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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Montréal à jeun


Depuis à peu près dix ans, je me rends à Montréal seule au moins une ou deux fois par année pour une gig. Que ce soit pour brasser du toton sur une scène burlesque ou pour faire de la figuration pour des projets aussi inattendus qu’intéressants avec souvent des paies entre le raisonnable et le symbolique, j’y vais toujours avec un appétit présent pour cette grande ville dont je ne suis pas originaire.


Voyager seule en n’ayant pas de char est une épopée en soi. Telle une femme moderne, je connais et j’utilise avec une adresse et une foi déconcertantes les sites de covoiturage, les tuyaux pour les lifts entre locaux voyageurs, les deals sur les billets de train, de bus. Pour m’amener du point A certainement au point B idéalement. Des fois en étant sûre de l’aller, mais pas du retour. Souvent en ayant à patcher ensemble des transports séparés par des heures à glander.


Et glander, quand je buvais, j’adorais ça.


S’imaginer devoir se rendre à Montréal pour passer en fait 4 minutes et demi sur scène et y perdre une journée et demi en transport, hébergement, puis immédiatement boire le cachet gagné au bar. Je revenais toujours dans le négatif. Mais j’aimais ça, depuis toujours.


J’aimais même l’attente.

Par exemple à l’hôtel, cinq heures avant un show au Club Soda, pendant que je m’enduisais le chest de brillants pas du tout écoresponsables, je pouvais très bien boire une bouteille et demi de bulles à moi tu seule (et renverser le reste en tentant de la dissimuler dans ma sacoche en m’en allant), et craquer 3-4 bières en canettes à cachette, en plus de boire mes beer tickets. La grosse classe. Je planifiais dans ces cas-là mon maquillage en premier, avant que je sois trop paquetée et que ça me paraisse trop dans le mascara à la dérive, et le rouge à lèvres naufragé jusqu’aux naseaux.


Je buvais comme une estie d’accotée par nervosité, parce que j’étais à la fois excitée, heureuse, honteuse de savoir qu’au fond je me trouais le budget pour faire des facéties devant des inconnus, imposteuse parce que mon numéro était jamais assez prêt et mon costume jamais assez fancy, Je buvais en anticipant de me faire juger devant pourtant un public des plus accueillants de tout art confondu (pour vrai, les autres arts performatifs devraient être jaloux du public de shows burlesques),

Je buvais par plaisir, ennui, angoisse, par goût de mort, de solitude, par vibrante joie mélancolique qui s’explique difficilement à d’autres que des alcooliques. Je buvais pour m’envoûter dans un bastringue mental pour me faire croire que ce quelque chose que j’avais, devait être montré puis dévasté.


Et les shows, et les gigs. Toujours qu’en une bribe de souvenirs, des apparitions jamais parfaites à mon goût, toujours excitantes et toujours épeurantes, assez pour me bouleverser dans mes chairs. Pour ensuite m’en retourner à l’hôtel, ou au bar, ou chez des (nouveaux) amis, déjà, j’étais complètement torchée avant même d’avoir ramassé mes affaires dans les loges. Par chance, y a un bon dieu pour les gars chauds, et pour celles qui boivent autant, ou qui se grattent les gosses aussi fort. Jamais eu d’accident ou de bévue majeure, mais je me trouvais assez bouseuse pour boire de honte en me critiquant la performance. Mais des trains manqués, mais des photos qui resurgissent où on a l’air de Baphomet déguisé en Courtney Love. Jamais Breakfast at Tiffany’s, forever charognette sale coin Décarie. It’s a look, i juge pas.


Arpenter les rues alors que la clairceur est aussi partie que mes faux cils. Le cœur percé comme mes bas résille de costume. Comme un démon en mal, une poupée vaudou de sacrifice inachevé. Je pense surtout à la scène finale dans Witches of Eastwick quand Jack Nicholson marche dans la rue avec ses pots de crème à ‘glace pis qu’il en arrache. C’est de ça j’avais l’air. Je le sais parce que j’ai conservé mes Stories sur Snapchat. (émoji consterné.)


