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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

La Quête de la défonce

Dernière mise à jour : 7 août 2023


Je me suis fait enlever les amygdales à 17 ans.


C’est la première fois que je goûtais à un dérivé de morphine.


Malgré que j’aie plutôt pris l’avenue de l’alcool que celle des opiacés dans mon parcours, je me souviens exactement comment je me sentais, après l’opération, buzzée que le câlisse.


Les avant-bras qui grattent, les paupières slaques, et surtout la délicieuse impression que… rien n’est grave.


Une absence de soucis induite par une drogue, n’est-ce pas l’élixir qu’on cherche tous ?


Je me revois, une amie de classe était venue chez nous juste après pour un travail d’équipe à l’école, et j’étais pas capable de donner de réponses. À la place, je souriais, la gueule molle, évasive et béante, en répétant que « aille man, c’est pas graaaaaaaaave ». Avec le recul, y ont dû me donner des doses pas rapport à l’hôpital, ça se peut pas être gelée de même pour deux esties d’amygdales scrappes. Mais bon.


« C’est pas grave », si ça ce n’est pas le Wingardium Leviosa des anxieux dépendants, ma maison n’est pas Poufsoufle !


« C’est pas grave », c’est la destination à laquelle je buvais. C’est l’état que je recherchais. Peu importe le tumulte qui me mangeait le cerveau et le cœur, la substance était là pour ramollir mes os et muscles raidis de tourment, pour retrouver la mollesse et l’indolence d’un jeune éléphant.


On veut l’évasion, nous les tous croches, c’est connu. On veut caller dans le tapis rouge dans une civière comme Mark Renton dans Trainspotting. On veut que David Bowie se mette à jouer, entendre les paroles des autres comme si on était sous l’eau. On veut écouter le battement de notre cœur se ralentir et sentir notre sang se réchauffer. On veut qu’à chaque gorgée de fort, ça nous illumine le dedans comme dans les annonces de sirop pour les bronches. Boire, c’est médicinal.



« C’est pas grave », c’est aussi le mantra que je répétais, à jeun jusqu'au prochain verre, quand pourtant les choses étaient graves. J’amenuisais mes enfers, comme il est coutume de faire chez les dépendants en phase de forte consommation, en disant à soi-même et aux autres pour convaincre, que, c’est pas si pire que ça.


Mais des fois, ça l’est, si pire que ça. Des fois c’est grave, et d’être buzzée 24/7 c’est un amortisseur d’aucun secours ou si peu, en temps de catastrophe.


Des fois, on boit pour fuir la réalité parce qu’être à jeun est insupportable. Des fois, on sort d’un hôpital, cette fois à 23 ans, après avoir vu son père en phase terminale d’un cancer, amaigri, malade, souffrant, et on se dirige au bar le plus proche et on boit jusqu’au lendemain. Et cette même nuit-là, notre père meurt. Et ce lendemain, avec notre sœur à jeun, on fait les arrangements funéraires, on vide le logement d’un père frais mort, on nous demande de choisir l’urne, le X dans le cimetière, la photo du signet, coucher de soleil ou lac tranquille, dans un lendemain de brosse épouvantable. Le cœur à terre. « C’est pas grave, man »... Des fois, y a pas assez de substance sur la Terre pour occulter le grave qui nous happe.


J’allais continuer à boire encore presque dix ans après ça.


À chaque peine, travailler fort à l’engourdir et l’enterrer.


Laissez-moi vous dire qu’un deuil est plus compliqué à vivre quand on s’acharne à se soûler dès qu’on vit une émotion inconfortable.


Mes premiers mois de sobre, en 2020, j’ai jamais autant pleuré de ma vie.

Pour tout et rien. J’ai braillé à cause d’un arbre de lilas une fois parce que je trouvais ça beau et que j’étais émue. Ça a comme parti le bal pour le reste. Je suis une personne qui pleure, maintenant, quand elle vit des émotions, lourdes ou légères. Je ne l'étais pas avant. C'est un autre des changements.


Des fois, ça arrive que c’est grave. S’en rendre compte sur le coup et accueillir le bouleversement de notre univers, au lieu de refouler ça dans les drogues et spiritueux, ça peut aider à ce que ça devienne, au bout de la ligne, à la longue, moins grave.



Et c’est correct, man.





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