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  • Photo du rédacteurCristina Moscini

Passage aux vides



J’ai – adopté le silence en mode continu.


Un grand mois sans nouveau texte ici. Une première en trois ans. Silence loin d’un fleuve tranquille, hélas – image qui m’est chère et état que je recherche, pourtant. Ma vie, mes pensées ont été vivement bousculées de tumulte dans les récents mois, comme une collision interne qu’il m’urgeait d’affronter, sous peine et récompense d’avoir l’opportunité d’en grandir et d’en guérir... Comme disait à peu près Rimbaud dans son Bateau ivre entre deux chopes et trois glands :


"Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaune
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…"

Bref, un boute rof' sarieux. Estie de vie, han ?


Quand l’hiver dernier, j’ai perdu mon appartement et tout ce que je possédais dans un grand gros feu moins de quarante-huit heures après la première d’un spectacle de théâtre que j’ai écrit qui exposait ma vie d'alcoolique sans filtre ni filet, j’ai reçu suite à l'incendie une aide financière inespérée venant d’une collectivité de donateurs, et grâce à ça, à eux, à vous, j'ai pu me reloger ailleurs sans trouble et trop de délai. 📈📉📈


J’ai ensuite perdu ma job qui me permettait de faire l’épicerie et payer mon loyer moins de deux mois après l’incendie et ma relocalisation dans un logement convenable mais où certes tout me coûte plus cher, me replaçant dès lors dans une position d’incertitude financière. 📉 Re-mais, moins de deux autres semaines plus tard, j’ai appris que mon projet d’écriture théâtrale a été l’un des projets choisis par le Conseil des Arts et des Lettres du Québec dans le cadre du partenariat territorial de la Mauricie et patapouet, donc, je devenais récipiendaire d'une bourse pour écrire une pièce qui me gardera occupée. 📈 Pour un petit bout, et tenir le cap encore, de cette vie au gouvernail turbulent.


Toujours par paires, les événements me viennent, une hirondelle dans une main, et une bouse de vache dans l’autre.


La balance universelle a le don de rendre méfiant du... si ça va trop ben, c’est que le destin s’en vient frapper dans pas loin. Je sais que c’est pas santé comme raisonnement. Mais.

Se cache sous une blogueuse aux allures de guérie, une ancienne alcoolique qui sous-jace de la superstition et d'l'inévitable cauchemar partout où le sort pleut, puisque si familières les fatalisteries de vie d'avant, ces vides avant...


Depuis décembre, je peux compter sur les doigts d’une main les fois où j’ai été capable de chier solide. Mes intestins (‘ga ben ça fait trois ans j’écrit sur ce blogue-là, j'ai nommé tous les bars dans lesquels j'ai dégueulé mon trop plein de draft avec un toton demi-sorti, m’a ben parler de mes selles, on se connaît officiellement assez) sont toujours l’élément le plus sensible de ma charpente physique dès que je vis un stress (y en a c’est les migraines, le mal de dos, le mal de djos; chacun de fabrication son défaut). J’ai encore un certain mal à dormir, attendant toujours que ce ciel me tombe sur la tête comme il faut d’une seconde à l’autre au son d'un craquement, au son du vent, je suis vapeur et angoisse.


Dans l’ancien temps, j’aurais soigné cette anxiété en arrosant copieusement mon foie de toutes les libations possibles et abordables dans mon périmètre avec toutes les drogues disponibles pour y faire de succulents accords en 2 pour 1, pour bien sûr mieux badtripper une fois l’ivresse partie, mais depuis trois ans, j’ai pris le chemin de la sobriété et c’est de la guérison à frette et maison, Gaston. Alors, magnésium, et gymnasium. J’ai du perdre près de vingt livres en trois mois post-incendie sans vraiment essayer, et certes si mes habitudes santé y sont pour quelque chose, le moteur de la bête est ce stress incessant qui ne me quitte pas. Un biceps se forme sous ma paupière qui tique. L’électricité dans mes muscles, dans mes chairs, dans mes nerfs. Un stress qui gosse.



