top of page
  • Photo du rédacteurCristina Moscini

La Traversée des traversés

Dernière mise à jour : 19 déc. 2023

Récit composé pour un événement littéraire à Québec en 2017, Kamourascrap, qui s'amuse à dévergonder les classiques de la littérature québécoise. Je m'étais prise au jeu avec la Chasse-galerie d'Honoré Beaugrand. Honorés, vous ne le serez peut-être pu à la fin de ce conte, c'est pour les oreilles, yeux, tubes digestifs avertis. 28 ans et plus.


L'illustration est de l'excellente Geneviève Boivin.


Si nous avions su l’enculade superbe qui nous attendait ce soir là, ce maudit soir, évangélique, peut-être bien, mais encore là rien de moins certain, que nos vies auraient pris une tournure différente.


Un soir de réveillon de décembre, en bordure d'un camp de bûcherons au Nord-Ouestre de Gatineau, 1851. Ou pas.


À part de moi, il y en avait sept autres gars. Des gaillards d’une corpulence pas gênante pressés d’aller retrouver nos retroussables jouvencelles promises et leur imposer notre sept carré dans le menuet. Le frette nous pognait au corps, après des semaines entre hommes au campe, on avait la poche pleine pis lourde, les gosses qui pétillent et pis la queue drette comme une flèche, avec le gland qui nous pulsait à moindre brise de décembre de goût de s’échapper avec éclat, d’éclabousser un jardin de givre dans la blouse de nos hivernales conquêtes.


Toujours est-il qu’y fallait se rendre l’autre bord de la rive pour empoigner nos désirables pour une danse collée. Notre laquais de campagne, Hubert, nous avait fait faux bond et nous étions donc sans embarcation pour la traversade de retour en plein soir de la Noël. Et v’là que Paradis, gros christ de gabord d’homme, y se met à brailler comme une chapdeleine, la yeule fendue jusque vers le ciel qui était, ce soir-là, d'un ténébreux assez chambré :

« Satan ! Roi des enfers, nous te promettons de te livrer nos âmes, si d’ici à six heures nous prononçons le nom de ton maître et du nôtre, le bon Dieu, et si nous touchons une croix dans le voyage. À cette condition tu nous transporteras, à travers les airs, au lieu où nous voulons aller et tu nous ramèneras de même au chantier ! »

On te l’a regardé comme si la berlue y avait pogné. Un blizzard - pas un ange, passa.

Comme un sifflet de glace, le vent nous fila jusque dans le trou d’cul, nous gelions jusqu’à l’échine. Ce vent poursuivit de nous geler le vertical charpenté, à nous en plisser le grimaceur de douleur, et la poudrerie, en une bourrasque de danse d'ensorcelante, nous frappait les tempes à en oublier le Nord pis le Sud, sans même se rappeler qui fut l'Est ou l'Ouestre.


Une silhouette apparue devant nous autres. C’était le Diable, probablement.

- Salut à vous autres, mes hommes, qu’il dit, je suis celui que vous appelez Satan. Comment ça va ?
- Pas pire, pas mal ! que je répondis, juste pour y montrer qu’on savait répondre. Mon… mon bon monsieur Satan, écoutez… Nous là, on quérirait de se rendre de l’autre côté de la rive, pas trop plus tard que maintenant, pour aller fêter avec nos belles demoiselles en ce soir de Fêtes…

Les autres gars m’orgardaient comme si c’étions devenu moi le porteur de nos paroles à c’te Roi des enfers.


- Vous voulez vous rendre de l’autre côté de la rive, dit le Diable qui comprenait vite. Et vous voulez mon aide ?

Vu qu’il avait entendu le marchandage hurlé par notre Paradis de tantôt, il accepta l’offre et nous expliqua l’embarcation maudite qui nous permettrait de traverser rives et cieux.


- C’est pas si simple, commença t’il, mais c’n’est pas impossible. Voyez vous, pour tronquer la longueur de rive, même si dans les airs, il faut singer la longueur d’un canot. Et de canot vous ne possédez point. Moi, par contre, j’ai comme qu’y diraient des pouvoirs de magie, mais limités, malgré ce que vous bigres bougres colportez. Je ne peux, vous faire apparaître un canot bien gouvernable, mais je peux me transformer en canot…


Au moment de prononcer ses mots, sa fourche, serpentant son derrière pour s'enligner dans l'en-avant, et s’allongea d’au moins une, une bonne, verge.


