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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Mes aventures de sobre au bar : conte intégral


Préambule, en bulles...


Lorsque j'ai entamé ma sobriété il y a trois ans, la tentation était presque inexistante dans l'alentour, étant donné le confinement et le fermage des bars et commerces de stupre que je fréquentais alors, dans mes époques de consommation éponge. Une fois que les tavernes et clubs de tout acabit se sont mis à réouvrir, je pouvais enfin mettre ma nouvelle sobriété à l'épreuve, et recommencer à sortir, mais maintenant avec les deux yeux grands ouverts et la luette ben sec.


Un challenge que j'ai décidé de documenter narrativement sur le blogue par chapitres, qu'on retrouve maintenant ici en un long conte, réédité intégralement pour la première fois.


Me voilà donc, paradeuse, promenant mon arrogance d’alcoolique abstinente dans ces lieux que j’ai tant aimé, fréquenté, habité, léché, embrassé à tout goulot : les bars !


Bon, en trois ans, je suis déjà sortie quelques fois, malgré les couvre-feux de part et là, j’en mentionne un fragment dans un texte précédent [Lire Le jour où je suis devenue une fraîchiée], où j’ai pu expérimenter en primeur, le feeling d’être complètement à jeun entourée de monde déchiré raide. Mais voici ici, comme si vous y étiez, une première longue sortie d'une longue nuit, d'une ancienne buveuse qui se fait aller la Edgar Allan Prose...


 


            Ce bar-là en est un à spectacles. Mes presque préfs. Vous savez, ceusses à plus d’un étage, absolument presque toujours mal gérés, avec le TPV sans fil qui ne fonctionne jamais rendu au deuxième, les frigos qui ont oublié d’être plogués quelques heures avant le début du show donc toutes les canettes l'habitant seront tièdes, les dessus de tables mal épongées avec la poussière et le filet collant des bières renversées la fin de semaine d’avant, ou embaumant la guenille fatiguée qui les aura trop brièvement frotté ? Je connais de proche et reconnais ces lieux-là, peu importe la ville, pour y avoir travaillé quelques temps mais aussi flambé beaucoup de mes paies avec beaucoup d’enthousiasme. Et une partie de moi, je dois avouer, les aime toujours, ces bars-là. La partie de moi qui aimait se détruire à bonnes mordées dans la vigueur vers la stupeur, la vitalité pour se geler, la course vers la faveur des petites morts échangées.


Rentrer dans un bar sobre, c’est très ressemblant à rentrer dans un bar après avoir fumé un joint surprise avec des inconnus croisés sur le coin de la rue. Une fois rentré, on ne sait pas trop ce qui va se passer, et on est persuadé que tout le monde nous regarde avec un sourcil relevé. Comme s'il y avait quelque chose d’étrange à propos de nous, quelque chose qui avait changé.


D’abord et devant, il y a ce long comptoir de bois plaqué. Un sage brosseur à l’époque m’avait fait remarquer la courbe existante de tous ces comptoirs, et leur couleur toujours oscillant dans les tons de bruns, de beige : le ventre de la matrice qu'il disait, un grand sein où nous, petits porcelets venions nous abreuver. Téter à la mamelle communautaire à chacun son tabouret.


Il y a de ces choses qui ne changent pas.


Alors j’avance dans l'entrée du bar, m’imaginant tous les regards sur moi. Des paupières semi-closes qui suivent ma cadence de demi-fraîchiée, et je sais qu’au son de mes pas sans trébucher (gauche-droite-gauche, et ainsi de suite), on me prête une prétention qui vient avec cette certitude nouvelle qu’on ne risque pas de me voir vomir moult sur le poster défraîchi accroché au mur d’un cover band venu le mois passé.


Dans mon entrevue sur le blogue avec l'acteur et auteur Sylvain Marcel, il me rappelait la fois qu’on s’était croisés dans un bar, il y a quelques années, et il affirmait m’avoir ‘reconnu’ l’alcoolisme, directement en me voyant. [Lire Au-delà des rêves les plus fous] Faut-il être Hercule Poirot pour déduire qu’une déglinguée tonitruante et délinquante qui offre des shots et des lignes de poud' à tout ce qui bouge dans le bar-salon est peut-être une alcoolique ? Ç’aurait pu être un pari bien sécuritaire. Toutefois en cheminant dans ma sobriété, je me dois de donner entièrement raison à Sylvain lorsqu’il disait « Remplis un aréna, mets juste deux dépendants, ils vont se reconnaître, ça sera pas trop long… », car c’est vrai.


