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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

De l’eau à saveur d’hotdog et une étoile de mer en chocolat

Dernière mise à jour : 24 mai


Je bondis de joie quand le char vient me chercher. Le char part sur la trace, moteur pressé aux échos de Limp Bizkit dans une nuit morne de banlieue creuse. J’ai 15 ans.


J’atterris sur la banquette arrière en tassant les emballages de McDonalds stagnants et me réjouis pour chaque rouge qu’on brûle. Il presse de se rendre au bar.


L’ami et l’amie à l’avant échangent des mots, blaguent et s’obstinent sur leur job, leur relation de couple, leurs plans. Je suis en arrière, je n’ai rien de tout ça. Je suis un canevas qui n’attend que d’être peint par la consommation.


L’amie me tend finalement un cd gravé. Dessus des lignes de poudre et puis de l’autre main vient un bill roulé. J’émets un gloussement content qui par chance sera amorti par la voix plaintive de Fred Durst sur Break Stuff. Je sniffe avec l’adresse précise d’avoir observé d’autres dans des partys, comme j’avais étudié avant comment ouvrir ma gueule comme une enclume pour mieux aspirer la boucane dès que les deux couteaux à blaster touchaient le plomb de résine qu’on fumait. Je coule en sciences physiques, mais ailleurs je sais être studieuse.


On arrive au bar, en diagonale du Cégep que je fréquenterais le temps d’une session deux ans plus tard. La faune du bar, est, par son emplacement, teintée de cégepiens, mais aussi de locaux dans un Limoilou d’avant gentrification. Certains habitués appellent toujours le bar Le Corbusier - son nom d’avant, il resterait dix autres années avant que ça devienne la microbrasserie La Souche. Mais ce soir, pas l’ombre encore d’une IPA aux pistils de myrtille et autres barriques fancées.


Ce soir, ça s’appelle le Delzie, le 4 litres de draft est à 20 piasses, et on se fait pas carter à l’entrée.

Le jukebox alterne entre les chantres américains James Hetfield et Marshall Mathers. C’est la même dichotomie qui règne à Beauport, dans les couloirs de polyvalente ou les radios de char. Au téléjournal, on nous décrit comme une génération de drogués hypersexualisés qui ne se rallient qu’en gangs « T’es-tu un punk ou t’es t’un yo ? ». La sélection musicale n’est qu’un bruit de fond dans cette brasserie pleine ou les longues tables permettent d’assoir ensemble des inconnus qui ont en commun la soif, et le bar en L qui lui permet d’accouder les habitués au doux service d’une unique serveuse dans l’jus aux commandes des leviers de lager sollicités.


Trois machines à poker, une machine à cigarettes. Encore trois ans avant que les établissements deviennent non-fumeurs. Une table de pool. C’est là que l’ami s’arrête. Tape de mains qui finit en claquement de doigts avec ses deux, trois amis. L’amie s’installe pour regarder son chum jouer et s’allume une clope. Je suis, l’instant d’un moment, laissée à moi-même. J’absorbe l’ambiance, les sinus excités, la mâchoire électrique et le gosier graffigné.


Le pichet gros comme quatre têtes arrive, je me sers avec l’excitation d’une enfant se versant seule son premier jus de pommes sans renverser. Je bois comme si j’étais à la sortie d’un désert. J’ai déjà peur d’en manquer. Bientôt, d’autres amies arrivent, surmaquillées de crayon noir et de bracelets à studs aux poignets pour dissimuler leur carence de tours autour du soleil pour avoir l’âge légal d’entrer. Elles se partagent une (1) Smirnoff Ice. Personne à cette table-là n’agit comme 18 ans.


Bientôt d’autres hommes approchent, me demandent mon âge, je mens, ils savent. Mais ils amènent aussi les prochains pichets. Et je bois. Avant d’être géolocalisés, repérés, hashtagués, @followés, on arrivait à se rencontrer face à face mais dans une sorte d’anonymat. On pouvait apprendre le prénom d’une personne et s’en tenir au prénom qu’elle nous aurait donné ce soir-là. Il y avait quelque chose de paisible dans l’idée de ne plus jamais avoir à revoir les gens qu’on rencontrait. Ne pas franchir la ligne d’en savoir plus sur leur avatar, photo de profil, amis communs, pages suivies. Je m’ennuie d’en savoir moins.



À travers les tables, une commotion causée par le divertissement de la soirée; un wet t-shirt. En fait, pas un concours de wet t-shirt, car ça voudrait dire qu’il y aurait plusieurs participantes. Une, artiste érotique de l’aquasynthétisie, si l’on veut, que je n’aperçois qu’une fois le gilet imbibé, coton mince dévoilant deux obus fraîchement siliconés pas encore descendus et bien bronzés. Des cris d’appréciation du public d’hommes amassés autour d’elle alors qu’elle tient encore le pichet vide au-dessus de sa tête châtaine aux larges mèches blondes bien distinctes et la flaque mouillée grandissante qui s’étend à ses pieds. Aux cris d’appréciation se mêlent les ronchonnements des deux mineures au eyeliner à ma table.


