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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Le dernier bar de la dernière brosse

Dernière mise à jour : 9 févr.


Mon nouvel appartement est à moins de 200 mètres du bar où j’ai pris ma dernière brosse.


Ma dernière brosse remonte à mille dix-huit jours. Elle fut suivie d’une dernière marche de la honte après le sixième lastcall, à la presque aurore, le nez plein de coke et le cœur plein de dégoût, où par faute de taxi j’essayais de rentrer chez nous à pied, sans reconnaître le chemin de retour d’où je restais à ce moment-là. Une marche de près de deux heures qui aurait dû prendre une trentaine de minutes, dans le frette impardonnable d’une nuit de début mars 2020.


Je me revois, en coupe-vent à motif d’armée, leggings noirs troués, pu une estie de cenne, greloter et renifler, écoeurée de ma vie comme je ne l’avais jamais encore été.


J’avais frette, j’étais épuisée, j’avais le goût de pleurer de rage de comment je me trouvais l’état misérable. Mais brailler, je faisais pas ça. En dépendante, en alcoolique, les larmes, ça s’avalait ben avant de les brailler.


C’était une soirée karaoké qui avait pas levé, je pense que j’ai même chanté une toune d’Amy Winehouse. J’ai dû la roter, en fait. Et je me sifflais des gin tonics doubles avec une pinte de draft en chaser à côté. Des fois je partais dégueuler, je coupais la conversation avec un des visages anonymes avec qui je partageais les inepties d’usage, et je revenais m’échoir sur mon tabouret encore tiède, pour continuer à boire, encore.

On m’a parfois demandé si c’était ma dernière brosse, mon rock bottom.

J’ai répondu que cette dernière brosse n’avait rien de spécial. Et c’est peut-être justement sa presque spectaculaire morosité qui m’a donné le cran d’enfin arrêter.

J’avais trouvé l’ultime confirmation, que plus jamais rien de bon ne se passerait après trois heures du matin.

Mille dix-huit jours plus tard, je repasse devant ce bar, son affiche accumulant une petite neige de saison. Inoffensive. J’aimais les bars où je pouvais me dévisser comme ça, seule, accompagnée, soûle, abandonnée, à moi-même.


Un ami de comptoir il y a longtemps avait avancé la théorie que les comptoirs de bar sont faits de façon courbée et souvent de couleur rappelant la chair. Et que nous nous y agglutinions comme de petits porcelets à la mère nourrice, pour s’y abreuver, assoiffés. Pas fou. Pas fou pantoute.


Combien d’années, combien d’heures ai-je passé, les pieds ballants, les coudes vissés, le foie meurtri, à ces comptoirs ?


Certains pourraient affirmer combien d’heures ai-je perdu ? Je ne sais pas si je les ai perdues. Je les ai dépensées, certes, mais perdues ? Certainement échangées contre quelque chose, ces heures.


Et je les ai échangées contre la paix d’esprit que j’ai maintenant, de pouvoir passer devant des bars où j’ai tant vomi, aimé, frenché, bu, roté, fêté, gelé. Dans cet ordre.


Une paix d’esprit achetée sur vingt ans de consommation chevronnée et chaudronnée, mais une paix d’esprit quand même.

Si j’avais un conseil pour les frais anciens soûlons, les nouveaux sobres, ce serait de se trouver de la compassion pour l’ancien soi.


Parce qu’aujourd’hui, même quand j’ai les bleus, le gouffre sous mes pieds sera jamais si profond que l’abysse qui chatouillait mes chevilles, chaque fois que je choisissais de m’assire sur un tabouret de cuirette, collant de toutes les bières qui m’enracinaient dans ma misère hors du temps, hors des sens, hors d’espoir.



Bon hiver !

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