotation arrêtée à chaque angle, l’écran derrière accentue cette destination à atteindre, ce passage du temps, tantôt rapide, tantôt lent.


Le danseur parfois affecté, puis à nouveau sautillant, ne semble jamais s’épuiser dans cette valse exigeante entre lui et son tapis. Son tapis. Puisqu’une relation s’installe, suggérant cette vie qui prend dans les objets. On peut même penser un instant à ce court métrage d'animation Il était une chaise, de Norman McLaren. Le cinéaste illustrait le phénomène insolite de la révolte de la matière. « Mais pourquoi l'homme et l'objet ne se mettraient-ils pas d'accord en toute amitié ? » Dans Running Piece, il est moins question globalement de la relation entre le danseur et son tapis, mais le danseur et son chemin. « Faut aller de l’avant » qu’on entend parfois en courtes séquences musicales alors que l’homme poursuit son sur-place. Libre champ pour l’évocation, forte, multiple.


Le placement d’un bras,

le chaloupement d’une hanche.

L’avancement d’une épaule.

L’impact est fort.

L’immersion, totale.


Soudain, chaque geste débordant de la trajectoire d’un coureur traditionnel devient un discours dansé, un tour de force et de résilience, un jusqu’au-boutisme émouvant, foudroyant de cadence, reçu dans une période où, collectivement, on marche, on court, sans savoir où on va, vraiment. Bref, j’ai trippé.


Parfois, un écran, une trame, des lumières, un tapis roulant et le talent d’un marathon chorégraphié nous transporte à des kilomètres, à pieds, et nous reste en tête, longtemps…



*


Il n’y a pas d’autre représentation de Running Piece annoncée, mais on peut certainement suivre le calendrier de Jacques Poulin Denis et sa compagnie Grand Poney, et le calendrier de Fabien Piché, pour recevoir, dans nos yeux et nos têtes en grand besoin de poésie, encore d’autres éblouissements.

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