"La temporalité change en devenant sobre, quels sont les côtés positifs et négatifs ?"
C'est un peu le sujet proposé en question ouverte sur mon instagram par Marie-Claude, fière sobre et loyale abonnée à ma page de Rédaction, et je trouve que c'est un excellent thème à aborder.
Einstein (Albert, pas Serge) expliquait la relativité un moment donné (j'étais pas là mais j'ai entendu dire), en suggérant à peu près comme cela que la longueur d'une heure passée assis à côté d'une jolie fille sur un banc de parc, ça passe aussi vite qu'une minute, et qu'une minute passée assis sur un four brûlant ça passerait comme une heure.
Il en va semblablement en devenant sobre.
Quand je buvais, les heures à boire passaient comme des secondes, jusqu'au dernier moment de fête ~réelle ou dans ma tête~ je vivais hors du temps. Les heures à travailler le lendemain parz'emple, verte fluo de hangover avec les tempes bouillantes et le foie tremblant comme une feuille morte, passaient comme des siècles.
Mais, en même temps, même dans les pires moments de déprime imbibée sombrée dans le noir de mes draps froids d'alcoolique, les journées, même les semaines passaient vite en titi.
Mon entière vie, en fait. Dans le sens que sans rien faire, les aiguilles des heures de l'horloge ne voulaient plus rien dire, et je n'étais pas capable d'être une humaine valide pour aucune des 24 à passer. Rien ne se faisait. Je cuvais. Je m'isolais. Je m'enclumais. Je m'insomniais. L'âme en frottance sur les fonds marins, aussi engloutie qu'empêtrée dans mes tempêtes, pendant que ma vie se passait sans moi, là-haut, à la surface, hors de la mer des liquides dans lesquels je me noyais quotidiennement. Avec une chaîne du gosier reliée à chaque pied bien calé.
Les semaines, les mois pouvaient passer, anonymes, insipides, marqués seulement par les bills qui arrivaient, s'empilaient pendant que moi, ben, je faisais que boire plus, m'endetter plus, me tuer-à-petit-feu-plus. Un peu peut-être, comme les limbes doivent feeler quand on y prend vacances dans l'éternité telle que racontée. Dix mille ans ou dix-huit secondes ? Qui sait ? Qui ne s'en crisse pas ?
Quand le but est devenu de se paqueter dès le lever, le fil des jours est un inconnu sans visage.
Quand j'ai arrêté de boire, j'ai découvert le potentiel d'actions à cocher dans une journée ouvrable.
Eh, sacréfice.
Je me suis mis à carburer en tabarnaque. Avec étonnement. Surtout au début de la sobriété car : on dégrise complètement pour la première fois et on se réveille zéro magané.e, et pis y a cet espèce de feu au cul et/peut-être/ou pink cloud qui embarque... De surcharge avec laquelle on ne sait pas trop quoi faire. Comme pogner une étoile dans Mario Bros. Gratuit. Naturellement.
Tsé le ménage du garde-robe de l'entrée, pis tes impôts pas faits des trois dernières années, pis faire une vraie épicerie avec des aliments pas préparés tout en te bookant ton premier rendez-vous pour un pap test depuis 2017 ? Ben c'est possible que tu sois capable de clancher tout ça en une journée. Et que tu regardes, incrédule, le soleil pas encore couché quand t'as toute fini.
Le temps, c'est weird.
On pogne souvent des deux menutes, en regardant le chrono, quand on consomme pu.
Mais aussi, ce temps mouvant, il devient long, parfois, au restaurant quand on ne boit pas. Au resto ou au bar, par exemple, je ne suis plus capable comme avant de passer de longues heures étirées à refaire le monde sur une buche de bois laquée éclairée aux ampoules industrielles à rêvasser du barman-mixologue avec du ceviche d'oursin pogné dans la barbe. Je ne m'éternise plus au comptoir des bars à poudre l'après-midi jusqu'à temps qu'on m'en offre et attendre avec insouciance l'arythmie cardiaque à venir qui sera chassée à coups de Stinger en chantonnant du Scorpions.
J'en n'ai plus envie.
Le temps passe différemment.
Tic-tac versus Tiiiiiiiiiiic..... Taaaaaaaaaac.
Je suis chanceuse de pas être amie avec la chieuse que j'étais il y a encore quelques années, qui m'aurait fait perdre mille journées dans des trous sympathiques qui sentent les pastilles d'urinoirs et le houblon caramélisé jusque dans les sièges au cuir craquelé, juste parce que y a là des deals sur la boisson et pis que le juke-box est gratis.
Et j'adorais ces places-là.
J'adorais toutes les places avec un permis d'alcool, soyons honnêtes.
Toutes les sorties étaient Noël, tant qu'on pouvait y boire de la draft comme du miel .
Tant que j'avais les pieds balants sous un tabouret, l'univers et le temps n'existaient pas. Autrucher mes problèmes en siphonnant les heures comme les lièges. Et j'en étais fort aise.
Je me souviens d'avoir fait des 'shifts' en cliente de bar très jeune, au sortir du cégep avec mes cours qui finissaient l'après-midi, je courrais la joie au coeur à coups de talons dans le cul, petits poings fermés et coudes en manivelle, haletante, au débit de boisson qui cartait le moins pour y boire mes sept cent sous, et jeune fille poitrinée peu farouche que j'étions alors, ai pu boire la pléthore de pintes et verres offerts - la nature le voulant ainsi que la volaille attirasse la bienséance d'écartés de meute, et souvent jusqu'au last-call, souvent sous l'œil bienveillant d'une barmaid qui chassait les trop insistants, moi et parfois aussi une camarade de classe, on buvait au punch-in/punch-out du staff régulier de semaine. Du happy hour jusqu'à la fermeture. Comme si c'était un 5 à 7.
Je voyais pas ça, le temps passer.
*
Mais (encore...) Le temps en sobre, des fois, c'est lourd.
Parce que ça fait beaucoup d'heures, le cerveau tout clair.
La sobriété règle pas tous les problèmes (proche que mais tout de même), et ce qu'elle ne règle pas, elle le met en évidence surlignée, sur le seuil de la porte de notre conscience, comme un sac de papier rempli de marde de chien enflammé. Ding-dong, esti !
Être sobre et analyser notre propre vie be like : SALUT ! J'AIMERAIS ATTIRER TON ATTENTION SUR CECI. Ce qui dépasse, déplaît, dévalorise, détruit, déconstruit, ralentit, engourdit, nous apparaît maintenant fluorescent. Et tant qu'on se règle pas le cas, ben, c'est ben de valeur mon pit', mais t'as 24 heures toutes claires pour y penser et vivre avec.
Ah, il est où Serge Einstein quand on a besoin ? Comment peut-on être à la fois assis sur un banc de parc avec un ou une kioute et en même temps être assis sur un rond de poêle à broil ?
*Cette réflexion ne propose pas de conclusion ici, mais demeure en ouverture sur ce cheminement jamais fini, du temps, inéluctablement dull, et parfaitement jubilatoire en même temps...
Merci de la suggestion de sujet !