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Photo du rédacteurCristina Moscini

Le burlesque en 2030...

Dernière mise à jour : 23 mai



La première fois je suis montée sur une scène pour enlever des gants, des bas résille et un corset, c’était dans un Café Campus à moitié vide, un soir de juin 2011...


D’abord, c’était plus une soirée de 'spectacles' d’audition pour sélectionner dans le défilement des numéros des candidates, une artiste qui pourrait aller représenter le Blue Light Burlesque au Festival de Burlesque de Toronto.


[Impudente Bambi Balboa, en 2011.]

2011 apparaît comme une autre époque déjà. Je me souviens qu’il fallait apporter son cd gravé avec sa pièce. C’était avant Instagram, avant les Lives Tiktok, et quand il fallait faire imprimer le trajet de char sur Google Map, qui amènerait la jeune fille de Québec que j’étais jusqu’à la scène, rue Prince-Arthur à Montréal.

J’étais nerveuse pour des raisons techniques. Me mettre en bobettes et presque nu-seins devant le monde ? Pfff. Pas gênant, je l’aurais fait volontiers en hurlant du Metallica après avoir vidé une caisse de douze. On voit que mon background de Beauportoise ayant grandi sans le câble ou de plus intellectuelles distractions était prédisposé au théâtral, ou encore, cette expression que j’aime bien pour décrire ces déplaisants publics bruyants as fuck que nous sommes, au « plus grand que nature ». Était-ce alors de me produire devant un panel de jury qui allait décider si oui ou non y avait de l’avenir dans mon déshabillage ? Non plus, car j’y allais avec la volonté ferme et le même courage dévergondé qu’une jeune fille va rencontrer son cousin préféré sur le bord du quai un soir d’été. J’avais peur, en fait, que mes pasties tombent, ou que mon corset reste pris dans le grément de mon costume. C’est pas mal tout. Tout le reste n’était qu’anticipation joyeuse et je savais déjà que je trouverais dans cette expérience le même sel de la vie qu’un chien qui sort sa tête de la fenêtre du char pour cueillir au visage l’air velouté d’une ballade en autoroute.


[Le premier show burlesque à Québec, 27 août 2011.]


Toutes les autres filles ou presque ce soir-là de juin 2011 en étaient alors à leur première performance scénique. Si on m’enlève le théâtre et l’impro au secondaire, j’étais neuve aussi. Pas grave. J’avais découvert le burlesque quelques années avant à un spectacle du Blue Light Burlesque, que je suivais sur MySpace, au glamoureux Cabaret La Tulipe, où l’enfilade des numéros d’artistes toutes différentes m’avait ouvert l’horizon sur ce qui s’en viendrait pour moi. J’avais alors eu l’impression d’assister à quelque chose d’important. C’était en 2008.


Retour en juin 2011 à Montréal, je suis dans les loges avec les autres participantes. On ne se connaît pas, mais on s’aide déjà à attacher les bas et porte-jarretelles, on se prête de la colle à faux cils, on rigole, et on franglicise, Montréal oblige. Dans le pacing, je suis quatrième. C’est parfait, que je me dis. Pas trop besoin de casser la glace, et ça donne assez d’air pour voir d’autres performeurs avant. C’est pas trop tard non plus que je sois trop paquetée pour oublier ma choré. (Un souci technique qui m’a suivi longtemps.) Dans les loges, pour arroser les papillons dans le ventre, un bac gris par terre rempli de Boréale en bouteilles. 2011, on se rappelle, c’était juste un ti-peu avant l’immense déferlante commerciale des bières des milliards de microbrasseries, et des IPA opaques comme du jus d’orange tiède. Pour une fille ayant grandi sur la Labatt et la Molson, j’étais pas regardante. Iglou.


[Un exemple de préparation dans les loges, crédit Annie Fournier.]

