« Si tu crois pas en Dieu, tu vas te tuer avant d’avoir 30 ans… »
C’est la phrase qu’on m’a dit, accotée au comptoir de bar de l’Arlequin quand j’avais 17 ans.
Les mots tombés venaient d’un suppléant à l’école, croisé par hasard dans ma quête de breuvages abandonnés, une soirée où il ne faisait même pas tard.
Ça m’a surpris.
N’ayant pas été élevée dans la foi religieuse, (j'ai colorié en masse dans les cours de morale dans les années '90) j’avais toujours accordé un supplément d’intelligence aux athées, et j'aurais par idée préconcue déduit l’athéisme chez les gens que je trouvais intelligents.
Le suppléant en était un qu’on aimait. Un original, aux cheveux blonds qu’il plaçait derrière ses oreilles en nous expliquant la science, les lois de la physique. Il nous parlait de vie cellulaire et d’énergie avec ces yeux vifs d’une vie adulte et affranchie dont nous, enchaînés à nos pupitres, on rêvait qui nous attendrait au-dehors des portes de la polyvalente maudite.
On le trouvait cool quand il faisait un double signe metal avec ses mains en nous parlant du rock’n’roll des années ’70. Je trouvais donc qu’il m’avait compris, quand dans mon album de finissants il avait signé : « À une jeune fille qui ne semble pas se satisfaire de ce que la vie lui a proposé jusqu’à maintenant. Continue de chercher, n’abandonne pas…». J’étais là, man, lui y est cool. Lui, il l’a l’affaire.
Retour à mon tabouret de cuirette du défunt bar punk de la rue St-Jean à Québec. « Si tu crois pas en Dieu, tu vas te tuer avant d’avoir 30 ans… »
Man, what the fuck ? que je me suis murmuré dans l’en-dedans. Il est où l’adulte cool ?
Ses yeux sont éteints. Peut-être qu’il haït voir des étudiants (mineurs) en-dehors des cours. Ce qui serait compréhensible; j’haïssais les ados étant moi-même ado.
Dieu ? Se suicider ?
Un ange passe. Sans s'arrêter.
Il rephrase, toujours en regardant droit devant lui alors que je me trouve à ses côtés : « …Soit suicidée, soit bourrée de pilules… »
L’interaction s’est arrêtée là.
Mon moi de dix-sept ans a compris de lui crisser patience sur le champ et j’ai continué ma tournée à voler et caler des restants de pichets de bière sans surveillance.
Mais l’interaction est restée malgré, imprimée dans mon imbibage.
*
Je vivais à ce moment-là un peak de ma jeune vie; je me sentais à l’aube d’une émancipation où j'allais enfin pouvoir voler de mes propres bottines décimentées, faire enfin tout ce que je voulais, pouvoir enfin articuler ma pensée et puis la rendre (dans le sens de régurgir, très probablement) à l’univers.
Mes héros étaient ceux dotés d’un esprit libre et d’une propension à l’extravagance, l’ampleur, la démesure. La religion, peu importe laquelle, était un attrape-nigaud, une polisseuse de haine, et un racket à pédophiles et leurs complices, au mieux.
N’empêche, cette vibe de force et d’invincibilité qui patrouillait mes jeunes veines pulsantes allait-elle rester, jusqu’à 30 ans ? Pour un amateur de rock, pourquoi n’avait-il pas dit 27 ans, au lieu de 30. Plus symbolique de la trajectoire mortelle de ces astres fulgurants disparus.
Et qu’est-ce qui voudrait me faire vouloir mourir tant, rendue à cet âge-là ? J’étais furieusement persuadée que la vie ne pouvait que s’améliorer une fois adulte.
Et Dieu, que venait-il foutre là-dedans ?
La foi empêcherait le monde de se suicider ?
La 'foi faisait foncer les pilotes kamikazes dans les édifices', qu’on nous déclarait aux nouvelles, à peu près à cette même période. L’option des pilules me semblait plus plausible, mais encore là, je ne voyais pas encore quel degré de dégoût de mon existence me porterait vers le flacon.
* *
Et le temps a passé.
Il y en a qui appellent ça le Retour de Saturne, et ça vous frappe entre 27 et 30 ans.
Remises en question, difficultés, retards de progression, pertes, échecs, redirection. Ça brasse. Pour beaucoup d’entre nous, dont moi. À trente ans. Où j’y ai pensé. À travers la grisaille de ce mois qu’on appelle de la prévention du suicide...
J’y ai pensé des journées où le soleil brillait fort, j’y ai pensé aux journées de premières neiges, j’y ai pensé aux couchers de soleil sur l’eau, j’y ai pensé aux aubes roses et bleues de printemps : il ne restait plus un paysage pour me séduire.
Puis les mots du suppléant. « Avant d’avoir 30 ans… ».
Était-ce là une sombre prophétie ? Allais-je donner raison à un blond mélomane au discours fataliste ?
Spoiler alert, je suis demeurée en vie. Ceci n’est pas un blogue d’outre-tombe. Mais un doute demeure, est-ce vraiment d’avoir la foi (en quelque chose) qui garde vivant ?
Avec le temps, mes opinions sur les gens religieux se sont déliées, j’ai appris à connaître l’ouverture d’esprit et la générosité de personnes qui croient à ce qui est écrit dans la Bible mot pour mot, même si ce n’est toujours pas mon cas. Je suis aussi abasourdie par la force et la sagesse dans une entrevue de Tina Turner à 80 ans passé, reconvertie au bouddhisme et à la résilience, de l’union possible dans la division, de la révolution de l’humain possible par le cœur, et du travail sur soi à faire, en partant d’en-dedans. Un genre de foi si l’on veut. Elle dit :
La révolution humaine est une transformation intérieure, une révolution du cœur. C’est le processus de croissance qui se produit lorsque nous travaillons à développer nos meilleures qualités afin de surmonter les obstacles ou l’adversité. Pensez-y comme un moyen de vous familiariser avec la croissance volontaire.
Lorsque vous pouvez voir clairement, vous pouvez transformer n'importe quelle situation.
Sortir de votre zone de confort dans un souci de développement personnel, et de contribuer au bien commun est une pratique permanente. Mais des choses merveilleuses viennent de l'ouverture de votre cœur et de votre esprit à de nouvelles possibilités. Je crois que nous pouvons trouver un but plus élevé dans presque tout ce que nous faisons - dans le travail ou dans la vie. C'est la révolution humaine.
En somme que c'est d'avoir un but, une direction, qui nous donnera le courage d'affronter le quotidien.
Comme Sisyphe, pour survivre, qui se conterait des jokes motivationnelles le matin avant de monter sa roche...
Et c'est aussi vrai que ces directions peuvent se flouter à travers la consommation, le désespoir. C'est facile de perdre le cap. On n'a qu'à lâcher le gouvernail un instant de tempête.
Mais ce qu'on appelle la foi, c'est aussi l'espoir de printanièrage.
C'est d'avoir la perspective de notre petitesse infinitésimale dans l'universel, du métaphysique en-dehors l'éthylique.
Du fleurissage même si on vous mange continuellement le bourgeon.
Faque en quelque part, ironiquement, j’ai trouvé mes réponses, une partie du moins, venant de l’une des stars du rock des années ’70...
À choisir les prophéties,
je choisirai toujours le rock’n’roll
avant les églises,
les poèmes avant les psaumes,
et je porterai mon oreille
aux châtiments divinatoires,
hors les bars.
Mais ça c’est moi, à 33 ans.
Trouver des ressources en cliquant : ici.