Dans les choses qui sont parties dans le brasier et les cendres, des objets. Des objets qui appartenaient à mon défunt père, et que je traînais, de déménagements en déménagements, depuis sa mort il y a douze ans ce printemps. Un baromètre, que depuis mon enfance je l’avais toujours vu, mon père, opérer en tournant le petit boulon au centre pour ajuster l’aiguille, vérifier la pression atmosphérique de la journée à annoncer. « Quel genre de journée on va avoir aujourd’hui ? » qu'il lançait pas trop loin de moi, dans une haleine qui embaumait le brandy choisi au volume et au pourcentage élevé toujours.


Beau temps, mauvais temps, à prédire avec son baromètre, que j’avais chez moi depuis, et j'y pinçais le boulon à mon tour, chaque fois que je voulais savoir, quel genre de journée je m’enlignais pour avoir, moi aussi. Le baromètre est parti dans le feu, aussi mort que mon père incinéré. Mon père n’est pas plus ou moins mort avec ou sans baromètre, mais j’ai braillé que le christ de cette absence matérielle ou énergétique, lourdement ressentie dans mon mien de physique, douze printemps après sa mort. Maintenant sans les objets qu'il a pu toucher, ce qui lui a appartenu, ce qui nous reliait entre là et l'au-delà.


*


Pour me sortir la tête de moi, j’ai jugé bon que je doive prendre soin d’autre chose que de mes miches pour faire changement. Pour progresser, évoluer, tous ces jolis mots de rétablissement. J’ai décidé de devenir famille d’accueil pour un chat. Moins épeurant et obligeant que l’adoption pour la vie, je voyais dans l’idée d’accueillir un chat de la rue pour quelques temps, une belle transition, une belle façon de me rendre utile, et égoïstement, gagner au change en profitant de la présence d’un animal aussi thérapeutique que photogénique.


Les gens du refuge de ma région ont la bonté de venir te porter un chat dans le besoin, fournissant même leur manger et leur litière. Manque juste d’en prendre soin. Le chat que j’ai, elle est arrivée enceinte. J’ai absorbé l’internet animalier pour devenir la meilleure grand-mère de chat qui accueille un accouchement, j’ai communiqué sans relâche avec le refuge, pour assurer des conditions optimales. Et encore une fois, bien égoïstement, j’aimais l’image que ça renvoyait de moi : une ancienne soûlonne des ruelles qui devient sagefemme de félins errants, telle une Sandra Bullock dans le film 28 jours, la passe du cheval qu’à pogne son sabot no stress à la fin (ceusses qui savent, savent). Ce serait-tu pas poétique, de se boucler le cycle ?


Mais ça s’est pas passé comme ça.


Une jeune chatte, Maggie, traumatisée par la dure vie et ses conditions du dehors est arrivée, se cachant dans les boîtes de carton et les préférant à son lit confortable aménagé juste à côté drette pour ça. Peureuse, belle comme deux cœurs, petite. Nerveuse. Le huitième jour qu’elle était chez nous, elle a accouché. Pour épargner, j'amputerai les détails sensibles de ce qui fut vécu. Pour les vétérinaires d’estrades, tout ce qui aurait pu être fait a été fait selon le protocole établi. Chauffage, serviettes, abri, gants, musique douce, supervision mais en gardant distance pour aider à la calmer. Mais Maggie, un chaton elle-même, avait probablement pas dans ses plans de devenir mère. Des deux seulement de sa portée qui ont démontré dès signes vitaux à la sortie, elle ne les a pas reconnu et sont morts dans la difficile de nuit.