Des numéros passés avant moi, il y avait une religieuse qui se fouettait sur du Marilyn Manson, une Mère-Noël sexy qui resta couchée longtemps sur le stage, façon sexy, et une policière (sexy) qui a perdu non pas un, mais ses deux cache-mamelons, un après l’autre. La pauvre fille, que je pensais, la gueule à terre. Mais ça m’a réconforté, comme elle passait juste avant moi, me disant que c’est pas le genre de choses qui peut possiblement arriver deux fois dans un même show, dans l’univers des probabilités…

J’ai été chanceuse : tout ce qui avait à être enlevé le fut, tout ce qui devait rester collé, l’est resté. Mon numéro n’était pas à tout casser. Être gentil, on dirait qu’on y ressentait beaucoup de fraîcheur et beaucoup de candeur. D’ailleurs, des années plus tard dans ma troupe, on allait utiliser l’expression « garde ta belle candeur » pour quand quelqu’une avait l’air un peu tarte. Ma pièce était « I wanna be evil » par l’ultime et très féline Eartha Kitt. Spoiler alert, j’ai pas gagné, mais j’avais gagné deux fans. Un couple de deux beaux et charmants dans la fin vingtaine sont venus me voir pour me dire qu’ils avaient adoré ma pièce, et ma personnalité à travers mon numéro. First, the gays, then, the world !, comme disait Samantha Jones. Et c’est un peu là que j’ai commencé à développer ma personnalité burlesque. Je n’étais pas de ces filles avec un costume à 10,000$ patiemment incrusté de cristaux cousus. Je n’étais certainement pas une as de la chorégraphie, ma motricité stimulant plus souvent le rire que les érections. Mais ya' gotta' get a gimmick, if you wanna' get ahead, n'est-ce pas ? Alors j'ai appris à me servir de ma face pour créer des décors à mon histoire. Malgré le rudimentaire de mon costume, je me suis rapidement rendu compte que je pouvais faire passer des idées de mise en scène, de narrative, à travers mes expressions faciales. Et ça, pour une tite burlesque cassée sans le sou et sans ben des choses, ça vaut de l’or.


[Crédit Llamaryon, Burlestacular au Cercle, 2011.]

Je repars donc à Québec et avant de débarquer du char, j’ai crée une troupe. Je rassemble mes amis, mes ressources, et avec un budget équivalent à 37$, du tape gris, des emprunts à gauche à drette, du front tout le tour de la tête et des collaborations allant de graphiste, photographe, danseuses, serveuses, étudiantes et jeunes mères, on tient une troupe qui s’appelle Burlestacular. Les affiches sont placardées dans la ville et le set list n’est pas encore placé.

De 2011 à 2017, j’ai vécu le burlesque principalement à travers ma troupe en produisant des spectacles, mais aussi en collaborant à des événements culturels dans la ville, en participant parfois à d’autres shows à Montréal, et j’ai vu le mouvement prendre de l’ampleur avec les années. Burlesque et féminisme. Burlesque et érotisme. Burlesque et politique. Burlesque et souveraineté... J’avais maintenant le discours articulé, je redirigeais les gens vers les ressources d'actualité comme d'Histoire. Et ça c'est multiplié, ailleurs comme ici. À un certain moment, même dans une ville petite mais grouillante comme Québec, il y avait du burlesque pour tous les styles.


[Burlestacular, shooting pour Télé-Québec, 2014.]


Pluralité des corps, ça ne faisait que commencer. Le burlesque était une réponse à une génération de femmes grandies avec l’idée de la sexualité étant une multitude de femmes anonymes et interchangeables en train de se faire driller dans leur chatte shavée en gros plan en miaulant en sol mineur. Le désir qui était encore peu exploré était qu'on peut être sexy aussi, à notre façon. On se réapproprie notre corps, notre sexualité, nos conditions. C'est correct de faire sa chaude en public, et d'être célébrée même, sur scène. Avec la répartie qui vient avec.


[Shooting promo Burlestacular, 2016, Crédit Marion Desjardins]


« Oui, mais se mettre toute nue devant le monde, est-ce vraiment sexy, est-ce intellectuel ? »
C’est les deux, Mathilde, que je répondais.

Le burlesque était mon moyen de transport, et dans ce char je parlais féminisme, aliénation mentale, histoire du Québec, condition féminine, affranchissement sexuel, entrecoupé évidemment d’un peu de niaiseries pour faire passer la pilule à paillettes.


[Burlestacular, Parties intimes, 2017.]