Il y a une différence remarquable entre une personne en état d’ébriété, et une alcoolique en état d’ébriété : on est les meilleurs. Et par meilleurs, j’entends les pires. La soif se voit, comme un lumineux.

Je poursuis mon green mile devant la cordée de buveurs accoudés, sachant qu’aucun tabouret ne porte mon nom ce soir-là, et je vois donc maintenant mieux dans les yeux de ces ceusses qui est un alcoolique, et qui ne l’est pas.


Ça ressemble à un genre de douceur d’abandon, de calme devant l’éternel. La maison brûle, mais quand l’alcoolique boit, toute histoire reste à écrire, tout naufrage peut se reporter au lendemain. Carpe diem jusqu’au bout du last call.


Ces inconnus étaient mes plus chers amis.


J’ai enfin passé le comptoir. Mais ce que j’ignorais encore, c’était que les épreuves ne faisaient que commencer ce soir-là.


*


Des fois, je me trouve chanceuse de ne pas avoir trop d’amis.


Quand je buvais, j’étais de toutes les sorties. Y a pas même un mardi insignifiant que j'n'ai pas essayé de changer en carnaval. Y a pas un 5 à 7 que j'ai pas voulu étirer en grande fête navale. On devient alors, en se tenant dans le dehors des sorties, un peu amis-amis avec tout le monde qui traîne, tout le monde qui sort. J’entends par traîne, tout ce qui erre - car on erre tout autant, à jamais vouloir rentrer avant tard, à ne pas vouloir être seule après le yé trois heures on farme, même si ça veut dire coller dans une cuisine d'étrangers à six heures du matin, à jaser intarissablement de flûte à bec comme de gouvernement des oiseaux, en sniffant des tracks ben grasses direct sur une table en mélamine, dans un épais nuage de topes et de cette confusion, si durement gagnée.


Et quand on boit comme je le faisais, les amis qui ralentissaient mon buvage finissaient par prendre le bord assez tôt dans la soirée. Pas long que j’allais m’en trouver des moins quétaines, qui allaient me suivre sur mon asphalte de Wildcat. Mon trottoir de boire. Un « Je travaille demain, pas d’autres tournées de shots » m’aurait offusqué plus ou sinon tout autant que d'apprendre que vous eussiez craché ou chié sur la tombe de mes ancêtres. Ami est un mot qui vaut pas gros au Scrabble ainsi qu'un mot qui a le dos large quand on boit, car on finit par voir double les mêmes visages, familiers comme inconnus, et on boit, puis on boit encore, et on poursuit de se voir et se revoir souvent sans même se connaître, même si la soif, elle, s'y reconnaît, s'installe chez elle, en nous. Les heures passent et on se calcifie, on se ressemble de moins en moins à force de se farcir jusqu’à se méprendre dans le reflet d'un back-bar où les bouteilles luisantes nous sourient, en évitant adroitement notre visage renvoyé enlaidi, avec pour oublier une série de vodka-pickles enlignée.


Qu’est-ce qu’un ami quand on boit? Quelqu’un qui est là, en face de toi, dans un amas flou de couleurs et de formes qui est capable de fracasser son verre contre le tien autant de fois que toé, et rire assez fort pour t’enterrer à ton énième joke de bizoune hurlée dans le plus moyennement chic des gastro-pubs de boulevard.

Lève ton verre, mon frère ! Oublie l'heure, ma soeur ! Et ça devient avant même qu'on s'en rende compte : lève ton frère, mon verre et pis oublie ta soeur, l'heure...


Et c’est pour ça que des fois, comme ce soir-là, je me trouve chanceuse de ne pas avoir trop d’amis.


* *


Le bar m’apparaît plein au rez-de-chaussée, je viens juste de survivre à la fusillade de regards dans cet interminable corridor de comptoir, où les paires d’yeux semblaient voir à nu mon tendre foie en rémission.


