J'ai regardé la saison 4 de Maron, une série basée sur la vie réelle de l’humoriste et comédien américain Marc Maron, et qui parle de ses déboires à travers l’alcoolisme, la sobriété, la rechute, la rédemption.
Il y a une scène où il embarque sur le pouce un genre de bonhomme inconnu sur la brosse qui semble pas trop savoir où il s’en va et il dit à Marc en débarquant quelque chose comme « Ok, pis tu viendras m’ramasser quand t’orpasseras ! » et sans savoir où ce sera, quand ce sera, et le soûlon inconnu repart en titubant.
La scène est assez anodine, et c’est pas le moment le plus frappant d’ébriété que j’ai vu à la télé, ni même dans cette série (qui est pas pire pantoute), mais y avait quelque chose dans la nonchalance du personnage en ébriété qui m’a fait flasher sur mes propres années de boisson.
Ce que j’aimais de me paqueter, c’était l’abandon de la raison, du système de la société convenable (guillemets invisibles ici), et puis du fonctionnement d’adulte responsabilisé. On appelle bien ça partir sur une galère après tout...
Et galère c’est : on dérape, on fuit le rivage, on se perd en mer, au centre comme en profondeurs. On se naufrage, on se noie. Les moments de belle flottaison sont plaisants, on devient sourd comme avec de l’eau dans les oreilles, nos membres n’obéissent plus à la gravité, le temps est une horloge brisée coulée avec le Titanic, et nous, on flottille. Balancé. Ballotté. Soûl.
Crisse que j’aimais ça partir sur des brosses de même, « Ça finira quand ça finira ! » « Tu viendras m’ramasser quand t’orpasseras ! », que de billevesées d’ivrognette ! J’avais cette immense impression de liberté, totale. Un sentiment de plénitude doublé d’arrogante invincibilité… pour quelques heures, ou pour quelques jours, si j'étais chanceuse.
Est-ce qu’on regrette d’avoir arrêté de consommer ? Non. Parce qu’on reconnaît que cette liberté limitée d'imbibée coûtait cher, au taux de change de la réalité...
Pour chaque balloune partie de 'liberté', on perd une semaine d’ouvrage, on s’endette, on se tue la santé, on fait des bêtises, on se sabote, on brûle des ponts. Et cela pour avoir voulu jouer à l’autruche une coupeule de jours. Les problèmes, eux, ont l’élégance et la courtoisie de t’attendre au retour. Quand tu débrosses, plus pauvre, plus bouffie, plus maganée, moins avancée, moins entourée, moins vivante, 'sont là : soleil levant, soleil couchant. 'Sont pas pressés, tes problèmes, quand t'es pas pressée, toi, de les régler.
Mais l’illusion était pour moi si forte, que j’ai misé toute la première partie de ma vie sur ce cheval qui clopinait tout croche, en me disant que c’était lui qui allait me donner le plus de fun.
Si j’avais su que des années plus tard, je serais en train d’écrire un texte vantant la liberté de la sobriété, je vous aurais roté ma Molseunne dans ‘face à vous en éventer le toupette !
Mais, oui, tsé, la liberté organisée de la sobriété.
Tous les bruits épeurants qu’on veut taire en s’enfouissant dans la substance, en devenant sobre, on se développe alors une force pour les faire taire correc’, au lieu de juste se couvrir les oreilles avec nos deux mains. Mais bientôt, c'est pu ça. C'est pu assez. Trouver la source, réparer la fuite, et si ça se répare pas, décâlisser la maison, puis rebâtir. Rebâtir ce qu’on a détruit. C'est ça qui nous démange de faire, nous, les nouveaux sobres.
Et planifier. Ark. Esti de mot écœurant que j'haïssais tant. Ça m'est devenu maintenant un outil naturel. Je ne me cache plus rien. La dépendance survit dans le secret, dans la noirceur. Je regarde mes chakras internes comme mon agenda externe astheure, avec un miroir grossissant, me cherchant les points noirs de l'en-dedans, cherchant ce qui nécessite attention, entretien, suivi, soutien. C'est de la maintenance, qu'y z'appellent.
Et aussi peu sexy que ça puisse sonner, une fois qu'on se les place, les pieds, y nous reste tout le temps du monde pour se la construire, notre vie de rêve.
Notre Acapulco, notre Eldorado, nos Îles Sandwiches, ou ce que tu voudras. Dans moins longtemps qu'on penserait, cette vie idyllique comme une annonce de décapotable sur une highway californienne en août 1969, cheveux au vent et mains en étoiles vers un ciel bleu de promesses de roses, d'or et d'éclats d'argent ne semble pas si dément.
On cesse de mettre du Febreeze sur notre marde et on ouvre plutôt une fenêtre. C'est déjà ça.
Faque c’est un peu ça, la liberté organisée de la sobriété.
Prime abord, on a l’air du plus plate des ouistitis vus de loin, 'sommes pu le bout-en-train qui dégueule par la fenêtre du truck...
Mais si on regarde bien, ça marche pas mal plus vite et plus loin en ne se trainant plus une enclume au foie, qu’on alourdit dans la fatalité de chaque gorgée en se levant le matin.
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La série MARON (Saisons 1 à 4) est en quelque part sur les plateformes de streaming, je recommande, comme y disent !
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Mon livre en librairie et en ligne le 17 octobre !