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Photo du rédacteurCristina Moscini

Entre les craques enfumées


J’écris d’une chambre de motel deux étoiles à Grand-Mère, dans le grand Shawinigan. La porte est capitonnée de cuirette bourgogne, mais le son du corridor passe comme à travers d’un rideau de perles. C’est un mardi agité; d’un bord le boulevard, de l’autre des jeunes qui s’enlignent pour veiller tard.


Je pousse encore au prochain, un retour en article de blogue sur l’expérience S’aimer ben paquetée, qui au moment où j’écris ces lignes en est à sa troisième et dernière semaine de représentations, à presque salle comble tous les soirs.



Moins de 48 heures après la première à laquelle j’ai pu assister avec grand bonheur, le bloc appartement dans lequel je vivais a été rasé par les flammes. En quelques heures, je suis passée d’une joie vertigineuse à perdre toutes mes possessions matérielles, à part mon laptop, mon cell, mon chargeur, et, heureusement, mon bagage de séjour à Québec qui n’était pas encore défait. J’avais donc, au sortir de l’incendie, au moins une brosse à dents et quelques bobettes de rechange. Au cas où vous en doutiez, la paresse paie.


À quoi ont ressemblé mes journées depuis l’incendie ?


J’ai pas dormi beaucoup. Des shutdowns, parfois, de quelques heures qui ont fait du bien, où je me suis assoupie la bouche ouverte, comme un quinquagénaire devant son programme, dans son La-Z-Boy de prédilection. Ayant la digestion fragile en partant, je ne peux me vanter hélas d’avoir retrouvé des transits impeccables, qui feraient la fierté d’une réclame de céréales extra fibres, ou encore le sourire d’allégresse d’une dame de yoga qui consommerait quotidiennement ses yogourts aux probiotiques. Ceusses qui savent, savent. Mais c’est bien peu de choses, au fond, quand on a la santé, la survie. Être saine, être sauve.


J’ai surfé de divans en lits d’amis, en espaçant le lavage des cheveux, en m’occupant avec toute la paperasse et la logistique que c’est de se reloger, se remeubler, se nouveaudépartiser. Tentant de répondre à travers tout ça à la centaine de messages d’encouragement, vraiment, je suis encore sur le cul de la bonté et générosité des gens. De l’immensité, de l’ampleur qui s’est manifestée dans les… deux dernières semaines ? Je dois constamment regarder la date du moment, car ma notion du temps est une brume opaque, où j’ai l’impression à la fois d’avoir vécu dix-huit mois en quatorze jours, et où pourtant le fil d’une minute à l’autre m’apparaît une éternité qui me fait cogner des clous de cendre, encore à pourchasser le sommeil, le vrai, le solide et long, comme l’étron champion de mes rêves intestinaux.


J’oublie, aussi, plein d’affaires. Je fais des fautes d’orthographe, dois me relire quinze fois pour des paragraphes que j’aurais pu écrire d’une shot avant. Mes épaules se jackent aux sons inconnus. Je vois encore orange de flammes si je ferme les yeux longtemps, et l’odeur d’un inoffensif feu de cour me fait capoter de la narine même s’il n’y a aucun danger. Comme si ça ne se parlait pas entre départements, là-haut, là-dedans. C’est la fatigue, c’est le choc pas encore sorti t’a faite du corps, et surtout, c’est normal. Le moral et la tête vont. Le body, c’est plus long.


Ça revient, ça avance bien.


Et à quoi ça ressemble, tout ça, sobre ?


Premièrement, je sais pas, si je buvais encore, si je serais encore là pour en parler. Une fille à jeun, ça se réveille pas mal plus vite qu’une fille soûle, à deux heures et demi du matin, quand la bâtisse est en feu. Je n’aurais peut-être pas eu les mêmes réflexes, si j’avais été pour vivre cette expérience y a deux ans. Je serais peut-être sortie avec mes perruques et bouteilles préférées au lieu de choses utiles, dans pareilles circonstances mais en alcoolémie. Ou pas.


J’ai signé mon bail ce matin, pour un nouvel appartement, tout convenable. L’internet et le lit arriveront cette semaine, mais le toit est déjà là, alors, j’écris d’une chambre de motel deux étoiles à Grand-Mère, heureuse, dans le grand Shawinigan, et je me trouve chanceuse en esti d’être là, et que ce là, soit d’être entourée d’autant de gens, d’autant de bonté, de ressources, et de bras, qui t’emmènent pieds ballants au cœur musclé, jusqu’au lendemain.


Merci du fond du cœur.

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