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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Manger la Joconde

Dernière mise à jour : 24 juil. 2021



Ça fait quelques années qu’on annonce la fin de l’ère capitaliste telle qu’on la connaît. On pouvait jusqu’à tout récemment remarquer les similitudes parfois grotesques de notre époque avec comme exemple, quand les gars d’Epic Meal Time étaient les rock stars de l’heure avec leurs orgies de bouffe en HD, la mode extrême du bacon en 2015, les canaux de télévision entièrement consacrés au saint-manger et toute satisfaction gustative élevée au rang d’expérience directe avec le divin, avec la chute de l’empire romain, quand, vers la fin, les excès de table, de cruchons de vin, le pantagruéliquage dans toute, sonnaient les cloches de la mort de quelque chose.


Quand l’over the top ne peut pu topper le top…


À mi-chemin entre un cauchemar anxieux et une rêverie d’apocalypse d’après-midi, un richissime chauve s’envolait dans l’espace, laissant dans son rail de fumée des claviers outrés, des memes soulignant la ressemblance étonnante entre Dr. Evil dans Austin Powers et Jeff Bezos, et des chiffres comparatifs pour imager en dollars l’impressionnante fortune du plus récent cowboy de l’espace. Genre que pouvoir enligner les loonies de la Terre à la Lune, il lui resterait assez de change après pour une piscine creusée.


De ce passionnant tapage médiatique, on suggérait ce que le monsieur pourrait faire avec son argent au lieu d’aller emprunter une tasse de sucre aux Martiens.


C’est pas comme si les feux de forêts avaient pris un break ou que le salaire horaire des employés de compagnie de shipping et de produits divers avait augmenté. C’est pas comme s’il ne restait pu de ptits pauvres qui ont faim, de gens pas de souliers, pas de justice, pas de voix à aider.


Mais bon, prendre l’air, ça fait du bien, je ne peux le nier. Celui de la stratosphère semble extra. Top qualité pour un type top quantifié.


Souvent, quand mis devant les problèmes du monde, les dirigeants répondent que c’est parce qu’il n’y a pas d’argent. Santé, culture, environnement, éducation, trop cher, scandent-ils en tapant de leur sceptre à rubis sur les tables de chêne imaginaires de leur maison secondaire.

Je repense à quand la cathédrale Notre-Dame avait passé au feu, et au nombre de secondes que cela avait pris pour trouver des investisseurs privés pour son rebâtissage, sa préservation. Le monde du gouvernement sont caves : s’ils ont pas d’argent, c’est parce qu’ils en demandent pas aux bons amis.


Toujours la mentalité de voler dans le bol de soupe à Paul pour aller roter les restes dans la bouche de Pierre après. (C’est dégueulasse mon exemple, je m’excuse, mais on va faire avec.)


Tout ça pour dire, que, à l’heure où on fait des procès en forme de memes et statuts sur les réseaux sociaux, je n’ai plus l’énergie de feindre la surprise ou la colère quand un riche promène son proverbial pinisse en orbite pour montrer qu’il pisse plus loin que tous les terriens. Y m’ont eu les chiens; ça ne me crisse plus rien.


Sauf que.


Sauf une affaire, une pétition. Une pétition en ligne qui s’est promenée avec un cynisme bandé comme un cheval. Pour que Jeff Bezos achète la Joconde. Pis qu’il la mange.


Câlice.


ÇA. Ça, c’est drôle.


Ça m’a fendu. Imaginer, que le peuple se mobilise, pour que le monsieur plus riche que les riches, achète la Mona Lisa, un tableau, une œuvre, classique, connue, estimée, et qu’il la mange. Comme une collation, comme un esti de Fruit-O-Long, tabarnaque. Avec une petite bavette blanche en soie nouée sous la cravate. Une coutellerie d’argent. Des petites bouchées pour commencer, des photographes pour immortaliser ce moment historique.


La pétition ici.


*


Je m’imagine les Romains, bizoune dans une main, poulet entier dans l’autre alors que leur monde s’effondrait. Je m’imagine l’univers qui sourit de nous voir répéter les mêmes scénarios à quelques siècles d’intervalle, comme si c’était notre première vie, comme si on était pour en avoir d’autres. La bêtise inlassable, le blame the game not the player, le sang dans nos bottines et le vert des liasses dans nos yeux, gauche droite, gauche, droite, avance, recule. Y reste de la beauté dans le monde, pourtant.

Y a plus de monde fin qu’y a de méchants.

Les couchers de soleil, ça coûte erien.

Y aura toujours le rire d’un enfant.

On dit que l’amour triomphe de toute.

Et on trouvera le temps de toujours sentir le vent, quand il embrasse les branches des lilas au printemps. Mais…


Tellement riche. Tellement de pouvoir.



Le soir s’étend sur une civilisation qui saigne. Alors.



Achète la Joconde.


Pis mange-la.






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