L’été à jeun
- Cristina Moscini
- il y a 4 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours

Je n’ai pas été soûle en été depuis 2019.
Ayant arrêté de consommer alcool et drogues en mars 2020, l’été qui a suivi ce printemps-là fut mon premier sans m’anesthésier les sens.
C’était comme un été de pratique, puisqu’en pandémie encore avec toutes les précautions de jadis il semble, et les rassemblements étaient plus « sobres » que les débauches à esquiver que j’appréhendais.
Puis est arrivé l’été suivant. Les saisons se succédaient dans l’ordre certes, mais c’est toujours à l’été où je craignais le plus une faille dans ma dévotion de sans boisson. Une rechute, une pression des pairs, un barbecue, un festival, un piquenique où j’aurais pris une gorgée dans la pinte de quelqu’un par simple mécanisme, par mémoire musculaire.
Dans nos mœurs de chaud l’été-frette l’hiver, on vit avec une nature sociale double. L’hiver on s’évite, l’été on s’invite. L’été, je me fais inviter à la piscine des voisins prendre l’apéro alors qu’à l’hiver on s’évite le regard en pelletant nos entrées pour aller porter le bac à vidange en bordure de rue.
L’été, on est curieux de savoir pourquoi je ne veux pas une piña colada, avec de l’ananas tranché à la main et acheté en spécial. On veut en savoir plus. On insiste, on fait communion au fond du bol à punch, on est consort d’un pichet de sangria. Après tout, l’été ne dure que deux mois, fêter devient comme une obligation de par la loi.
Avant, c’était différent…
On rit lorsque j’affirme qu’avant quand je buvais, les mouches à fruit me tournaient toujours autour. Une illustration comique d’une soûlonne qui sent le fond de tonne en permanence. Pourtant, c’était la vérité dans la mesure où mon sang contenait probablement un taux de sucre différent en y traitant tout l’alcool que j’absorbais quotidiennement. J’avais toujours les maringouins après moi plus que la normale, et ils repartaient en zigzaguant après m’avoir piqué. Bon, la dernière partie n’est pas vraie, mais le reste oui.
L’été pour moi était une agonie de clairceur où je ne trouvais que havre dans la noirceur des tavernes en plein jour. Une affection pour l’humidité acidulée des comptoirs de bar où je buvais tout ce que j’avais les moyens de me permettre, en espérant y trouver camarades avec qui déraper jusqu’à s’en cogner aux grilles de l’Enfer.
L’été était la saison où j’étais incapable de dire non, où j’étais incapable d’accepter qu’on cesse de boire autour de moi. Je déboulais, de partys de cour en partys de cour, toujours de plus en plus soûle, de plus en plus gênante, suppliant le ciel d’aller se coucher pour maquiller d’obscurité mon absence de dignité. Des 1.18L de Tornade limonade aux negronis fancys, je n’aurai jamais dessoulé sur une vingtaine d’étés.

Maintenant…
Cinq ans plus tard, le monde n’a pas cessé de tourner. Les communautés de sobriété se multiplient, proposent des activités, des conseils, des produits, du Sober Club à Soberlab à Apéro à zéro, et plus.
Partout, on pleure que « les jeunes » ne boivent plus. Que les trentenaires et quarantenaires arrêtent de boire ou diminuent leur consommation de façon éhontée. Les SAQ sont à deux doigts de vendre de la colle en sac à sniffer pour nous faire revenir. Les nombreuses figures connues s’étant déclaré le rétablissement haut et fort dans les podcasts depuis les dernières années ont fait leur travail sur notre perception en société, de la sobriété.
On n’insiste plus autant sur ce petit verre de crémant. Sur cet « Enweye donc ».
Je marche l’été sur une asphalte stable à toute heure du jour sans transpirer de mon lendemain de veille, sans sueurs froides, sans tremblement dans les mains de sevrage de quelques heures infernales. J’ai acquis quelque chose comme une solidité de tronc d’arbre. De jeune pousse à écorce.
Je ne crains plus qu’on bondisse d’un buisson en me crissant un entonnoir de force au fond de la gorge pour y verser une bière Clamato.
Le temps de changer
Cinq ans, comme la moitié d’une décennie déjà. Dans mon cas, de passer de la jeune trentaine à la fin trentaine. Mature en tabarnaque pis toute.
Avoir choisi la simplicité au chaos. Quand on dit que la sobriété dans le langage courant est un mode de vie plutôt que « juste s’abstenir de boire ». Avoir choisi le calme aux catastrophes. Parce que les bad lucks, les accidents, les drames diminuent sensiblement en cessant de s’imbiber à chaque heure où on est levée.
« Non-stalgie »
Mon dernier été de brosse, en 2019, m’apparaît loin comme d’un siècle.
Je m’y revois, les yeux fermés, aveuglée par le soleil cuisant d’une terrasse de bar en bordure d’autoroute à Saint-Étienne-des-Grès, boire des pichets avec des parfaits inconnus comme un troupeau d’âmes égarées, à boire sans but et sans fin. Parce que c’est ça que je voulais, en alcoolique, l’infini des verres.
L’âpreté d’un parasol moisi, du ciment chauffé d’un parking à trente-deux degrés, le vent qui porte les notes d’une toune au palmarès rock de radio. Le rote-vomi d’un hot-dog gratuit à l’achat de bière au volume.
« And they say a hero can save us, I’m not gonna stand here and waiiiiiit… »
Puis quand la nuit venait enfin m’assommer derrière la tête, la seule chose qui avait changé en moi était mon chagrin secret qui s’était alourdit. D’être une pocharde jamais rassasiée, pesante dans l’été d’une soif qui a passé proche de la noyer.
Un cadeau qui n’en finit plus de donner, la sobriété. On ne regrette pas d’un poil le rétablissement. Le seul regret que j’ai, c’est de ne pas avoir su avant, à quel point on se sent mieux en vivant sans.
C’est le spécial qui ne déçoit jamais, de miser sur soi, une vraie fois.
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À l’aube des last calls

Ma lecture-performance reprendra la route à l’automne, si vous avez des suggestions de café-librairie-aréna le fun qui voudraient recevoir mes récits personnels de l’alcoolisme au rétablissement, merci de commenter !