On change en arrêtant de boire. Ou plutôt, nous est offert plus aisément l'occasion de changer dans cette transformation, ce bouleversement de l'ombre à la lumière (mariecarmenisme). Comme un ménage après sinistre, le passage de l'alcoolisme en full-force à la sobriété brasse, balaie, moppe et savonne tous les recoins sales de notre âme de malmené.e.
Ça prend de la ferveur pour passer à travers les premiers jours, la première fin de semaine, le premier mois, ou le deuxième. De mon expérience, j'étais convaincue d'arrêter. Je savais pas encore pour combien de temps, mais au moins assez longtemps que je commencerais à me sentir mieux... En même temps, j'étais écœurée en esti de qui j'étais, à boire mon boulet, à dégueuler mes chaînes, à aller m'en racheter le lendemain, ainsi le petit train.
Au fond de moi, même avant de me décider, je voulais ressentir ce qu'il y avait, là-bas, de l'autre bord, cet autre clair côté : est-ce que je serais de ceusses qui rechuteraient ?
Est-ce que j'allais réussir ce que je m'étais fixé ou j'allais choker et me décevoir, encore ?
Et puis (re)boire, à un autre échec... On a le don de se faire croire qu'on les accumule les échecs, rictus au coin des lèvres, et on donne trop facilement raison, je crois, aux plus laids de nos démons, alors que la partie n'est pas finie. "Tu vas orcommencer", que j'aurais pu entendre, que j'aurais pu me résoudre à crère. Mais y a de quoi qui se passe et que je ne m'explique pas (parce que je ne suis pas médecin), mais que je m'en va expliquer pareil (parce que je suis blogueuse).
Dans le ressenti, ça ressemble ou cela va ainsi : Le picotement de la transformation, avant de devenir cette insupportable illuminée d'optimisme guilleret-au-ginger-ale-sivouplaît, intervient autour du cut-off de deux mois. Le sevrage est passé. Le mauvais sort du foie, le pus sort de la tête. Il commence à faire clair et ça ne nous dérange plus. Le soleil cesse de faire fumer notre sang et nos sens comme des vampires de basse-ville. L'humain nous repogne le corps. L'animal s'en va. La sève pompe et pousse le mazout malté de nos veines fatiguées. Et c'est beau. Enfin. La beauté nous prend et nous fond sous la langue comme un buvard imbibé d'espoir, de force, de... joie. Comme un char sur les quatre blocs, sur lequel il repousserait des tires gonflés et maintenant prêt pour une ride sur la 'sphalte neuve. On se sent 'neu', peut-être même pour la première fois de notre vie. On se sent, pour une fois, comme un véhicule qui mérite sa ballade. Une sortie de garage. Décarcasser la mort. Chasser la fumée. Goûter le vent. Rouler sur du plat et dessiner des vagues dans l'air avec nos mains en écartant nos doigts.
Chaque personne est différente. Pour moi, c'est vraiment autour de deux mois de sobriété que j'ai commencé à sentir le changement dans ma personne. Les semaines avant, je me sentais comme un gremlin nourri après minuit. Je capotais. Souvent. Je braillais. Pour toute. Je riais. Trop fort. Je voulais sortir. Je voulais rentrer. Je voulais voir du monde. Je voulais la crisse de paix. Ma peau était parfois sensible comme un coup de soleil. Chu passée de face rouge, à rose, à beige. Puis, j'ai eu la bougeotte de prendre l'air, plutôt que l'envie de placarder les fenêtres. D'un corps inerte que je n'écoutais plus, je ressentais le besoin soudain de me crosser avec la vigueur d'un marin devant une sirène affalée sur un banc d'flétans. Je dormais enfin comme je n'avais jamais dormi. Des nuites de temps. Au complet. Réveillée grandie. Tout, se vivait comme une deuxième puberté. Une course au printemps. Fou. Turbulent. Tempête de corps. Torrent d'esprit.
On change en arrêtant de boire, et j'ai décidé il y a dix-huit mois de journaliser par entrées de blogue, ces étapes-là. Parfois étranges, parfois pas évidentes, parfois drôles (c'est pas des sanouitches à 'marde tous les jours, des fois c'est facile aussi), mais, toutes, inespérées, inestimables. La violence, elle est dans le charriot du transport, mais la destination est douce en tabarnaque. Et quand nos pieds touchent le sable d'une plage de tranquilité tant cherchée, quand on marche enfin sur un sol absent des tessons de nos bouteilles brisées, quand on ne cale plus des chevilles jusqu'aux hanches dans la fange dans laquelle on s'est tant plongé, on se donne la chance de vivre avec cette insoutenable légèreté dans le coeur. On a beau chercher des relents de nihilisme de notre ancienne haleine, pour tenter d'éteindre ce bonheur qui écœure : au bras de fer, vivre sobre l'emporte en masse sur mille de mes brosses.
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[Crédit photo couverture d'article par Frank Lam.]