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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Compte à rebours, compte à reboire…

Dernière mise à jour : 26 mars 2023


Dans dix, neuf, huit, sept jours, ça fera un an que je cuvais ma dernière brosse.


Est-ce que ce fut une brosse mémorable ?

Non.


Particulière ?

Non plus.


Est-ce que ça valait d’arrêter de boire ?

Absolument.


C’était peut-être à cause que c’était justement une brosse devenue semblable aux autres. Une brosse anonyme pour une alcoolique municipalement célèbre, comme je le chantonnais dans les bar-salons. Une brosse qui n’avait pourtant rien ou bien peu à garder dans le grand livre des ivres. Une brosse, commune et misérable, exactement comme moi je l’étais au moment où j’ai décidé d’arrêter.


C’était le 7 mars 2020.


Je ne savais pas que quelques jours plus tard, la planète se trouverait en pénitence aussi, pour cause de confinement. Ça m’a donné une chance. Pendant qu’un jeu de cachette obligé s’installait, je me pratiquais un sevrage, en ne sachant pas si j’allais toffer plus de deux semaines. Mon but premier était de débrosser au moins au complet. J’étais rendue pleine. Remplie comme un goret, je débordais de bibine jusqu’aux yeux, jusqu’aux joues. Mon cerveau autrefois tant utile, vif, était du creton figé de suif, pauvre moi, petit porcelet festif. Je voyais embrouillé le matin. La boisson me motivait à passer à travers ma journée et endurer cet affreux astre diurne qu’on appelle le Soleil a.k.a. « encore trop de bonne heure pour boire ».


Des images me reviennent de ma dernière brosse en marchant tout croche de Saint-Marc au bas de la ville passé 4 heures du matin, en legging, avec juste du gin et un coupe-vent pour m’empêcher de geler dans la rue. Une mottée. Le nez plein de coke mélangée. La tête toute triste.


Voyons, tabarnaque, s’tu vraiment ça le meilleur de la vie ?


Pis le sevrage, parlons-en. « As-tu remarqué que le monde nous énarve en arrêtant de boire ? » me faisait remarquer un ami récemment, lui aussi en expérimentation avec la sobriété. Mets-en. La colère et l’agacement ont été les choses qui se sont le plus vivement manifestées chez moi dans les premiers jours de sobriété. Tout m’énerve, tout, comme le temps, passe affreusement lentement, et rien ne veut rien dire.


L’angoisse, les nuits de cauchemars, se réveiller aux heures, en sueur. Esti, ça va tu être ça désormais, en étant sobre ? C’est-tu ÇA, la sobriété ? Mais non, en fait. C’était le sevrage. Les premiers jours, les premières semaines, le mauvais sort du corps, le corps s’en ennuie. Chu pas docteure, mais je dirais que le vrai moi a commencé à émerger après un mois et demi, deux mois. Là, le soleil me gossait moins, je me réveillais avant lui. J’avais de l’énergie en me levant. J’apprenais à relativiser mes vives et soudaines colères. What Would Cher Do ? Cher, à ce que je sache, n’est pas spécialement sobre (faudrait googler), mais l’important était que son image est celle d’une cool queen qui ne se laisse pas bâdrer avec des ptites facéties du quotidien. Je voulais devenir meilleure. Je voulais me renmieuter, en tant qu’humain.


Alors, lire. Alors écrire. En un an presque, j’ai crée ce blogue, rédigé une quarantaine de textes, écrit un monologue théâtral qui sera produit par un vrai théâtre et joué par du vrai monde, pu m’acheter un matelas avec un sommier ET un box spring (je dormais sur un futon défoncé comme si la vie n’était qu’un évanescent couch-surfing où je n’étais qu’une invitée), m’acheter un foulard (je me servais d’une taie d’oreiller nouée autour du cou, parce que 15$ pour un foulard était trop cher mais 200$ pour une brosse bien normal), et réparé les trous dans mes bas. J’ai découvert au fil des mois qui était cette fille que j’étais devenue dans l’abus de substances, et cette fille, elle n’était pas loin, ou à une badluck de l’itinérance, et elle ne faisait rien pour améliorer sa situation.