Est-ce que j’ai encore l’air d’une alcoolique quand on me croise ?


Est-ce que ça paraît que j’ai passé dix-mille heures assise nu-cuisses sur les genoux du diable, à éteindre le feu de ma gorge à coup de Jameson avant onze heures le matin ?


Est-ce que ça paraît dans ma face que je ravalais mes rotes-vomi même en commandant, à un comptoir comme celui-là, cet autre puis un autre gin-tonic double, pas d’agrumes, pas de glace, pas de paille – sans quoi ç'aurait été trop long l’attendre, avant de l’avaler comme une enragée ?


Est-ce que ça se voit que j'ai tant de fois mangé mon mal comme d'autres mangent du miel à même leurs mains ?


Peut-être que je capote, peut-être que c’est l’inverse, que j’ai l’air trop fraîche. Comme une fille de campagne qui revient à l’été d’être allée faire ses classes d'école dans la grande ville, qui aurait maintenant l’audace de vouloir en marier un autre que son propre cousin. Une ingrate, une déshonorante de la grande famille des buveurs. « Tu penses que tu saurions meilleure que nous autrrrres asteheurrrre ? » « J’aurions décidé de n’plus boire, pôpâ Gédéon ! »


Apparence que me voilà devenue orpheline, dans un bar d’où je ne suis désormais ni leur fille, ni leur cousine.

Ça m’apprendra, à avoir commencé à rentrer dans les débits de boisson sans les épaules voûtées, ni les cheveux couettés, les yeux devenus clairs au lieu de vitrés avec en extra la coulisse de larmes au mascara d’avoir braillé d’extase et de cette si sublime joie d’être paquetée depuis que j'suis levée. Me voilà à présent les deux seins rentrés chaussés chacun dans ma brassière, comme une crisse de pense-bonne.


Je sais que j’ai en effet sonné les cloches du déshonneur du saint-party quand survient ce gars pour qui je deviens rapidement tout ce qui ne va pas dans le monde : ceusses qui ne consomment pas.


Je comprends exactement la panique graduelle de l’alcoolique, quand on offre une bière à quelqu’un, puis que la personne, elle refuse. Alors un shot ? Un drink ? Du vin, veux-tu du vin, je pense qu’on en a du vin mais y est pas frette, en veux-tu ? Veux-tu fumer, veux-tu une clé ?


Il faut comprendre que quand on consomme, on veut que le plus de monde possible sur la planète consomme. Ma raison principale dans cette course au soudoyage de l'environnant était parce que j’ai été convaincue très longtemps dans ma vie, que s’altérer l’esprit était la meilleure chose à faire pour notre condition humaine. Je marchais et vivais en croyant que tout le monde sur la boule bleue en était aux mêmes conclusions que moi : le Monde est cruel, à quoi sert la vie, pourquoi le Monde est sans amour, let’s get fucked up ! Ne pas consommer semblait aussi fou que de choisir de vivre à frette une décâlissante sodomie servie aux mortels par l’Injustice de la Vie elle-même avec de la vitre sul’ boute du gland.


Alors, ce gars-là dans le moment présent, il veut bien faire, je le sais, mais après les quelques fois de trop où j’ai dit « Non, merci », j'ai senti son désoeuvrement, son incompréhension, sa suspicion que je sois même une police, une fuckin’ narc’ ou somethigne like that, comme on dit dans la langue de Serpico.


Et juste de l’avoir près de moi quelques instants, d'entendre ses synapses coller puis décoller d’avoir fraîchement et copieusement sniffé me ramenait au comptoir de ces bars d’après-midi, où les journées passaient comme des heures dans un purgatoire au juke-box brisé.


C’est comme d’opérer sur deux lignes de temps différentes, je voyais en parallèle le défilement possible de cette soirée.


Mais je savais encore, que cette fois-là, j’étais chanceuse de ne pas avoir trop d’amis.


* * *


Je me souviens de la première fois que j’ai vu Pulp Fiction, je devais avoir sept ou huit ans.