Elles n’en reviennent pas. Moi non plus, que je m’enjoins. Gaspiller de la bière, ça se fait pas !

Mais non, me corrigent-elles, avant de se lancer dans une tirade diablement misogyne pour ceusses qui s'identifient au standard de base du féminisme. Perdue dans ce nuage de fiel, je regarde plutôt la dame au gilet s’en aller sous les applaudissements et les cris et récolter des mains de la propriétaire ce que j’imagine être son cachet de la soirée. Il me faut encore quelques moments pour comprendre que la flaque laissée n’a blessé aucun baril de bière, et que c’était bien avec de l’eau du robinet que le court spectacle fut conçu. Je pense toujours à la bière. Soucieuse et soulagée.


Je me demande si moi je le faisais, je pourrais être payée en bière, ou peut-être pourrais-je en faire une carrière ? Boire nu-seins, est-ce que ça c'est même déjà vu ? Je ne sors de ma rêverie que pour aller fumer un bowl dans le parking puisqu’invitée à y participer. Et les avis sont partagés sur la fonction du wet t-shirt dans le monde amoncelé en demi-cercle. Celui qui aura énoncé que ça n’a pas sa place sera traité de gai sur le champ, l’autre montrant trop d’enthousiasme sera traité de pervers, il est d’avis préconçu que nous les filles on trouvera ça con et qu’on jugera celle qui l’a fait. Mais toutes ces bières payées vers nous, ne viennent-elles pas avec le but ou l’option souhaitée qu’on finisse par l’enlever, notre gilet ? Ma damnation dans ce monde aura d’avoir été trop philosophe pour mes quinze ans. La bonne nouvelle fut, toutefois, que la philosophie se dilue beaucoup en continuant de consommer les drogues et alcools qu’on nous tend joyeusement.


J’en suis à un point dans ma consommation où je me dissocie, je ne parle plus et j’observe en buvant. C’est ma zone préférée. Comme nager dans un rêve. Comme être en réalité virtuelle dans sa propre vie. Mes sens sont engourdis, je suis soudainement triste de l’absurdité qu’on soit tous là, à se geler, à placoter sur rien, à essayer de se fourrer, à tenir la clé au-dessus du bag et pourquoi ? J’haïs ça quand la drogue et la boisson me rendent émilenégligente ou kurtcobainieuse.


Je me sentais bien enfin y a juste deux secondes. Est-ce que j’ai déjà dépassé ? Est-ce que c’était que tout ça pour ça, deux secondes de paix ?

Je poursuis qu’en fragments seulement cette réflexion alors que mes genoux font une embrassade serrée de la bol de toilette du Delzie. Je dégueule en jets, à la même vitesse que j’avalais mes gorgées. Chanceuse de ne pas avoir souper, le vomi sort lisse et facilement. Je pourrais quasiment le reboire. Je regarde les bulles jaunes claires qui pétillent encore dans la cuvette. La coke me donne un drôle d’effet comme si mes gencives étaient trop serrées sur mes dents. La bile qui vient rincer mon émail par giclées me donne envie de me dévisser les molaires une à une. Une chance que je n’ai pas d’outils avec moi. J’ai l’œsophage en feu. Les cordes vocales rauques. J’arrive finalement à m’assoir. La céramique de la salle de bain va peut-être m’aider à que tout cesse de tourner.


Une main sous la cabine d’à côté me tend un paquet de gomme. « Prends-toi en une », me dit l’inconnue généreuse de ses Excel mentholées glacées. J’accepte la gomme à mâcher et avec la résolution qu’il me reste parvient à me relever et flusher plus de vingt piasses de bière renvoyée.


Je peux pas croire que j’étais scandalisée à l’idée de bière gaspillée pendant le wet t-shirt alors que je viens moi-même de disposer non-cérémonieusement du précieux liquide qui altère ma dimension.


Je ne reste pas triste longtemps. De retour à la table, l’ami a gagné sa game de billard, donc prochain pichet payé. Le verre se remplit devant moi, et moi je continue de le vider.


Il me resterait encore dix-huit autres années d’inepties et de soirées fracturées avant que je puisse finalement débrosser, et choisir la sobriété.


 

Mon livre, S'aimer ben paquetée, relatant mon cheminement de l'alcoolisme à la sobriété a été publié l'automne dernier et est disponible en librairie.

Mes textes sur l'alcoolisme sont tous disponibles sur ce blogue dans l'onglet Boisson.

Et la nouvelle pièce de théâtre que j'ai écrite, La fameuse Femme-Québec sera jouée au Théâtre La Bordée cet automne, les billets sont disponibles présentement en abonnement, et à l'unité dès cet été.







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