Je remarche les mêmes chemins en bordure de la rivière du Saint-Maurice depuis presqu’un an. J’ai vu son eau naviguée par la course en canots, j’ai vu ses arbres perdre leurs feuilles, j’ai vu ses trottoirs et lampadaires enneigés. Je reverrai ses bourgeons refleurir au printemps. J’ai bénéficié d’énormément de chance dans cette première année de sobriété. J’ai reçu un support incroyable de gens que je savais même pas que ça leur crissait de quoi ce que je faisais ben de ma vie, j’ai pas trop manqué de travail malgré une pandémie, j’ai justement, eu un travail que j’aime et qui me permettait de choisir le rythme que je voulais, sans me forcer à interagir avec des humains – ce qui m’a souvent donné envie de boire beaucoup, même entourée d’humains fins, j’ai du perdre à peu près deux tailles de vêtements, on a cessé de me méprendre pour Éric Lapointe avec une perruque, j’ai retrouvé le sommeil, j’ai fait le ménage. Un ménage de sphères de vie. Du Windex & du Pine Sol dans les recoins de mon âme démonisée aux volutes de mauvais coups, de stupre et de malfaisance, et, christie que ça fait du bien.


La sobriété, ce n’est pas les premiers jours ou les premières semaines sans boire. C’est quand tu continues, quand tu décides de te donner la vie que tu mérites, en commençant par arrêter de te poignarder dans le foie. C’est un pas pire départ.


« C’est le cadeau qui n’en finit plus de donner ! » m’a dit un sobre qui me donnait un lift dans mes premiers mois. Je le comprends.


En regardant en arrière, le 7 mars 2020, et toutes les autres brosses avant, j’ai le vertige de toutes ces fois où j’ai abandonné mon contrôle. L’ébriété m’a longtemps servi de voile sur une vie que je n’aimais pas, sur des réalités, des contrecoups de mon cheminement que je n’étais pas prête à affronter, des blessures que je n’osais pas vouloir guérir. « Enlevez-moi pas la boisson, c’est tout ce que j’ai. » On n’aurait pas pu me convaincre un mois avant que je décide d’arrêter, de cesser de boire à ce moment-là. On n’aurait pas pu me convaincre d’arrêter une semaine avant, une heure avant. C’est vrai quand on dit qu’il faut que ça parte de nous et qu’on ne peut, avec succès, forcer la sobriété dans ‘gorge de quelqu’un d’autre.


Mais câlice (ce texte se doit de blasphémer pour l’emphase), quelle douce décision ce fut. Les effets secondaires ? La joie. L’émotion, la jouissance. J’ai l’impression de savoir nager et de toucher le fond si je veux avec le bout de mes pieds, ce qui n’est pas trop pire pour une habituelle noyée de la bouteille. Je goûte à un bonheur que je croyais inventé par des multinationales et du linge pastel. Chu ben. Enfin. Et j’ai encore en mémoire cette vive douleur que je ressentais à chacune de mes pertes de contrôle, à chacun de mes abandons dans la boisson, à me soûler à n’en plus savoir parler. Moi qui a-dore parler !


C’est donc ici un message d’espoir, peut-être, si vous avez dans votre entourage un.e soûlon.ne qui vous inquiète, ou si vous êtes vous-même un soûlon secrètement inquiet : Y a de la place en masse de l’autre côté, ça arrête de faire mal au cul à moment donné, et soyez patient, indulgent. Des fois, une bonne décision, ça prend son temps.



*



La synchronicité : 7 mars 2020, jour 1 sans boisson. Et le 6 et 7 mars 2021, ce sera la diffusion du monologue S’aimer ben paquetée, produit par la Théâtre La Bordée. Initialement prévu pour être joué en salle, les mesures sanitaires ne permettent que la lecture audio, mais ce sera lu par l’excellente Ariel Charest, comédienne de Lipsync & autres amuse-gueules. C’est gratuit !




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