- Voyez-vous, poursuivit-il, ceci vous servira de gouvernail. Le plus brave d’entre vous devra chevaucher ma verge veineuse tel un carrosse jusqu’à l’autre côté de la rive. De cette façon, en la prenant en vous, vous pourrez vous dirigez dans les cieux à votre guise.


Peu frileux malgré la tempête à naître, je me portai volontaire et m’agenouillai pour empoigner à deux mains gercées le glaive conducteur du démon.


- Mais non, pauvre bougre ! qu’il s’exclama. Vous aurez besoin de vos paluches pour conduire les cieux. Vous devez vous prendre mon gourdin dans l’arrière de votre train.

Piteux mais résigné, je me retournai de bord, et m’accroupis à califourchon sur le prisme satanique qui me brûla sans attendre de toutes mes chairs d’homme à chaque centimètre d’enfonçage. Bon diable, le Diable me demanda de cracher dans le creux de sa main et puis s’engagea à en me badigeonner les parois du trou d’cul avec mon propre glaviot. Comme par magie, sa mèche se faufila vivement dans mes tripes puis mes poumons tel un atikamekw qui nous aurait échappé jadis. Le gland pulsant finit sa course en me ressortant par la gueule, à peine épuisé de ce premier labyrinthe d'homme, se reposant, défiant, sur ma langue lourde de présence. Pris de possession par la créature mi-mâle, mi-animale, je me sentis léviter, voler. Je ne portais plus terre. Euphorique, à chaque poussée de Satan derrière moi, en moi, je me sentais déjà avancer. Comme un matelot céleste et emboufté. Puis, Paradis et les gars nous ramenèrent à terre de par ces mots :


- Oh, hé ! Mais nous ? Nous aussi nous voulons, nous voulons… Nous devons aller de l’autre côté de la rive ! s’écria Paradis, avec, curieusement, la même exacte voix qu’il avait lorsqu’il nous parlait, tout bouillant de sève, de sa fiancée.


Satan, pas désarçonné, se mit à faire pareil des autres gars, les pinant un à un comme moi, comme de nouvelles billes d'un chapelet nous défonçant collectivement la boîte à crottes, un tricotage serré de queues, de culs, de couilles, de gueules et d'intestins farcis se préparait. En moins de temps qu'il en aura fallu de se développer des engelures autour de nos toisons périnanales excitées et frétillantes, la queue leu-leu pris forme, et l’enculade prodigieuse se produit. Nous avions l’impression de prendre le ciel d’assaut. Pris de vertiges, les gars répendaient déjà sauvagement leur propre semence dans le dos du gars d’en avant, et ainsi de suite, jusqu’au Diable, sur lequel - vu qu'il était tellement chaud ça faisait juste tssshhhhhhhh ! De loin, on aurait pu créer l’illusion parfaite d’un canot monté d’hommes montés comme des ânes, en file indienne, et oh ! Hisse ! qu’on disait, qu’on rugissait bientôt. Oh, hisse !... Ohhhhmn… que c'était donc mal, que c'était donc bon. Ohhh, HISSSSSSSSETIDECÂLICE !… À quelques moments seulement de virer l'oeil, je vis le bout du gland du diable entre les dents de Paradis, qui prenait la forme d'abord triangulaire, puis les pointes s'étirant, d'un crucifix.

*

Un nuage épais de nocturnerie m'empêche de bien me souvenir, de toute goute de mémoire d'après giclée démonique.


Apparemment qu’il s’agit d’un bien beau Noël. Nul souvenir de ce qui a pu se passer sur l’autre rive, nul souvenir de nos douces blondes copines, mais nous nous sommes réveillés après l’arrimage, entrelacés, là même exactement où nous étions avant de partir – comme… exactement même, comme si nous n’avions jamais quitté la rive, embrouillés, embouteillés de rhum et de caribou, étrangement amoureux, et le trou de cul en feu.


43 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
Post: Blog2_Post
bottom of page