top of page
  • Photo du rédacteurCristina Moscini

La beauté pour une p'tite crottée

Court essai sur l'apprentissage de la beauté féminine -


Je suis retombée sur une photo de moi d'il y a quelques années. Je me suis rappelé pourquoi je ne l'avais pas posté à ce moment-là, c'est parce que je me trouvais pas assez belle. Puis j'ai regardé rétroactivement comment j'ai pu me percevoir avec les années parce que pourtant, j'ai fait du modèle vivant de 18 à 23 ans (le truc où tu te crisses en habit de naissance au milieu d'une gang de crayonneurs en rond avec leurs pinceaux et toiles où on tâchera - en tous angles même les moins glorieux, de peindre la réalité de l'autour de votre trou de balle), j'ai fait du burlesque toute ma vingtaine en n'y pensant pas deux fois avant de me sacrer en string à paillettes le cul au complet à l'air et au son en me secouant le chest dénudé sinon pailletté devant des centaines de personnes, en essuyant du revers de ma main gantée de polyester doux les mesquineries telles que j'étais donc courageuse de faire cela avec le corps que j'avais; de loin, on miserait que pour faire ça, ça prend quelqu'un qui a une grande confiance en soi, une image positive d'elle-même. Hélas, on n'échappe pas au reflet qu'on se fabrique pour soi.


Après tout, qu'est-ce que la beauté sinon un moment d'émotion cristallisé en un instant qui s'échappe, le témoignage d'une humeur créée à la vue d'une forme, d'un muscle, d'un pli ou d'une ossature, d'une cambrure dévoilée d'une brise, d'été, une annonce de coucher de soleil au ralenti.


Y a la beauté que les autres nous trouvent (ou nous crient l'absence de, quand le monde est méchant) et y a la beauté qu'on arrive à se trouver. À force de s'habiter.


Se faire traiter de belle, pour moi, c'est rapidement que j'ai compris que c'était pas une valeur sûre. Enfant, j'étais joufflue et couettée, et, pour ceusses qui liront ou qui iront voir S'aimer ben paquetée comprendront pourquoi, j'avais toutes les dents pourries dans la yeule. Les premiers t'es donc ben belle venant d'inconnus dont je me souviens sont arrivés plus fortement au début de la puberté, quand les p'tits totons me naissaient sur la cage (thoracique) avant que les hanches m'arrivent ou que mon visage de femme remplace mon minois d'enfant.

Ainsi, en enlevant ma camisole du Zabé Jeans à 12 ans pour dévoiler mon premier bikini triangle un beau jour de juin à la piscine Samuel-De Champlain, une commotion municipale n'ayant fait aucun mort s'est passée sur le gazon; j'avais des djos, j'étais une femme. Le consensus s'est passé sans moi, juste au cas.

Le monde s'est mis à me traiter différemment, certaines filles en amie, d'autres en rivale - j'aurai jamais compris, et les gars comme les hommes, pas tous bien sûr, comme des loups hospitaliers. Complimentant maladroitement qu'ils savaient qu'ils n'avaient pas le droit dans le moment, mais qu'ils avaient hâte de me fourrer. Avec les meilleures intentions du monde, bien sûr. Si vous ne me croyez pas, demandez à n'importe quelle adolescente le moment où elle a ressenti ce shift, cette électricité soudaine autour d'elle signifiant dans le regard des autres qu'elle venait d'entrer sur le marché de la viande.


Désir. Beauté. Différent mais pas tout le temps. Deux choses pourtant, mais c'est dans le même paquet qu'on les vend.


Un gars va se pogner une blonde qu'il est sûr que ses chums trouvent belle. La beauté, pour les boys, c'est quelque chose de jamais setté, susceptible d'évoluer selon les modes comme les pages des mois du calendrier à flipper dans le garge. Si je dis ça c'est que quand j'ai grandi, les gars collaient leurs poings en étirant les auriculaires de manière à démontrer la largeur idéale de la callipyge d'une future bougresse. On la voulait sportive et menue, le cul pas plus gros qu'une pomme hors-saison. Quinze ou vingt ans plus tard, on se fait injecter dans l'arrière-train tout ce qu'il faut pour que ce même cul souhaité enflé, rebondi, prenne de l'épaisseur, et ces mêmes gars encourageront vos gains de glutes au gym. La beauté a t'elle changé ? Est-ce qu'on avait tort avant et raison maintenant ? Ou l'inverse, ou les deux ? Miroir, miroir, beubé...



J'aime me faire croire maintenant que rien ne me fait rien puisque je me suis fait traiter de belle comme de laide tout au long de mon parcours, j'ai vu des déesses se faire traiter de 'mid' par les internets. Alors jamais ce ne sera assez, en fait, pour cette société. On dit, sur les algorithmes de girlies féministes, qu'il faut imaginer toutes les industries qui feraient faillite si les femmes commençaient à s'aimer telles qu'elles sont. Free the nipple, no filter et journée sans maquillage sont bons à faire cliquer le prosélytisme éphémère d'un système malade, mais reste que, en même temps, esti, je te laisserai pas poster cette photo-là parce que j'aime pas ma face ou mes bras dessus. C'est fou.


Les instants où moi je me suis trouvée belle diffèrent peut-être de ce qui est orchestré pour être supposé. C'était pas, quand dans la fleur de ma vingtaine je me décorais de dentelle pour un show ou un shooting, plumes et fards et lumières toutes manœuvrées en mes avantages, mais après ces shows burlesques quand on sortait prendre une bière (lire vingt-trente bières), quand le makeup m'avait fondu dans la face sous les lumières, les cheveux hirsutes et odorants d'avoir été prisonniers d'une perruque quelques heures, le chest collant de glitter et souvent une robe de chambre de friperie criarde sur le dos. J'eus affirmé avoir été l'enfant d'amour du Joker et d'une dame de la nuit, vous m'auriez cru sur parole sans testament de sang. Mais c'est là, que moi, j'étais ben, un peu mottée, un peu crottée. Si quand enfant les dents brunes m'empêchaient de sourire à pleine gueule, c'était maintenant à pleines dents, dans ces moments, que je me sentais invincible, une fois après l'show, belle. Après.


Et je me demande si je suis condamnée à ça, continuer de poster des photos de moi d'il y a des années parce que c'est juste une fois le temps passé, que je peux les apprécier.


Est-ce qu'on échappe un jour à cette infantile petite crottée qui fut le premier croquis de notre identité ? Est-ce que les cygnes sont encore hantés vilainement de ces échos de petit canard d'antan ? J'y reviendrai certainement, dans queq' années.


 

Mon livre, un monologue sur ma relation avec la boisson et cheminement vers la sobriété, est disponible en librairie et en cliquant ici.




88 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
Post: Blog2_Post
bottom of page