Une scène m’avait marqué. On voit Mia Wallace dans les toilettes des filles du Jack Rabbit Slim’s en plan serré se relever la tête d’avoir sniffé une ligne sur le comptoir du lavabo. La caméra est bloquée sur ses yeux de chat et son ti-toupette de cool, et c’est exactement ce que j’ai trouvé qu’elle avait l’air : cool, si cool.


Dans le film, les figurantes de la salle bain sont habillées dans des couleurs moins saisissantes et dans un style moins dernier cri que la fameuse ample chemise blanche et ce pantalon noir de l’héroïne qui allait, à elle et Vincent Vega, leur faire gagner un concours de danse, quelques scènes plus tard. Les figurantes semblent aussi préoccupées par leur reflet devant le miroir, retouchant leurs cheveux, leur maquillage anonymes et vacantes, pendant que Mia, confiante, se frotte la narine dans un presque clin d’œil assuré. Elle n’est pas comme les autres, elle s’en fiche comme personne. She’s the main character, v’savez.


Bref, c’est pas de savoir si oui ou non sept ou huit ans c’est trop tôt pour voir des films qui ont été célébrés à Cannes en 1994, car après tout, même dans le film, Mia rencontre un ti-peu son destin [spoilers]. Mais, peut-être, d'explorer d’où ces racines on pu naître en mon cerveau, et savoir si c’est ce qui permettra aux futures perceptions, de moi comme d'autres, de se tresser autour, de la consommation.


Quelques sept ans plus tard après ce visionnement édifiant, on allait commencer à m’offrir de la poudre dans la vraie vie et j’ai jamais rencontré une paille que j’ai refusé. La clé (aussi) est là : se faire offrir. Et je crois que ça fait partie de l’expérience féminine dans sa jeunesse, surtout, les drogues vous sont mises à disposition. Comme des raisins que l’on tend par grappes à des vestales de tableaux romains, on n’a qu’à étirer le cou pour attraper et faire éclater sur notre langue, la chair de ces fruits décadents  qui soulèvent l’opprobre. C’est facile d’avoir accès à de la poudre, des pelules, de la boisson, toute. Que vous soyez une top modèle en vogue qui fait Paris-Milan-New York en jet privé, ou que vous soyez une petite péquenaude quasi-crasseuse de Beauport qui se permet des camisoles à bretelles spaghetti du Zabé Jeans que lorsqu'elles sont en rabais en mâchant de la gomme volée au Terminus d’autobus à quatorze ou quinze ans. Bon, je vais parier un gros deux piastres que le stock des Naomi, Cindy, et Claudia de ce monde est meilleur que celui qu’on trouve à d’Estimauville, mais je n’ai pas de preuve concrète juste là.


Faire de la poudre avec des inconnus n’est pas tant rare, et en accepter ça met en confiance celui ou celle qui offre, habituellement. Et comme mentionné, de mon temps de consommeuse, j’ingérais comme une poubelle industrielle tout ce qu’on me tendait avec l’insolence d’une jeunesse qui se croit invincible.


Sauf que, je ne consomme plus. Sauf que, ce soir, je n’ai plus quinze ans, j’ai même plus que deux fois ça. Et même si ma dernière ligne remonte à ma dernière brosse avant de devenir sobre, je crois, asti, pour moi, qu’en moi il y a quelque chose qui a vieilli – même si ma face a plutôt déplissé-désenflé depuis. J’entends que quand je me trouve dans un bar, comme là, je sens qu’on me regarde plus comme une mère venue chercher sa fille (même si j’ai l’instinct maternel d’un arbre mort), que comme, justement, une fille de personne à la course à la dérive – soit l’énergie que je dégageais alors qui était, ma foi, tout à fait drette ça.


« Veux-tu une clé, veux-tu une ligne ? »

Câlice. Il y a quelques années encore je me réjouissais d’entendre ça. Pour deux raisons : Ça voulait dire que je pourrais continuer de boire plus sans me sentir trop affectée, et ça voulait dire que la fête n’était pas finie.


Vous savez ce qu’on dit, l’opéra n’est pas fini tant que la carte de débit écrase des petites roches encore…


Mais là, je suis restée bête. Est-ce que ça ne paraît pas que je suis plate, maintenant ? Ou était-ce une invitation à m’enlever cet intangible mais détectable balai du cul ?


