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Photo du rédacteurCristina Moscini

Fatiguée d’être femme


 

Un lendemain d’élection, qu’on soit politisée ou non, ça brasse dans les discours et les échos qu’on entend et voit autour. Le lendemain d’élection qu’on a vécu cette semaine, je l’ai vécu dans un véhicule de retour, un covoiturage en ligne où j’étais passagère, où j’en suis venue à maudire d’être née femme.

 

Outre les implications pour nos voisines du Sud dont j’écoutais au poste de radio ouvert, le destin funèbre se dessiner d’heure en heure concernant l’accès à l’avortement, je me débattais en réel, trappée avec un chauffeur qui me demandait à répétition des informations personnelles sur moi. Mon adresse de résidence, que j’ai dû m’obstiner à insister pour qu’il me laisse au point de chute public près de celui qui était prévu au départ – mais qu’une fois seule dans le char avec lui, préférait me laisser à la porte de chez moi. Mon statut, j’ai-tu un chum, et si je voulais être son amie. J’ai répondu non, j’ai en masse d’amis. Revêche ? Je sais pas, c’est un inconnu qui, pour la réservation du covoiturage en ligne a déjà accès à mon numéro de téléphone, nom et courriel, qui m’intime de garder le contact avec lui.


Insister pour une relation amicale avec une femme que vous n’avez jamais vu, dans un bolide de métal d’une tonne rempli de gaz qui roule à 100 km à l’heure sur l’autoroute. Seuls.

Ça ressemble quasiment à une prise d’otage, osti de câlice. Pis pour l’information, j’étais habillée en sport, pantalon long avec un coat zippé. Et j’étais pas smatt. Bref, le gars a l’air de finir par comprendre. J’éteins les conversations en faisant cette fameuse danse que toute femme connaît de la politesse « tue-moi pas mais achale-moi pu » pour assurer ma survie jusqu’au moins la prochaine saison des impôts parce qu’être en vie c’est so le fun, et ça file lentement les minutes en ne déscotchant pas mes yeux du GPS.

 

J’ai 37 ans tabarnak. Je suis tannée en esti qu’on me cogne à la porte, qu'on me poke la sonette, qu’on m'impose de donner mon attention, mon affection, comme si j’étais, comme mes consoeurs, un esti de moulin à donner du temps et des câlins aux mal pris, ou juste aux vouleux, comme un bol de bonbons gratis, là pour tout le monde, « take one, and have a great day ». Je ne dois ni sourire aux inconnus, ni tendresse aux mal aimés. Je suis prête à donner le même respect et sécurité à tout citoyen, mais je veux tuer l’illusion qu’un léchage de sac de couilles est au menu.

 

Plus tôt cette année, un manège semblable est arrivé. Mais cette fois c’était un passager masculin, qui insistait auprès de la conductrice féminine, l’autre passagère et moi-même (le char était plein), pour avoir nos coordonnées personnelles et rester en contact. Les boys, êtes-vous aussi avides de trouver des besties mâles sur la route ? Et là, le malaise, une cède. Moi je baragouine de quoi, j’en fais une note mentale que je mentionne ensuite à la compagnie, de laquelle je n’aurai pas reçu de suivi pour assurer la sécurité à l’avenir des utilisatrices de ce service. Mais c’est crissant. Prisonnière d’un char, c’est pas comme dans un bar que tu peux te sauver. Et même se sauver, ça vient que c’est gossant quand on n’a rien fait à part exister dans le périmètre d’un lonely monsieur. Car s’il s’agissait de camaraderie anodine, ce service d’amitié de correspondance requise, ils se le feraient aussi entre eux, n’est-ce pas ?

 

J’ai trente-sept ans. Quarante moins trois. Bientôt une moitié de siècle de faite sur la boule bleue.


J’ai commencé à être convoitée dans le regard des hommes, bien avant que je remplisse de sang mon premier Tampax. Pour celles et ceusses à qui ça arrive, ton enfance s’arrête là. Tu peux pu courir, rouler-bouler, lever ton chandail, écarter tes jambes, « parce que les monsieurs regardent ». Mais qui leur dit à eux d’arrêter ?

 

Pendant que les américaines voient leurs droits humains s’amoindrir, régis par des incompétents qui ne sauraient pas différencier sur une carte un utérus d’un clitoris, j’en viens à me demander, c’est quand la dernière fois que vous avez fait un effort pour qu’une femme se sente en sécurité en votre présence ? C’est quand que vous avez pris la défense d’une femme devant un homme insistant ? C’est quand vous avez remis les pendules à l’heure d’un homme qui trépassait dans l’espace personnel d’une femme ? Parce que présentement, je ne vois que la route ben clean entre l’oppressant et l’oppressée, et pas grands estis qui font obstacles à ça.

 

À moins de dix minutes de la destination finale, mon chauffeur, qui a insisté que je m’assois à l’avant une fois qu’on n’allait être que deux – je pensais qu’il embarquait alors de nouveaux passagers, avoir su je serais restée assise sur la banquette arrière, comme la Reine d’Angleterre - à moins de dix minutes, comme je disais, il m’annonce qu’il doit se mettre à l’aise, en se replaçant la poche d’une main, et l’autre sur le volant.

 

Ceusses qui ont vu ou lu S’aimer ben paquetée sauront que j’ai un billet contre les ceusses qui se touchent la poche sans le consentement de leur vis à vis. Il starte son clignotant. Se tasse en bordure d’autoroute, je capote. Je crispe les poings, je pense à mon cell, mon trousseau de clés, je suis fatiguée câlice, je voulais juste rentrer chez nous. Il sort, s’éloigne, et fiouffe, il pisse.

 

Mais quand même esti, moins de dix minutes de char à faire, serait-il sorti avec un passager masculin que je me dis ? Je n’ai pas vécu cette expérience. J’ai de mon passé d’alcoolique, pissé dans la rue entre deux char avec une chum de fille, même en plein jour. J’ai pissé dans le gazon montréalais pendant un show de Maiden, pas trop loin de la foule, mais j’ai jamais pissé dans ce contexte-là, parce que j’ai pas de char. « T’avais juste à avoir un char ! » Cool, merci ça m’aide.

 

Entécas, bref, le chauffeur-pisseur qui ne se sera pas lavé les mains revient, demande encore où je reste, je répète « au coin là où le parking c’est parfait », je lui souhaite bonne continuation, et je pars en sens contraire d’où j’allais vraiment jusqu’à temps que je le voie finalement s’en aller et qu’il soit hors de vue.

 

Je sais que la moitié des gens ne vivront jamais des situations comme ça et qu’ils ne seront donc pas capables cognitivement d’en comprendre la complexité, la frustration. Je sais aussi que l’autre moitié sait exactement de quoi que je parle, et qu’elles peuvent finir par être fatiguées elles aussi, d’être nées de ce bord-là dans une société qui ne règle pas ça. 


 

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