Un soir d’éclipse, bouleversant pour la chatte, bouleversant pour moi, malheureusement, les chatons n’auront pas survécu. Deuil animalier. J’ai passé dix jours dans un silence total, ne communiquant qu’avec le refuge pour donner des updates sur la santé de Maggie. Les premiers jours, j’ai pleuré sans grand répit. Avec comme des hameçons de plomb accrochés aux poumons. Les minces progrès que j’avais fait pour apprivoiser Maggie étaient retournés à zéro, psychologiquement, elle revenait de loin. Si elle n’avait pas l’instinct maternel, elle gardait son instinct de survie. Fort, même affaiblie. Alors j’étais pendant ces dix premières journées suivant ça, un moniteur ambulant, le coeur fendu, allant et venant cafardeuse en crisse, surveillant ses pertes, combien elle mange, combien elle pisse, combien elle chie. Son humeur, catatonique. Mon état, deuil, chagrin, léthargie, culpabilité. Me suis-je jinxée en en parlant trop tôt aux autres, de ce nouveau chat ? Ai-je provoqué le destin avec de l'enthousiasme hâtif ? Comment ai-je pu avoir l’audace de penser que ce serait tranquille autour de moi et que c’était un climat viable pour un autre être vivant ? Pourquoi ne vois-je pas que j’attire la marde et la destruction dans ma sphère, pourquoi vouloir attirer un chat qui a rien fait dans ça ? Ma pire crainte était qui lui arrive quelque chose. Ça a été pas mal bullseye côté douleur. Ça a été difficile de passer à travers ces dix premières journées-là. Le refuge m’a dit, d’un côté, ça lui permettra de vivre sa vie de chaton à elle, à huit mois, c’est comme si elle avait été enceinte à treize ans environ. Ça donnera une chance à l’abondance de jeunes chats déjà existants surpeuplant les refuges et les rues de trouver un foyer. Je les remercie d’avoir pu chercher à y voir du positif et je les admire de dealer avec ces adversités quotidiennement. C'est une fracture qui enfonce dans le chest.


Puis, après quelques autres nuits, j’ai entendu Maggie jouer, autour de trois heures du matin. Avec ses jouets, elle reprenait progressivement une vigueur ardemment souhaitée. Je me suis greyée d’une caméra de surveillance pour stalker non stop mon chat dans son évolution, dans sa rémission. Puis les jours allant, en stickant à une routine rassurante; pelleter la litière, remplir les bols à bouffe, changer l’eau, passer le balai, replacer les jouets, il s’est réinstallé une confiance. Maggie ne part plus se cacher automatiquement quand je rentre dans sa chambre. Elle sait que chu là pour remplir ou vider ses besoins vitaux. Depuis quelques jours maintenant où j’étudie son horaire, sa toilette, sa façon de jouer, je ne peux que constater comment elle est mieux maintenant que quand elle est arrivée. C'est même un chat enjoué. Elle prend de l'assurance, son pelage devient beau, elle s'étire, se délie, elle bondit.


C'est la première fois que je vis un sentiment de deuil et que j'ai un être vivant à prendre soin. Ça nous fait apprendre sur nous-même, je trouve. Car dans mes tourments, j'ai eu et j'ai tendance au shut down complet; arrêter de me nourrir, arrêter de me laver, arrêter de sortir. Le fait d'avoir un chat qui vit botte le cul de ma stagnation naturelle post-traumatique. Même si j’ai le cœur gros à chaque fois que je pense à cette nuit d’éclipse, ce chat continue de vivre malgré, et il faut que j’en prenne soin, pleinement, régulièrement. Et si j’ai les yeux en larmes chaque fois que je la vois se licher la cenne après s’être clanchée une cannisse de Fancy Feast en sauce avec bonhomie me rappelant ainsi ma propre jeunesse, l’importance de la voir dans l'action progresser avec sa vie et ses soins me garde drette - certainement plus ébranlée que je l’aurais pensé comme contrat de départ - mais me voilà du haut de mes cinq pieds quatre pouces de niaiseuse guidée, fixée sur et par le bien être à surpasser d'un félin de moins de sept livres que j’aime autant qu’un cœur peut aimer.



Le plus vite j’accepterai que je n’ai pas de contrôle sur les événements autour de moi, le mieux je pourrai m’adapter, c’est juste que, par habitude, j’avais plutôt choisi de ne plus laisser personne entrer dans mon cœur, de peur d’en être blessée, par le sort, par la mort. (Comme Sandra Bullock, mais dans Amour et Magie.)


Une ex-soûlonne au coeur sauvage, dont les premiers amours s'appelaient seulement Molson et et Bombay Sapphire...