Devant mes yeux, je voyais, vrai comme j’étais là, mon moi d’alors suivre ce gars aux toilettes, sa blonde au fond de tête Manic Panic qui me prêterait sa paille et je reniflerais tout en échangeant des banalités un peu bancales qui seraient renforcies quelques secondes plus tard par une tournée de shots pour remercier du geste, et renforcir avec eux cette nouvelle amitié. On rigolerait en trouvant des sujets communs à discuter sur fond de musique trop forte – j’étais d’un naturel adaptable, et puis ça finirait dans la cuisine chez quelqu’un vers six heures du matin. Je serais partie nu-pieds dans mes bottes mêlée du cerveau et frissonnante devant le soleil naissant, comme la plus mottée des cowboys du Far West. Mets-ça dans ta pipe, Lucky Luke.


Mais là, me voilà dire non, soulever l’ire des fêtards, en ne donnant pas trop de raison, pour l’instant. Ma main se referme et serre nerveusement le kombucha que je m'étais amené dans le bar et qui venait du café d’en face, en sachant qu’une fois fini, j'allais devoir tomber sur les 7up poussiéreux vendus à 5,75$. Ça, c’est s’ils n’ont pas des petits Perriers chauds, entreposés dans une caisse en carton à côté du radiateur...


J’ai jamais même passé proche de ressembler à Mia Wallace, en consommant.


Je ne suis jamais devenu le personnage principal de ma vie, en consommant.


Je conduisais pas de char, je décidais jamais du bar, j'étais pas la fille cool aux toilettes qui sniffe avec des fuck me eyes. J'étais figurante. Tonitruante, gênante, provocante, mais figurante.


Et je sais pas si réellement j'espérais un jour pogner la twist : suivre des inconnus une fois de plus dans les chiottes avec graffitis Call me for a good time 1-800-MON-CUL, et puis en ressortir transformée en une héroïne qui ne souffre plus. Coeur léger et cool attitude en sus.


Je suis plutôt maintes fois devenue, un véhicule, un bruit de fond, une Guédaille #3 même pas créditée au générique, parce que cette déchéance vagabonde et vorace prenait le premier plan. J’étais ma chute, j’étais l’absence de plan.


Et ça, de vouloir changer ça, c’est pas quelque chose que l’on vous pardonne facilement, finalement.


* * * *


À force de refuser ce qu’on m’offre, lentement, il se crée comme une sorte de bulle autour de moi, qui n’a rien à voir avec la distanciation sociale qu’on a connu il y a quelques temps. J’ai subi par vagues de venues le monde chaud s’amarrer vers moi pour m'offrir et puis pour mieux s’enfuir, comme des zombies affamés de cerveau qui n’ont… pas trouvé ce qu’ils cherchaient avec moi, en moi.


Et me revoilà seule. Entourée. Je suis dans un bar à spectacles. Les pires bars, finalement, une fois dégrisée. Le monde boit pour se déchirer, danser tout croche, slammer, cracher sa bière en fontaine en giguant des coudes. Et moi, au lieu de me rouler comme une truie dans sa fange, comme j’adorais tant le faire, ben, je suis assise sur un tabouret sans tanguer, tomber. Je suis à bidouiller sur mon cell, à demi en train de filmer des stories, morte d’ennui, morte de peur. Jusqu’à temps que mon ami sur scène hurle qu’il veut une pinte. Dans l’esprit du rock and roll, on salue sa demande à grands bruits de gorges chaudes. Mais personne ne s’exécute.


C’est ça qui arrive dans un deuxième étage de bar de shows : y a jamais de service. Pis les petits Perriers à six piasses sont chauds.

Alors, pendant que les headbangers éberlués constatent qu’il n’y a pas de bartendresse dans le périmètre, je prends l’initiative de traîner mon vieux cul de sobre jusqu’au rez-de-chaussée pour t’aller chercher t’une pinte de Carlsberg t’à mon tendre chantre ami.


Arrive en bas. Niaiseux en crisse comme moment, de commander une pinte maintenant. Je me sens comme si je devais sortir un paquet de cigarettes à des mineurs.


- Qu’est-ce tu prends ?