Ce qui fait que mon focus a été là, principalement. Quand j’ai cessé de tirer ce char d’assaut avec mon moteur de mouche, le burlesque, lui, n’avait pas cessé d’évoluer aussi, autour de moi et dans les autres villes. L’idée de troupe était de moins en moins populaire, et plus difficilement soutenable au niveau financier. Les artistes deviennent alors solos, autoproduites. Les spectacles sont maintenant rarement linéaires comme un show de théâtre, mais plutôt avec une thématique ouverte et malléable, permettant à chacune, chacun, de l’interpréter à son style. Bowie Burlesque, Britney Burlesque, Rocky Horror Picture Show Burlesque, Stranger Things Burlesque. Le Wiggle Room sur St-Laurent devient, quelques années après son ouverture en 2012, une plaque tournante du burlesque très montréalais : éclaté, diversifié, ancré dans la culture populaire, toujours évoluant près des goûts du jour dans l’actualité.


Jusqu’en 2019, mon dernier passage au Wiggle Room pour un show burlesque inspiré de la série The Office (je faisais Jan), j’ai vu les changements depuis 2011 : Même camaraderie dans les loges, avec même un respect augmenté. Si une personne ou un tech doit entrer, il s’assure que c’est ok avec tout le monde. Une des choses qui n’est souvent pas comprise, est que même si les artistes montrent tout sur scène, ça ne veut pas dire que vous pouvez entrer et sortir comme dans un moulin pendant qu’elles se changent, la cenne à l’air ! C’était, à ma connaissance, toujours quelque chose de présent dans la fenêtre temporelle où j’ai pratiqué cet art, mais il me semble que ces précautions sont maintenant encore plus appuyées. Et c’est très bien ainsi.


Un autre changement est la possibilité de rejoindre son public directement via multiples applications : on se fait un Boomerang avant de monter sur scène, on fait un TikTok pour stimuler l’achat de billets, on publie un selfie sur l’événement Facebook, on monte sa base de fans sur Instagram. Le clout is real. Il permet aux artistes d’avoir la visibilité pour rejoindre des gros festivals, de communiquer avec d’autres artistes, d’organiser à leur tour des événements, des collaborations. Sky’s the limit.


[Crédit Martine Isabelle. Elle Diabloe, Mstr Sstr, Bijou Bisou, St-Élie-de-Caxton, 2019.]

Et puis la Covid nineteen…

Les arts de la scène mangent une volée sans précédent.

Si certains shows peuvent se transposer dans des ciné-parcs, ou dans des salles avec la distancion sociale, le burlesque est voué à échouer sans la proximité. Dans des endroits comme le Wiggle, où la proximité est encouragée parfois en prêtant le serment burlesque en début de spectacle, sur la fesse de son voisin de table, le public est nécessaire au succès du show. Le public fait partie du show. Avec ses réactions, ses ouhhhhh, ses ahhhhhh. Ses applaudissements et cris sont le fuel requis pour l’artiste qui se dénude à quelques pieds d’eux.

Plusieurs initiatives naissent depuis ce printemps, parmi tous ces artistes en perte de revenus : des shows live en ligne, des ateliers, des performances pour des bonnes causes, en ligne toujours, mais jamais avec le même impact qu’en chair et en gloss.

De ces initiatives, se démarque le Stir Crazy Show, un show culinaire déjanté crée par Divine Danny Dee et Elle Diabloe, un couple de headliners très appréciés du milieu montréalais (et ailleurs), qui sont arrivés avec cette proposition un peu champ gauche, mais qui vise dans le mille pour recréer cette ambiance, cette proximité qu’on retrouvait, accotés au bar du Wiggle Room. Ils créent des recettes, certes, entrecoupées de cocktails, invitent Galadriel Caresse « A sexy woman eating », toujours avec cette twist chaleureuse et inattendue qui est très certainement bienvenue, dans ces temps incertains


[Danny Dee et Elle Diabloe, au Wiggle Room.]

Le burlesque en 2030…

À l’instant où j’écris, personne ne sait quand on reviendra à la normale, si retour à la normale il y a. Cela dit, avec ou sans pandémie, comment le burlesque sera t’il appelé à changer dans dix ans, alors que sa vitesse évolutive se fait déjà ressentir en quelques mois seulement ? Peut-être suis-je atteinte d’un optimisme « qui garde ma belle candeur », mais je crois que le burlesque est sur une belle lancée.


En continuant toujours d’être inclusif, diversifié, très soucieux d’être à l’écoute de ses artistes issu.e.s de cultures, d’horizons différents. L’abus n’est pas le bienvenu parmi les tounus, et le filet social de cette communauté, est, je le constate, très fort. Et je ne peux qu’admirer, et espérer qu’il puisse déteindre, sur le reste de notre société…


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