Le solstice d’été est là.
Y a de ces choses qui font frétiller de vieilles tensions, ou qui réussissent à « triggerer » le vieux navire que je suis. Et plus je m’anoblis en années, plus je me rends compte que certains de mes tressauts qui sont reliés à la consommation trouvent leur source dans l’anxiété.
Oui, j’ai l’estival infernal.
Si y en a pour dire Dehors, Novembre, moi je me réclame de Du balai, Juillet !
Mais d’où vient ce capotage comme ça, à l’arrivée de l’été ? De quessé, ce syndrome de choc post-traumatique de Grande-Allée ?
Ben justement,
ça m’a fait reculer dans le temps,
De marcher de même
par beau temps
À revivre
mes années de restauration
En été, étudiante,
cassée, fêtarde,
Je repasse
devant ces mêmes restaurants,
Je vois ces jeunesses
en jupe noire
et talons plats,
Arroser les bacs à fleurs,
et faire des roll-ups
de fourchette-couteau,
Teint vert et queue de cheval,
À préparer l’arrivée
du rush du midi
et de celui du soir,
Ding-ding, ça sonne au passe.
Bon, bon, bon,
C’est un restaurant,
Z’allez me dire
C’est pas comme
travailler à l’urgence.
Et pourtant, quand on travaille sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, ou qu’on est en lendemain de, comme je l’ai fait une majeure partie de ma vie; c’est Kaboul, esti.
Et l’appréhension, la hantise plutôt, « qu’on allait se faire défoncer » à vendre des pichets, des burgers-avec-frites-ou-salade, des tours de fruits de mer qui ont eu aussi chaud que moi, des sangrias allongées au Seven Up sorti du gun pression collant de 7-8 mouches à fruits, ça me foutait les jetons, sacrament. Et ça me faisait l’excuse belle de boire, avant d’aller travailler, et sur mon shift, autant que je pouvais. Tsé, pour me rendre agréable.
Si vous avez déjà eu affaire à une serveuse soûle dans la ville de Québec, sporadiquement entre 2004 et 2018, c’était moi la coupable : Colonelle Moutarde, avec le Sauvignon tiède à mollet, dans le backstore.
Dès mes premières jobs à 15 ans, je buvais. J’aimais pas l’été. J’haïssais l’été, en fait : y fait trop chaud, c’est thumide, j’ai pas découvert encore les vertus du shampoing sec sur mon cuir chevelu trop chatoyant. Toute le Vieux-Québec sent les toilettes bleues, le plastique des bébelles à touristes, et le métal laissé au soleil des porte-clés de Château Frontenac made in China vendus à fort prix. Ça sent aussi la marde des chevaux qu’on fouette-coche sur l’asphalte bouillante de la rue St-Louis jusqu’au boulevard Honoré-Mercier dans les journées de canicule, pour traîner des vacanciers en quête de saveurs d’autrefois. Ça sent la sueur du staff dans le linge noir synthétique obligatoire. Ça sent la pivoine du parfum des madames pas fines en anglais. Ça sent le weed aux tables des ados qui tipperont pas. À 15 ans, ça sent comme un été d’enfer. Y fait chaud, ça pue, pis chu pas ben. Faque, cherchez-moé pas, pour m’endurer, ej’ boué.
Puis, à travers différentes jobs, et parcours scolaire, je m’éloigne un peu de la restauration. Je deviens avec un horaire régulier, une heure pour aller luncher, des congés en même temps que n’importe quel employé de bureau dans une compagnie enregistrée. Lundi au vendredi, prends ta pause, mange une pomme, mets le rappel du téléphone quand tu pars pisser. On est tu ben, dans un bureau, fenêtres vissées, air ventilé ? Pas assez, apparemment, car je me ramasse dans la jeune vingtaine à cacher du fort et du vin en bouteille dans mon deuxième tiroir. Je bois des cafés arrosés les journées les moins spéciales du monde. Lundi, 10h15, j’étais déjà chaudaille sur ma chaise rembourrée. L’après-midi, les grilles Excel se brouillaient devant mes yeux. Quand l’été arrive et que je suis enfin en vacances, je suis déjà brûlée. Alors, pour me donner de l’énergie, je bois. Je retourne à ces terrasses. Je ne suis plus l’hôtesse, mais la madame qui se fait assire. C’est nouveau aussi, ça, se faire appeler madame par du staff, ça vient avec la vingtaine, et les yeux cernés gros comme deux 1.18L de Colt 45 calés au parc, comme dans le temps. Je bois, dans mon linge de bureau acheté dans un bac à soldes du Château, et je me sors de force tous les jours d’un lit que je ne voudrais jamais quitter, pour jouer à l’humain, 40 heures/semaine. J’ai 25 ans, je bois pour taire la clairceur du solstice, alors que je rêve d’hiver et d’obscurité noyée.
J’ai toujours bu, peu importe le jour ou la saison du calendrier, mais j’avoue que l’été m’a toujours stressé. Cette illusion de temps suspendu, cette présence insistante du soleil, des rues piétonnes, des arts de rue, des bums en bedaine, des tondeuses à gazon, des briquettes de charcoal, des mouches, de la nature luxuriante douze semaines par année, ça m’horrifie.
Mais y a moyen de trouver un peu de sérénité à travers tout ça.
Cet été, j’aurai 35 ans. L’âge le plus vieux que j’ai jamais eu jusque ici. Je repasse devant semblables terrasses, avec leurs bacs à fleurs, les pichets d’eau qui perlent de condensation sous le Celsius. Je vois les busboys et serveuses coller puis décoller des tables pour accueillir des groupes qui n’ont pas réservé. Je vois aussi les clients, soûls, j’entends l’alcoolisme dans la façon de se commander une bouteille et un cocktail en même temps. Je passe et me revois, une vingtaine d’étés vécus en arrière d’la cravate. Toute l’angoisse que je me faisais. Toute la soif que je me créais. À tuer les heures d’une vie que je n’aimais pas. Cet été, je vais avoir 35 ans, je ne me réveille plus avec la nausée. Mes 836 brosses épargnées m’ont permis d’enfin acheter un air climatisé. J’ai trouvé un rythme et un horaire qui ne me tourmentent plus. Je dors, au lieu de dessoûler autour de la bol toute la nuit, en attendant d’aller puncher.
Je marche aujourd’hui, et j’apprends à faire confiance à cette vie que je réussis à me créer sur mesure, et j'aime à croire que je ne crains plus l’été.
S'aimer ben paquetée, le monologue...
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