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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

#MeThree : Tokyo Drift


Les évolutions collatérales possibles du mouvement #MeToo.


Dans mes textes précédents Secouer l’arbre à crottés et Les contes de la mise en garde, je relatais comment les dénonciations arrivent en grappes et par cycles. Et comment le mouvement Time’s Up, Me Too, etc. a pris forme seulement après les dénonciations de femmes influentes, blanches, riches et célèbres. Leur agression n’est pas moins valide qu’une victime inconnue. Toutefois, la portée d’une Gwyneth bardassée semble plus importante aux médias que ces milliers de visages inconnus qui ont subi cette violence banalisée et encore majoritairement impunie.


Le viol n’est pas un châtiment exclusivement réservé aux femmes, et n’est pas exclusivement perpétré par des criminels masculins. Cela étant dit, dans le bouillon collectif, je me souviens de mecs ébahis dans nos entourages quand toutes les Marie-Choses du bureau se sont mises à admettre avoir subi des violences sexuelles. « Pas toi aussi ? » disait Jean-Maxence, la gueule à terre. Mais les Marie-Sophie savaient déjà.


J’ai écrit et fait des chroniques sur ces dénonciations sur différentes plateformes, depuis 2015. J’ai même marché une fois, en support à d’autres victimes. On a fait quelques coins de rues, on était une centaine, il neigeait un peu, on a crié « Choooouuuuuuuu ! » à la ministre de la Condition féminine, et puis on est rentrées chez nous. Est-ce qu’on avait enfin réussi ? Est-ce qu’on avait réglé le viol ? Non ? Combien de marches de plus, alors ? Combien de textes de plus ? Combien de viols de plus ?


Ça n’arrête pas les bizounes impulsives de besogner dans les corps qui n’avaient pas sorti le tapis de bienvenue. Ça n’arrête pas le harcèlement dans les milieux de travail. Ça n’arrête pas les chanteurs de sortir des albums. Marcher, dénoncer, on dirait, vite comme ça, que ça ne change pas grand chose.


Mais qu’est-ce qui a changé, révolutionnairement ?


Le gros bonhomme Weinstein est en prison. Epstein est mort™️, Maxwell emprisonnée. Ils sont passés dans le tordeur d’une justice surveillée par des citoyens très épris de ces cas particuliers. Sur la toile, au tribunal populaire, il en reste toujours pour les défenseurs de violeurs. J’en demeure fascinée. Péjorativement.


« Ouain, mais on sait pas sa version de l’histoire. »


« C’est clair qu’elle voulait juste fourrer et qu’elle regrette, elle n’a pas été droguée. »


« Esti de truie, ‘est tellement laite qu’à devrait se compter chanceuse de s’être fait fourrer. »


« Ouain, mais moi mon beau-frère a déjà travaillé avec lui et apparemment qu’il est pas comme ça. »


Et récemment, j’ai même lu des commentaires sur cet article qui relatait le meurtre d’une femme par son conjoint qui allait ainsi : « C’est ça qui arrive, les filles veulent toujours des bad boys pis après y subissent les conséquences. »


Un bad boï esti.

Un gars avec la palette en arrière qui fait du drift dans le parking en venant te chercher chez tes parents.

Un gars qui fume des topes depuis qu’il a 12.

Un gars qui vend du weed pis de la pinotte dans la cour de la poly.

Un gars qui dort au poste parce qu’il s’est bagarré avec un bro au Liquor Store.


Nenon.

Un gars qui tue sa blonde.

Un gars qui tue son ex-blonde.

Un gars qui tue des masseuses qu’il ne connaît pas.

Un gars qui tue des travailleuses du sexe.

Un gars qui kill, et qui se fait défendre sur Facebook après par des justiciers du clavier. C’est ça le Tokyo Drift, c’est ça la suite de ces grands mouvements annulatoires ?


Le mouvement Me Too n’a rien annulé ou empêché. Si vous avez à être violée ou agressée, vous le serez invariablement de tout sermon pieux et bienpensant d’une société « qui veut faire mieux » mais qui ne fait rien du tout pour changer les lois contre les crimes sexuels et venir en aide aux victimes présentes et passées, et, par cette addition, victimes futures.


Tout ce que ça fait, c’est de donner mauvaise mine aux agressions sexuelles. Elles sont officiellement « de mauvais goût ». Elles ne sont plus de « bon ton », elles sont un « faux pas ». On ne s’associe plus aux violeurs et agresseurs, simplement parce que les corporations et productions affichant leurs noms seront boycottées. Dénonciation n’équivaut absolument pas prévention.


Mais en attendant ?

C’est étrange de rêver qu’à la dix-huit-millionième agression sexuelle dénoncée, le système de justice, nos dirigeants, vont se lever et faire quelque chose. Un système de ballounes va descendre du plafond. Des confettis vont sortir. Une chanson va jouer, style « We are family ». Les choses vont changer, nous diront-ils, on attendait juste de pogner un chiffre rond ! 🎈


J’en reviens pas que notre plus gros pouvoir présentement est de shamer les crimes sexuels et ceux qui les commettent. Ça change absolument rien. C’est pas comme si un violeur allait lire ça et se dire « Ah, ben câline, si c’est pour faire de moi un ennemi de la société, je ne violerai point, pardi ! ». Mais si ça peut faire prendre un cinq minutes de break à un Ti-Zoune ou Grand-Zoune au clavier, de voir que les victimes sont supportées et crues, il réfléchira peut-être à se porter à la défense de ces bros qu’il ne connaît pas. N’empêche que c’est misérable d’impuissance pendant que ces crimes continuent.


Une vraie mascarade de cour d’école. Immobilisme désolant. Guerre de gangs et gomme balloune populaire. Pendant que des vies se brisent, à l’ombre de nos clics.




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