Est-ce qu’il y a vraiment des sujets tabous lorsqu’on parle d’alcoolisme et de dépendance, ou plutôt de ce chemin de la ‘rémission’ ? De ce que je lis, ou de ce que je constate, comme retours que j’ai dans ce que j’écris, c’est qu’on gagne énormément à être le plus ouvert possible, le plus sincère, sans filtre. Après tout, quand j’ai été paquetée devant tout le monde pendant vingt ans, ce serait fou de s’inventer une pudeur maintenant sobre.
Un des sujets moins abordé jusqu’ici sur ce blogue (psst… Tous mes billets relatifs à la sobriété se trouvent dans l’onglet Boisson), est celui des relations d’amitié. On sent, en devenant sobre que notre comportement sera différent quand on entrera à nouveau en relation avec un partenaire amoureux, mettons, mais qu’en est-il des relations amicales déjà existantes ?
Est-ce qu’on peut perdre des amis en devenant sobre ?
Ma première expérience dans ce domaine-là n’a pas été quand moi je suis devenue sobre, mais quand un ami avec qui je consommais régulièrement depuis l’adolescence s’est finalement choisi et a arrêté de se scrapper. Au début, bien égoïstement, je pensais à ce qu’il adviendrait de moi, sans partenaire de brosse et de comas éthyliques étalés sur des fins de semaine maganantes au possible. Puis, je me suis rendue compte, que sans la boisson, la consommation, on n’avait peut-être pas tant de choses en commun : il votait conservateur, je suis plus socialiste que le premier costume trois pièces brun de Bernie Sanders, il était Serpentard, j’étais Poufsouffle, il écoutait du country, j’écoutais… probablement de la marde, mais là n’est pas mon point. On s’est perdus de vue quelques temps. Même si c’était un bon ami, qui au fond, malgré nos différences, avait été présent comme un frère, on n’était plus, pendant un certain moment, sur la même fréquence.
Et c’est une cassure, qui je le crois, sera inévitable pour plusieurs relations dans votre entourage, si vous songez à arrêter de boire. Mais pas nécessairement mauvaise…
Avance-rapide jusqu’à quelques années plus tard : j’arrête de boire moi aussi. Est-ce que j’ai vécu une cassure aussi flagrante dans mes amitiés du jour au lendemain ? Je ne crois pas, pour deux raisons. La première étant que j’étais déracinée de ma ville natale depuis deux ans avant. Même si j’ai noué de nouvelles amitiés en Mauricie, y avait personne dans mon noyau pour essayer de brasser mes convictions de devenage de sobre. Personne ne pouvait, à portée de bras, me soudoyer en utilisant de larmoyants souvenirs d’épopées de fun de ‘dans le temps’ dans les toilettes de bars à sniffer des clés et tomber en bas de caisses de son, à frencher des inconnus dans leurs jeans, callant des bouteilles au goulot chassées de shots acidulés avalés comme si demain n’existait pas. Le monde que j’ai commencé à fréquenter en Mauricie, m’a vous le dire, la plupart étant des caxtoniens – d’origine ou d’adoption – fait que leur fréquence est pas mal plus zen, et proche des arbres et proche des poules. C’est pas pour rien que j’ai quitté la ville pour du plus relax. Ça te calme une grande excitée de 5’5’’ (quand elle se tient drette), 3’2’’ (quand elle était paquetée). Alors donc, j’étais géographiquement protégée, et entourée de du monde qui sont tous pour l’élévation des ‘vibes’, sinon du laisser-vivre. La deuxième raison est que j’ai arrêté en même temps que le confinement (mars 2020). Pas de bar pour moi, pas de bar pour PARSONNE, nulle part, dans le MONDE ENTIER civiliso-capitalisé. J’ai prié Saint-Coco-Cognac de pardonner mon brusque abandon, et j’ai continué, cet adorable et bouleversant chemin que c’est de vivre à sec.
Naturellement, on s’éloigne et on se rapproche de gens. Des fois ça revient, des fois ça repart. Et je pense qu’il ne faut pas trop se mettre de pression là-dessus.
Si vous avez peur de perdre vos amis en choisissant d’arrêter de boire, peut-être que ces amis-là valent la peine d’être perdus. S’ils vous coûtent votre santé, votre vie, pensez-y même pas deux fois.
On s'imagine que notre entourage va refuser de comprendre qu'on prend une décision, parce qu'on est à bout de la dépendance et qu'on est surtout épuisé de ce train de vie... alarmant. En réalité, si vraiment des gens refusent de vous appuyer et respecter votre démarche ou du moins de vous laisser tranquille quelque peu, fuck 'em, tout cordialement et solennellement, en toute harmonie formelle. Et pour ceux qui restent, je vous garantis qu’ils sont moins gossants que vous pensez quand ils sont chauds et vous pas. Oui, certes, vous allez peut-être quitter les partys plus tôt, mais le lendemain, c’est vous qu’on enviera puisque votre foie ne vous sortira pas par l’œsophage à force de dégueuler comme un volcan-dragon.
La crainte ou le tabou que j’entends vient par contre sur cette « connexion » partagée, quand on est deux, trois, ou plus à user de substances ensemble, pour être sur le même trip. Là, j’en conviens, ça a été un léger sacrifice à faire. Mais l’amitié, la connexion réelle n’est pas perdue; vous serez encore du même monde, vous parlerez encore la même langue. Et il faut me croire sur parole quand je dis ‘léger sacrifice’, car les bénéfices de la sobriété sont tellement énormes et inattendus (j’étais la plus convaincue des soûlonnes 4ever et j’en reviens toujours pas que je dis ça), qu’on vient à s’en crisser un peu, si cette idée de ‘communion à travers l’altération des sens’ est moins présente dans le quotidien.
Pour résumer, les amitiés perdues en sobriété, est-ce vraiment le cas ?
Je pense qu’il faut se donner du temps, ça peut être des mois, car pendant ce temps, on a aussi un travail à faire sur soi. Nous-même, on change, on en vient ou devient à s’autoriser cette version de nous-même plus affirmée, moins dépendante (dans tous les sens), et cette évolution n’est pas linéaire, mais bien cyclique : des fois on feelera pour passer du temps tout fin seul, à s’apprivoiser, à s’apprendre, à étudier cette nouvelle bête toute clean que l’on est sous les couches de cabernet, d’autres fois on voudra voir du monde, mais selon nos conditions, avec des goûts qui vont peut-être différer de nos amis actuels. Et les gens avec qui on a moins de choses en commun à part la déchirade 24/7, c’est correct aussi de lâcher prise cette corde, et de ne plus entretenir ce qui ne nous sert plus. On a le droit d’arrêter d’arroser des plantes qu’on ne veut plus voir grandir.
On peut faire confiance au processus.
La nature fait ben les choses.
Naturellement, on sentira et on saura quoi faire, et avec qui le faire.
Et d’ici là, il faut s’écouter.
Que vous buviez encore, ou que vous ayez arrêté y a pas long, prenez le réflexe de vous écouter et de vous traiter avec respect. Cette voix intérieure, ce vous-même qui veut survivre, libre, c’est votre vrai.e meilleur.e ami.e.
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