En anglais, il y a un proverbe qui dit « You can’t pour from an empty cup ». Tu peux pas donner ce que t’as pas. Souvent en parlant d’amour. Si on en manque pour soi, ça va être difficile d’aimer son chum, sa blonde, son enfant, son prochain. Y a aussi une pas pire phrase que j’ai entendu récemment qui disait que la dépression, c’est la rage tournée vers soi. Ces deux phrases-là résument mon chemin des dernières années, et mettre ça en mots, c’est peut-être ben la façon de tourner ces pages de chapitres qui ne nous servent plus, sans trop se faire d’échardes.
Il y a quelques années, je vivais de soleils éteints sous d’épaisses couches de coaltar que j’accueillais la yeule et le chest ouverts en chantonnant « Tuez-moi donc, tam-ti-di-dam ! ». Je travaillais deux jobs en même temps, en restauration, souvent à deux shifts par jour, pour rembourser des dettes qui ne s’enmieutaient pas. J’étais pas bien organisée, et pas en véritable mode solution. J’avais pas d’espoir que cette existence que je persistais à ne pas achever par moi-même s’améliorerait un jour. J’avais accepté que les joies et la légèreté étaient choses du passé. Maintenant, tout était marde. La vie me donnait des étrons et je n’avais pas appris à faire de l’étronade. Dès que j’avais vingt piasses de lousse, je le buvais au plus sacrant, avec une vitesse foudroyante, et je sérénadais n’importe qui qui aurait la grandeur d’âme de financer la prochaine tournée, doux bénis mécènes de comptoirs. J’étais brûlée à tous les jours. Je me détestais d’être ainsi et je me sentais (presque) bien seulement quand j’étais (très) soûle. C’était au point où j’avais de la misère à sortir de chez moi sans pourcentage dans le sang. Je n’aimais pas présenter mon visage au monde. Y avait pas assez de shampoing sec sur la terre pour masquer le sébum de mon cœur suintant et déshabité. J’avais enflé au point que mes vêtements me faisaient pu, que ma face me faisait pu, que j’avais perdu confiance en mon corps, sa forme, ses réflexes, sa force. J’étais un véhicule usagé rafistolé de tape qui roulait sur l’alcool.
C’était au point que je m’étais promis d’attendre au moins de rembourser mes dettes avant de me clancher. Je ne me supportais plus. L’échec des jours comme les billes d’un chapelet maudit se suivaient, inéluctablement, terriblement, dans une souffrance et une misère que j’amplifiais en buvant, en buvant, en buvant encore. Encore plus. Chaque bouffée d’air que je prenais, j’avais l’impression de la voler à quelqu’un sur la planète qui la méritait plus que moi. J’aurais voulu m’effacer à l’acide magique. Je connais pas ben ben les acides. Probablement qu’avec un magique, ça règlera les problèmes d’illustrer mon sentiment ici.
Quand on lit un peu là-dessus, il est dit que la colère prend racine lorsque l’on voit nos limites être dépassées. Quand on n’a pas respecté nos barrières. Une atteinte qui fait réagir pour regagner ce territoire perdu. Territoire de dignité, d’humanité, d’intégrité physique, morale, psychologique. La colère s’exprime par des cris, des coups, de la rage au volant, dans des diatribes facebookiennes ça de longues, dans des commentaires passifs-agressifs, dans des injures, des guerres, des bobos. Quand elle sort. Quand la colère s’imprime et reste en-dedans, ça se mue en de l’auto-sabotage, de l’automutilation, de la surconsommation, ça devient manger trop, boire trop, fumer trop, baiser trop, jouer trop. Chercher à implanter la douleur dans notre propre corps de quelque façon que ce soit. Là où on finit par trouver notre infliction préférée. Et moi, ma colère, je l’ai toute bue.
Je n’en connais pas assez sur la dépression pour pouvoir en parler autrement que par celle frôlée dans mon cheminement. Mais quand je retourne sur les pas boueux et catastrophiques de ma sombre période, je remarque des patterns. Un engourdissement général que j’avais réussi à atteindre, à force de boire quotidiennement, à force de nier ce que je ressentais, à force de pas pleurer, de pas parler, de pas crier de pas chanter, de pas giguer. J’étais devenue ce que je ne suis pas, et comme je ne me reconnaissais plus, ça ne m’attristait pas de m’enligner vers mourir. Je m’étais coupée de ce qui m’habite naturellement. Faire crever une inconnue c’est moins douloureux.
L’alcool a fonctionné très bien pour moi parce que je n’étais pas prête à faire face à mes démons. Je n’étais pas prête à recommencer à m’habiter, m’investir, être aux commandes de ma vie au lieu de laisser le gouvernail ca-po-ter pendant une tempête d’eau, sur un océan pas de lumière, au-dessus d’un volcan, magique. Et si vous cherchez à faire disparaître le temps, la boisson est remarquablement efficace.
Mais l’épreuve que c’est de dire. De reconnaître. La rage qui nous habite. Tellement ont réussi à l’écrire, la chanter, la mettre en musique, en peinture, en courant d’idées révolutionnaires. Mais tellement n’ont pas eu cette chance. Tellement se tuent de colère contre eux-mêmes, tellement se poignardent à coup de gorgées qui font mal. Tellement illustrent la descente sans jamais en dire mot. Et on leur fait de la place pour tomber de tout leur long. Sans se faire accrocher.
J’ai toujours dit que j’étais à deux étapes d’être une sans-abri. C’est encore vrai aujourd’hui, mais ces deux étapes se sont épaissies, solidifiées de cette sécurité qui arrive quand on se promet de veiller sur soi. On ne peut rester dans son bain de marde éternellement, et il en est à nous de se lever pour se rincer à l’eau frette. Mais faudra trouver la bonne fréquence, faudra se faire confiance. Et apprendre à faire de l’étronade. C’est de Socrate, je crois, mot pour mot.
Tu peux pas verser d’une bouteille vide. Dans le sens que tant qu’on est en dérive, on peut difficilement se naviguer, on ne peut pas faire grand chose pour les autres. De ma perspective, je peux affirmer qu’il est plus facile de recevoir du support depuis que j’ai commencé à m’aider.
Si on veut une couple de bras pour sortir notre char du banc de neige, ce serait peut-être bon qu’on lâche les breaks, et qu’on sorte nous aussi pour pousser.
En bref, on ne peut s’exiger de donner de l’amour aux autres quand on ne s’en donne pas, même un peu.
Si j’avais un conseil à donner à mon moi passé, ce serait de regarder ma vie d’un œil extérieur, et de couper sans attendre ce qui me nuit, me déraciner de mes mauvais plis. Me rempoter ailleurs et suivre mon intuition, pour me reconnecter sur ce qui me fait vibrer. Pour se syntoniser enfin sur une fréquence nouvelle, où y aura de la place pour nos mots su’ à mélodie.
Joyeux Noël bande de caves.
Vous comprendrez que c’est dit amoureusement.
X.
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Post-postage : Un ami trouve que le texte s’agençait ben avec cette toune-là. Je trouve aussi. https://youtu.be/5pQ9To3DMuo
Illustration originale par Lex Veen.