Boire pour finir la nuit comme un goulot qui siffle. Boire parce qu’on se claironne que c’est la fête. Pour poignarder la fébrilité entre les poumons qui chantent trop fort. Pour abattre les heures en les épluchant de nos vies.


*


Mais là je bois pu.

Toute est différent, je devrais en faire un blogue. (huhuhu)


Pour la première fois de ma vie adulte, j’ai pris mon lift en char le matin. Ben sobre. Les yeux nets, clairs. Même pas de fort dissimulé dans mon thermos de café. Même pas arrêté au dép’ pour m’acheter une bouteille de vin twist cap pour la caller tranquillou dans l’autobus voyageur avant onze heures. Même pas arrêté au bar le plus proche du lieu de l’événement pour « faire descendre le stress » deux cocktails à la fois. J’ai même pas traîné de tites bouteilles cachées au lieu où je devais me rendre, je suis restée ajeunt. Tout le crisse de long que c’était long.


Montréal en confinement, c’est aussi plate que toutes les autres villes.

Avec cette comparaison, New York, sans toutes les affaires, c’est pareil comme Magog. Bref, j’ai comme été itinérante quelques heures, étant convoquée à un endroit à une certaine heure et ne pouvant glander dans aucun restaurant, bar, théâtre, musée, bibliothèque, tripot. Les dépanneurs sont restés ouverts. Les Wallaroo Trails me regardent toujours. Je les regarde encore aussi. J’ai appris à ne plus les désirer.


Je m’en retourne à l’hôtel, bredouille de rencontre, d’échange, de passation à un état second.


J’aime encore l’attente.


Cette fois-ci, en glandant, j’ai pu me faire un beau maquillage sans la presse de finir avant que je me clownifie le minois par excès de chablis. J’ai regardé tous les films de Naël d’un œil distrait, juste pour voir de la fausse neige et des acteurs semi-disparus se dry-frencher sous un portique d’auberge ancestrale. J’ai entendu les hurlements de la démence qui pour une fois ne venaient pas de mon crâne mais juste de dehors, parce que Montréal. Personne ne m’a regardé de travers dans le metro parce que je jouais à au frontibus au neztibus avec moi-même. Quand on est calme, le monde reste calme autour, j’apprends.


Je n’ai pas reçu l’œillade inquiète d’un régisseur de scène, ni subi l’amusement maladroit dans le regard d’une réceptionniste ou de toute personne qui se dit « Voyons, ‘est-tu paquetée, elle ? ». Ce à quoi j’aurais répondu avec un « Tadaaaaam ! Paratapapouet ! », la moitié de la boule sortie, telle une France Castel de nouvelle vague. On ne m’a pas prise pour une imbécile, ni pour une imbibée, et bien que je vive aisément en sachant que je ne contrôle pas comment on me perçoit, se faire considérer comme une personne autonome, en maîtrise de ses facultés motrices a de quoi de… valeureux ? Je me suis sentie comme une personne adulte de race humaine, et ça m’a fait remarquer que c’était quand même nouveau, ça aussi. Une des leurs (peu importe le leur en question), et enfin pas comme un raton-laveur avec des extensions de cils et des relents de Segura Viudas.


Le changement, chose.


Montréal à jeun, c’est comme une danseuse démaquillée. Une face comme les autres, en fait. Sans le strass, sans l’artifice. Sans la chaleur d’un projecteur qui fait fondre le fond de teint jusque dans les yeux. Et on plisse les paupières, jusqu’à n’y voir plus rien. Plus rien du tout.


Si vous êtes de passage, y a une belle expo extérieure de photos, une galerie à ciel ouvert, dans le coin de Ste-Catherine, détails ici.


Illustration couverture et en-tête par Salomeya Bauer / Crédit photo Fugues.




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