Et autres menteries & légendes.
Non, mais on s’en conte-tu des esties de menteries quand on est alcoolique ? Sur la quantité des avalées, sur la raison de nos bleus aux jambes, sur la raison pourquoi on n’est pas rentré travailler : C’est la faute à toute, sauf la boisson. Ma précieuse goulée. On connaît tous une version de la fameuse histoire :
« J’ai bu trois caisses de 24 hier, puis un 26 onces, et des shots au bar, et puis j’ai mangé trois brocolis. Je vomis depuis à matin, pour moi c’est les brocolis qu’y ont pas passé… »
Ce serait fou d’accuser la lame, quand on s'est rentré le couteau dans le foie.
Mais on boit, parce que c’est bon d’oublier tout, même la raison. C’est même doux, de retourner dans ce confort, qui vient abrier l’angoisse de juste la journée, de juste la semaine, de oh si l'univers pouvait me lâcher là au moins j'serais capable de slaquer, même si la source de nos démons provient de ce cycle d’éternels abus du goulot.
Après la cent vingt-neuvième gorgée, le poison ne goûte presque plus. On ne sent pu rien, on ne voit pu rien, osti qu’on est ben, enfin !
Et on achète à crédit, encore ce soir, une coupeule d’heures d’indolence, en priant dans nos derniers instants de lucidité que le prix à payer du lendemain ne sera pas trop fracassant. Mais ça l’est. Encore. Alors on reboit, et on rachète à crédit, rencore, pour un autre soir, d’autres heures empruntées elles aussi, pour engourdir la souffrance d’hier toujours pas partie, mais maintenant en plus aussi celle d’aujourd’hui, puis ça devient du smooth sailing en crisse quand on découvre, qu'au fond, on a juste à ne jamais débrosser !
De liane en liane, si on ne se fait pas attention, sans s’en rendre compte, il se passe des mois, un an, vingt ans. (Comme arbre en arbre, mais brosse en brosse. Plus décrissant et moins de verdure.)
Je fais souvent des jokes que je suis Claude Blanchard pour illustrer le côté drôlatique du soûlon moyen que l’on est en société. C’est rétro, vintage, revenu au goût du jour, néo-kitsch mais, surtout, familier. Yé trois heures, on farme, la face plissée, le gros pif rouge, etcetera. Peu d’exemples où d’autres personnages de vaudeville auront capturé autant le cœur des Québécois. On pense boisson, on pense aussi aux cabrioles d’Olivier Guimond. Nos héros de boisson. Mon point est qu’il n’existe pas encore de Fany Fentanyl, ou de Mathieu Crystal Meth. Les autres substances n’ont pas à ce jour, ou risquent de ne jamais avoir, ce lustre d’antan avec leur représentant sympathique pas tant effrayant comme avec ceux de l’alcool. On boit. On est un drogué toléré, même invité, moqué mais cajolé.
Et même si vous êtes l’alcoolique « funné » de votre gang, qu’on s’attend à ce que vous sortiez des jokes ou que vous débouliez les escaliers, on ne s’imagine pourtant pas que l’alcoolisme soit autant isolant. Tristement mêmes les mascottes de partys peuvent se sentir muselées. Le clown est triste et y boit en crisse, de Don Rickles à Pagliacci. On peut être très bruyant dans notre consommation, très public (lire abat-jour sur la tête + toton/couille sortis), et puis quand même se retrouver emmurés dans notre consommation, sans échappatoire de sortie, ou simplement, de communication sur notre état qui nous effraie, notre dégénérescence, nos pertes de contrôle sur l'augmentation et la fréquence de notre consommation. Ou de simplement de ne pas pouvoir discuter de ces inquiétudes, sans drumroll et rimshot. "Ben voyons Marie-Sophie/Jean-Paul/Colin/Monique, dis-moi pas que tu boiras pas à soir, t'es plate quand t'es à jeun !".
"J’ai mis le nez rouge, la perruque, les grands souliers, les grands gants blancs et la tite fleur qui crache de l’eau, comment osent-ils me prendre pour un clown ? Pourquoi n’essaient-ils pas de voir sous le maquillage ?"
D’abord, on n’est la responsabilité de personne, et oui, nous sommes tous, citoyens, jugés également sur nos actions et non nos intentions. Si ça fait quinze partys que tu vomis dans les hortensias de la voisine, il ne faut pas s’offusquer de ne plus y être invité pour bruncher. Si on n’offre qu’une version caricaturale de nous même, nous n’offrons que cette portion de data pour être jugé. Le bel arc-en-ciel de ta personnalité réelle demeurera un secret à jamais si à chaque fois que tu sors, tu ne fais que peindre les murs de jaune-brun bile expulsé à grands jets. Trêve de subtiles et pesées métaphores :
Le mensonge de l’alcoolique, c’est de refuser le reflet du clown alors qu’il met lui-même le costume tous les soirs.
D’être incompris, pas écouté, c’est le point de départ de longues et sourdes colères, de blessures d’égo qui peuvent être laborieuses à guérir. « Tout le monde est fou sauf moi. Tout le monde m’haït. » C’est pas vrai. La vue se déforme en viarge quand notre main ne veut pas desserrer sa grippe de cette bouteille qui nous noie. L’alcool c’est isolant, disais-je quelques lignes plus haut.
Ça va être la faute des autres longtemps tant qu’on ne sera pas prêt à assumer notre part d’ombre, notre besoin d’aide.
Ça va être la faute des brocolis tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas l’honnêteté de faire face à pourquoi on a tant besoin de se torcher la gueule, de devoir lever le coude à s’en tuer.
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[Photo de couverture d'article du blogue par Cyclopes Photographie.]