Je pense que ce qu'on peut vivre, c'est un épuisement quand un sentiment de sécurité n'arrive pas, malgré de ~meilleurs~ choix, c'est comme de perdre foi en la vie, et d'avoir peur d'avoir mal, d'être mal. En alcoolique, cette peur était engourdie, coussinée par l'ivresse, je me réconfortais constamment en balbutiant que, peu importe ce qui arrive aujourd'hui ou demain, je ne sentirai rien...


Avec le recul, je crois que j’ai choisi de déménager précédant ma sobriété dans une ville où je ne connaissais personne pour pouvoir justement avoir l’espace de guérir et grandir, à la recherche d'un nouveau sentiment de sécurité, pour ne pas avoir à performer dans le rôle d’amie, de collègue, ou même dans le futur, de blonde, d’épouse ou de mère. On ne peut pas perdre ce qu'on n'a pas. On ne peut pas souffrir du destin si on ne participe pas à la danse sociale du coin. C’est donc dans cette solitude induite où j’ai pu me trouver un propos à l’existence, et ce propos, pour moi, il tient résolument dans l’activité même de l’écriture. Comme dra là. Même si j’écris de la crotte, la crotte d’aujourd’hui sera moins pire que celle d’hier, et de par cette raison elle aura servi son rôle étronné.


Je sens que cette solitude m’est aussi une quête épisodique du silence nécessaire, pour y trouver, ultimement, d’autres façons de guérir qu’avec les mots – moi qui intellectualiserais le son d’un rote, l’octave d’un pet. Le corps, ou l'esprit, doit lui aussi, avec le temps, se redécouvrir, s’apprendre en-dehors du comportement de dépendant, d'enfin assumer notre personnalité hors consommation et établir nos limites personnelles. Ça se traduit par de longues périodes de mutisme, et pis des textes fleuves sur tout et rien, mais surtout sur tout ce qui m’afflige. Un processus, ça suce. (Pas tant, mais la rime était juste là.)


* *


J’ai écrit à peu près cent-quarante textes sur la sobriété, l’alcoolisme et le rétablissement en trois ans. Ça revient à environ un texte par semaine. Je ne me suis pas lâchée tranquille trop. J’ai même vendu des t-shirts et des autocollants de sobriété avec ferveur et spring dans la step, avant que mon inventaire parte avec tout le reste dans le feu. 📉 Quand je crois en quelque chose, j'aurai tout de même eu les preuves que j'ai pu être vigoureuse. 📈


J’ai tiré et je tirerai encore des leçons de ces trois dernières années, de voir mes efforts fleurir, presque toujours synchronisés, jumelés dans mon calendrier de vie avec des pertes intenses, comme logis, job, identité, deuils, des-hauts-des-bas, comme le refuge dans l’alcool le faisait dans le passé.


Je regarde ça, le tout, le global, et je peux dire aujourd’hui que le verre est certainement plus plein que vide. Et plus santé.


Si c'est vrai qu'à chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de merveilleux, il t'arrive quelque chose de terrible, alors ça veut aussi dire qu'à chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de terrible, il t'arriverait quelque chose de merveilleux...

Y a des câlisses de belles choses pour moi qui s'enlignent à l'horizon et même depuis jusqu'ici. Ce serait fou de me plaindre, mais en même temps reste cette illusion-impression récurrente de dangers imminents, de fatalités suspendues pour les autres comme pour moi à chaque avenue que je prends, que je choisis. Et câlisse que ça fait que ça brasse. Que ça épuise d’essayer de trouver des leçons de l’univers, dans ces carambolages déguisés où j’ai parfois l’impression d’être hors d’haleine, en m'efforçant à chercher un sens ailleurs que dans les vodkas-clamato. Ça me décrisse, mais ça va.


Ça me décâlisse, mais ça ira.

Je suis une petite fille de Beauport,

Mes peines j’avais appris

à les boire fort.

Mes joies je les avais

engourdies ainsi,

Avec mon foie enfin sain, j’espèrerai, qu'enfin ma tête et mon cœur aient suivi.



* * *


Bon printemps.

C’était bon de me faire aller la dactylo, puisque silencieuse depuis un moment.

Je m’en retourne au chat, en se souhaitant du doux vers l'avant.




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