« Tu vas voir, tu vas remplacer ça par d’autre chose… »
Il me dit ça avant de s’éloigner dans un nuage de glace sèche que seule moi semble voir.
Un alcoolique en reconnaît un autre, et dans mon cas, on prédisait ma chute bien avant mes premiers émois de sobriété.
Je comprends, j’ai malheureusement et probablement fait pareil. Par jalousie ou par accident, quand j’apprenais la sobriété nouvelle de quelqu’un dans mon entourage. Je souhaitais qu’il recommence. Pas tant pour nuire, mais pour recommencer à m’accompagner. Pour pas perdre quelqu’un de mon équipe. L’équipe des Turbo-Soûls, des Chevaliers Pas de Médailles, on s’entend, où j’étais la servile catcheuse, Capitaine Soifarde, Princesse Gosier, Keg Destroyer, et j'en passe, et des meilleurs quolibets auto-proclamés...
Quand on boit avec passion, quand on est un alcoolique pratiquant, on ne veut pas perdre personne de son clan. La qualité d’une personne se calcule à sa capacité d’absorption. Iglou, mon chum, iglou. Ainsi, je préférais la compagnie de ceux qui pouvaient me suivre dans mes délires et galères que n’importe qui de longue date ou avec qui j’aurais eu de véritables affinités.
Des frères et sœurs de comptoir, j’en avais plein. J’étais jamais vraiment orpheline de la bouteille.
Mais là je bois pu.
Depuis huit mois.
Et quelques.
Mais là les bars sont fermés.
Depuis une éternité, semble t’il.
« Tu vas remplacer ça par d’autre chose… »
J’ai effectivement remplacé la boisson par autre chose :
Me lever crissement en forme pis aller marcher dehors même quand y fait frette comme une vraie frais-chiée en queue de cheval.
J’ai remplacé ça par régler mes estis de problèmes avec un madrier verni pour varger les restants de tourments qui me mangeaient l’écorce.
J’ai aussi remplacé ça en m’achetant des choses.
Oups.
Keching.
J’ai jamais été ben ben matérialiste. Je disais fièrement dans mes années de beuveries que tant qu’y aurait à boire, tout ce dont j’ai besoin c’est du vin tous les matins, une gamelle de moulée de temps en temps, et mon coat en léopard de dame du soir.
C’est cool, c’est cool. Ça a aussi fait qu’y a pas si longtemps à trente ans passé, j’avais même pas une fourchette en mon nom.
Et maintenant.
J’ai récemment fait l’acquisition de nouvelles serviettes à main,
Pour aller avec les murs de la salle de bains,
Que j’ai récemment rénové,
Pour faire matcher avec le nouveau rideau,
Qui lui va bien avec la nouvelle déco,
Qui elle va bien avec mon nouveau style,
Parce que mon nouveau cul hurlait pour des leggings écoresponsables,
Et que mon rack à boules réclamait une bralette en bambou assorti,
Pour aller avec mon nouveau hoodie,
Qui lui s’est fait livré en quelques clics,
Clics, clics, clic, clique ici.
La page @soberbabesclub a posté récemment là-dessus :
Apparemment que la dépendance peut nous faire devenir shopaholic. Si vous êtes passés par là, éclairez-moi. Si vous songez à arrêter de boire, tenez-vous le pour dit :
Vos sorties à 300$ digérées et dégueulées
Vont se transformer
En quelque chose de sorti de Pinterest.
Comme si je possédais plein de thunes...
Mais à choisir, je préférerai #instagrammer mon nouveau lounge wear que mes flaques de biles rageusement recrachées de tous les Sancerres de la Terre engloutis.
Futurs sobres, soyez tout de même prudent.es !
On se reparle avant les Fêtes,
Quand je serai devenue
Une associée Walmart
Pour payer mes dettes de tapisseries
Et de faux cactus aussi.
Illustration de Victor Victori, Three drunk women.