Si vous êtes sur ce blogue, c'est que vous savez que je ne suis pas docteure. Ainsi, les billets que j'écris ne sont pas le fruit d'études poussées, mais bien les traces de réflexion sur le chemin de la sobriété.
Si vous m'aviez dit ya plusieurs années qu'un jour je deviendrais sobre, je vous aurais regardé avec un p'tit sourire de marde, dans mes fossettes sceptiques...
Adolescente, je roulais des yeux devant n'importe qui qui faisait ne serait-ce qu'un effort pour demeurer en vie. No future ? More like No present, même. À quoi bon s'accrocher, et advienne que pourra.
J'ai jamais vraiment trippé sur le fait d'être en vie, globalement. Comme d'autres disent si bien "Je ne m'en suis jamais remise de venir au monde". Ça peut sembler d'une morosité spectaculaire, mais j'y vois plus une tangible évidence que l'expérience humaine est une succession de souffrances, d'injustices, de frayeurs, de traumas, d'ennui, parcemée ça et là de plaisir et d'exaltation.
Et quand je dis expérience humaine, je ne parle pas bien sûr spécialement de la mienne, mais la nôtre, cette vie, celle de nos voisins, amis et étrangers. Bombardés, poignardés, enrichis, violés, éteints par un travail ou une domesticité imposée ou choisie, épanouis par un certain affranchissement, affaiblis par la maladie; quelle anonyme et étrange loterie est associée au bonheur auquel on se bat pour avoir droit.
Alors, oui, depuis l'adolescence, l'enfance même, pour chaque sucre d'orge qui me fondait rarement dans la bouche, je sentais déjà l'écharde du bâton qui allait pourfendre ma langue, et c'est cette hypervigilance dont je me serais passée qui a fait naître en moi un nihilisme assez indécrottable.
À quoi bon applaudir qu'il fait beau chez Marcel quand il pleut et il tonne sans cesse chez Régis ? N'ont-ils pas ce même 'droit' au bonheur ? Pourquoi donc, alors, essayer, courir, participer à la course capitaliste dans laquelle on perd collectivement au profit des élites choisies depuis des générations d'empires bâtis sur le sang versé du colonialisme ? Essayez de dire cette phrase-là dans un shower, vous allez scrapper l'ambiance assez vite.
Advient la substance. Alcool, drogue. Celle de votre choix. N'est-ce pas qu'elle ressemble à une solution, une réponse punitive déguisée en douceur à ce monde absurde et souffrant ?
Donc, j'ai bu.
J'ai bu dès que j'ai pu, pour fuir un concept de course à la vie auquel je ne voulais absolument pas participer. Une piscine ? Un voyage ? Un bébé ? Êtes-vous fous ? Dans ce monde, dans cette société ? À cette époque, tous ceux qui s'accrochaient à la vie étaient pour moi des caves misérables et des complices à d'ultérieures souffrances à souffrir pour des progénitures pondues.
Et puis j'ai bu.
Et quand je buvais, je trouvais que je faisais drôlement du sens...
La destruction, la mienne, était la seule fleur que j'arrosais quotidiennement, en souhaitant m'éteindre et me flétrir sans trop de délai.
Allonger la vie, vivre passé cent ans, ressusciter les morts, guérir du cancer. Toutes des choses qui me semblaient révoltantes. Ne voulez-vous pas, vous aussi, quitter la pièce au plus sacrant, déserter ce party embarrassant de la planète Terre ?
Bien sûr, avec de tels discours, ça ne courrait pas pour m'engager comme coach de vie. Et je cherche à ce jour la racine de ce qui a pu ainsi me déconcerter du fait de vouloir vivre, s'accrocher, se défendre, mais c'est maintenant indubitable de reconnaître que, dans la sobriété, j'ai changé.
Si prospérer, construire, développer sont encore des mots pour moi quasi vides de sens, les mots réparer, guérir et soigner ont une toute autre vibration, dans laquelle je me diapasonne de plus en plus.
L'alcool a été mon Sid, mon Clyde, mon Kurt, mon Mickey. Mon char pas de pédale de break. "T'es pas sûre de pourquoi tu devrais rester en vie ? Viens t'en avec moi on va t'amenuiser tranquillement, débouler dans les tréfonds de l'âme jusqu'à t'en faire disparaître l'humanité, sans même que ta dernière poffe de Co2 soit expiée"...
Je ne croyais tellement pas en la vie, que je me suis bue au complet, jusqu'à n'en plus me reconnaître, et j'étais un humain de moins à gérer. Insérer le liquide, et laisser déraper. Répéter.
Nihilisme et dépendance vont de pair, car dans l'absence de but, de conviction, on devient plus perméable à l'idée que rien n'en vaut la peine. Et quand on n'a rien à perdre, la substance a tout à gagner.
Pour d'autres tites perles downantes de même, le livre sort en librairie le 17 octobre.