On pense, ou on a cette image à tort, que l’alcoolique en rétablissement frétille en voyant la mousse sortir d’un buck auquel il n’a pas droit, qu’il salive devant un martini ou un apérol spritz bien amer qui passe devant lui pour aller être servi à l’autre table sur la terrasse, ou qu’il a la narine qui dilate naturellement dès qu'on brasse un trousseau de clés.
Pour en avoir parlé à maintes reprises avec d’autres sobres depuis ma donc bien grande abstinence, c’est pas l’offre alentour qui gêne, c’est d’endurer de voir les autres consommer et changer sous nos yeux. Et j’en suis venue à la douce et absolument pas dramatique ni exagérée conclusion, que tout le monde est un esti de drogué sauf moi.
C’est une réponse à deux voies, une casquette à deux palettes, une affirmation à deux raisons, deux hypothèses possibles. Si vous arrêtez de consommer dans la trentaine, vous aurez naturellement des réponses et réactions de quelqu’un dans la trentaine; l’âge est à considérer face à l’excès – le nôtre, celui des autres.
Dans la trentaine, notre lobe frontal est fini d’être formé depuis un boute, on est enfin devenue trop vieille pour sortir avec DiCaprio, on n’est probablement pu à l’école, on est probablement sur le marché du travail, si on a décidé de se reproduire, la progéniture a probablement été mis bas depuis petit boute, et si on s’est donné une chance, on a même probablement une job qu’on n'haït pas trop et qu’on maîtrise mieux que dans la vingtaine. Et dans une société capitaliste comme la nôtre où seul les vilains se promènent en fusée pendant que la plèbe se bat pour une canisse d’Enfamil, on réussit quand même parfois, dans la trentaine, à arriver à une stabilité financière qu’on n'avait pas en jeune loup. Et ça, avec ou sans consommer.
Tout ça pour dire, que, à 30 ans passé, on est plus confortable de savoir qui on est, qu’est-ce qu’on aime, et surtout, qu’est-ce qu’on n’aime pas, et ce qu’on ne peut plus endurer.
En 2001, j’ai marché 3 kilomètres en-dessous de la pluie battante pour aller acheter du buvard, pour finalement me retrouver détrempée, et sans buvard. Mais c’était pas grave, mes jeans pattes d’éléphant qui pesaient maintenant 45 livres d’eau de pluie avaient vécu une mission, et avaient marché sur l’énergie de l’espoir. La carotte du buzz m’avait fait avancer, et m’a fait avancer longtemps, dans ma jeune vie.
Je sais pas si vous réalisez ou vous souvenez à quel point le sentiment de porter des vêtements longs (du denim surtout) trempé sur le corps est désagréable. Je peux simplement dire que la promesse d’aucune drogue sur la Terre ne me ferait endurer ce curieusement insupportable supplice, ne serait-ce qu’une estie de seconde.
Quand on devient sobre en plus d’être dans la trentaine, je constate qu’on se rigidifie comme un cuir nouveau. On est enfin notre propre personne et on rote notre cri primal à travers un Perrier payé trop cher ou un kombucha qui soulagera notre transit. À chaque comportement qui enfreint notre ligne, qui dépasse nos limites, on se raidit davantage, on s’éloigne d’un petit mètre de plus.
Et on en vient avec des yeux de chialeux : une mère soûle qui laisse jouer son enfant dans le trafic, des énervés peu subtils qui font de la poudre au restaurant, une Cathy sur le J.P. Chenet rosé qui hurle après son chum au party de fête parce qu’il lui a pas acheté la bonne boule Pandora, des collègues bluntés que le christ qui nous font douter de pourquoi la planète roule trop lentement, des amis la gueule mauve qui veulent que tu leur promettes que tu vas les avertir s’ils deviennent gossants.
La vérité choquante, au nom de tous les sobres ici, est que oui, vous êtes gossants. J’entends les cœurs qui se brisent jusqu’au bout de mon clavier. Mais oui, vous êtes gossants, oui c’est lourd, parce que vous êtes nous. Parce qu’on est identiques, parce que le miroir est une vue grinçante, épeurante, angoissante.
C’est gossant, dans la mesure très égocentrique que c’est le spectacle de ce que nous on a décidé de rayer, et que ça nous rapporte à nous, à notre décision. It’s not you, it’s me. It’s about me. Je suis dans ma guérison, et on me mimique le bobo devant moi.
On me demande parfois si on perd des amis en devenant sobre. Il y en a, des connaissances, sans animosité ou cassure, qu’on verra s’éloigner naturellement, puisqu’on ne fréquentera plus la même faune, les mêmes racoins. Il y a en qu’on fréquentera et qu’on perdra, toujours aux mêmes heures, alors qu’ils iront visiter des limbes dans lesquelles on ne peut plus les accompagner, de peur d’en perdre notre vie. Et ceusses qu’on est condamné à revoir replonger et resurgir, impuissant de tout sauf du moment de notre départ, quand les substances jaillissent et puis qu’on entend ce fameux "ça te dérange-tu si...".
Réapprendre à sortir sobre, c’est apprendre à ne pas sortir. À dire non, à partir tôt.
On ne regrette pas les bars qu’on ne ferme plus jusqu’au last call, on ne regrette pas les partys où on n'est pas resté après les premiers dégueulis, les premiers verres brisés.
On pourrait croire que ça prend du culot, du front, de ne pas pouvoir encaisser la pareille, quand tellement de monde, pendant tellement longtemps, nous ont enduré, nous, dans nos périodes d’abandon de soi public, nos épisodes de consommation sévère, nos grandes dérapes, nos gilets tachés de vin, nos mâchoires hachées de tics, mais câlice, toute la force que ça prend pour rester loin, il ne faut pas nous en vouloir, de manquer le prochain party à Sylvain.
S’aimer ben paquetée dans genre 10 semaines….
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Un gilet, un sac réutilisable de sobre ? C'est LÀ.