- Euh, une pinte de Carlsberg…


J’ai la fiévreuse envie de crier que C’EST PAS POUR MOI, C’EST POUR UN AMI, mais je me calme les grands chevaux de camomille.


Et là, en fait, c’est très simple si on a suivi : je dois prendre la pinte, monter les escaliers au deuxième et aller porter la pinte à mon ami sur scène. Facile, en fait. Un, deux, trois, quatre.


Alors pourquoi ça m’est une odyssée dramatique ?


D’abord, on devient con/conne en devenant sobre. Je veux dire, on oublie, on a pu le même swag en tenant un verre d’alcool. Comme les préados qui savent pas tenir une clope en ayant l’air cool, je n’ai officiellement plus l’air cool quand je tiens un verre, une pinte. J’ai l’air de la matante de Matusalem qui tient un bucket de pisse bouillante. Une relique démodée pas tant t’à l’aise.


Pendant que je m’invente des tragédies houblonnées, je décide de prendre le récipient de vitre par le haut, avec ma main en pince comme dans les machines à ramasser des jouets en échange d’un trente-sous. Bon, les escaliers maintenant.


J’avance comme si je tenais de la dynamite liquide dans une main. Je voudrais exagérer plusse que ce serait impossible. Le verre est frette et le liquide fait perler la pinte comme sur une pêche mûre à point avant d’être cueillie à l’aurore en plein juillet. La condensation qui rencontre le bout de mes doigts quand je la tiens fait compétition au wet dream que j’ai eu la première fois j’ai rêvé à Snake, le bandit dans les Simpsons. Câlice, j’ai pas le goût de boire, mais ~pourquoi~ j’ai l’goût de la boire comme ça ?


Depuis que chu rentrée icitte, j’ai refusé des bonjours, des drinks, de la coke, des pelules, des conversations, j’ai dit non merci à toute ce qu'on m'a tendu comme la plus sec’ des religieuses de partys, pis là je capote ? Là, je va crisser ma vie en l’air pour une estie de Carlsberg qui fait sa désaltérante ?


TU VAS GÂCHER TA VIE POUR UNE LAGER, MOSCINI ?

Crisse, j’ai le cœur qui bat tellement fort que c’est ça qui me fait avancer pas par pas. Mais je me suis parlé, dans ces quelques secondes mentales, il y a eu complète conversation. Me su’ engueulé juste comme y fallait, apparemment.


Je gagne en confiance au fil des marches. J’ai l’effroyable épouvante que la mémoire musculaire me fasse me clancher une gorgée de cette pinte. Je dois ac-tive-ment me concentrer à ne pas boire. J’ai l’air folle en tabarnaque. De proche comme de loin.


J’arrive en haut sous les cris de la salle de soûlons sans moi. Avec l’énergie d’une conquérante, je tends la pinte graal à mon ami qui s’en enfile une grande gorgée dans un merci assoiffé. Et je suis contente. Ma hantise s’en va au même rythme qu'il absorbe ce liquide qui m'est maudit. L'ami chantre continue à jouer, les gens continuent à danser. Je n’ai pas le goût de boire.


Je sais et je reconnais ces pulsions qui ont habité ma paume ce bref instant. C’était pas la soif, c’était le sabotage qui grattait aux portes de mon progrès.


Et une fois de plus, au moins ce soir, je peux dire que je l’ai pas laissé rentrer. Et c'est au moins ça de gagné.



 

Mon livre, S'aimer ben paquetée est disponible dans une librairie près de chez vous : https://www.leslibraires.ca/livres/s-aimer-ben-paquetee-cristina-moscini-9782895024743.html


Le spectacle du même nom interprété par la magistrale Ariel Charest est présenté à Montréal jusqu'au 24 novembre, et sera de passage en 2024 à Drummondville, Lachine, Saint-Camille, Québec, Shawinigan et Terrebonne. Dates et liens billetteries ci-dessous.

Crédit Nicola-Frank Vachon


📌DRUMMONDVILLE

20 février 2024


📌LACHINE

22 février 2024


📌SAINT-CAMILLE

24 février 2024


📌QUÉBEC

4 au 15 mars 2024


📌SHAWINIGAN

4 avril 2024


📌TERREBONNE

4 juin 2024

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