J'en reviendrai jamais de la chance et du bonheur que j'ai vécu à mon premier été à St-Élie-de-Caxton en 2018.
D'abord, il faut se remettre en contexte. C'était il y a six ans, je buvais encore, je traînais sur moi trente livres de plus de stress, d'épuisement, de bière et de misère. J'étais partie de Québec pour l'été "pour aller écrire", mais j'étais surtout partie pour pas finir par me tuer.
Le visage enflé de douleur et de gin à crédit et de vin cheap à chaque réveil, endettée, profondément défaite et déçue du concept de l'existence en général particulièrement de la mienne, mon dernier recours avant un early check-out terrestre fut d'aller me donner une chance, quelques semaines, dans un autre code régional, pour aller revoir ces sapins et bouleaux que je n'avais que brièvement rencontré avant, voir si j'y serais pas, mieux. Le but caché étant de me trouver une raison, de persister, parmi ceusses qui respirent hiver comme été.
"Ah, mais les problèmes c'est temporaire, ça sert à rien de vouloir se sussuder !" vous diront les cartes de souhaits et ceusses qui peut-être n'auront jamais à regarder l'abysse un peu trop longtemps. Pourquoi vouloir en finir, est-ce la faute de l'alcoolisme ?
En 2018, si j'avais pris irrémédiablement un autre chemin et qu'il y aurait eu un épisode spécial de True Crimes sur les serveuses aux rêves écorchés qui se sont autodidacté le trépas, on aurait relié mes fils rouges au tableau de liège autour, probablement, de la consommation.
Boire tous les jours, sniffer quand on peut, pas être capable de dormir sauf en coma éthylique, pas être capable de se réveiller autrement qu'en sueur et en angoisse prenante, creuser chaque soir le fossé qui nous éloigne d'une stabilité financière et fragiliser notre espoir d'échapper à une fatalité qui nous fera perdre soit notre foie ou notre adresse civique en premier, c'est pas tout à fait la recette du bonheur que je souhaiterais à qui que ce soit.
Mais c'est plus que ça. L'alcool, et il m'aura fallu arrêter pour comprendre et cesser de rouler les yeux quand un savant de comptoir affirmait ça, l'alcool, donc, c'est un dépresseur.
Dans le sens non-scientifique - qui est le seul sens que je peux me permettre - la boisson est une saumure qui rend ton foie triste, ton coeur triste, ta tête triste, tes yeux tristes, tes intestins tristes, ton coude triste. (Le reste demeure ok, non c't'une joke, j'arrête.) C'est comme une teinture, comme le monde qui mange trop de carottes pis qui virent orange. L'alcool s'inscrit dans notre ventre et fait lentement pourrir le bois de notre charpente.
La réalité est celle d'un houblon, d'un raisin, d'une baie de genévrier macérée, transformée qui nous transforme à son tour. No way out, c'est le slogan qui avec l'alcool nous attend dans le détour.
Donc le Caxton...
J'y étais allée quelques fois avant, en visite. La première fois même, pour un show burlesque dans un événement littéraire à la bonne franquette (tout est à la bonne franquette là-bas, ce qui est beaucoup mieux que la mauvaise franquette). Je m'y étais même sur le champ fait quelques amis. C'est dire comment sont fins fins les fins là-bas, ces ceusses-là, de s'être montrés le bagout amical pour une bourrue jamais vraiment démaquillée de la veille, autour de laquelle volait toujours trois ou quatre mouches à fruits sangriées. "Tu d'vrais t'acheter une maison pis t'installer icitte proche de nous autres, Moscine !" m'a même dit un ami voisin résident du village, lors d'une balade en tracteur. (Qui était en vogue à l'époque.)
Je me souviens d'avoir sur le coup trouvé ça hallucinant et complètement farfelu. L'idée d'aller dans le rural, tout le temps. À l'époque, les tours cellulaires n'étaient pas encore présentes à St-Élie. Il fallait sortir du village pour recommencer à avoir du réseau. Cette idée d'être déploguée finirait par me plaire.
Dans mes courts séjours caxtoniens précédents, j'avais été témoin d'une bonté d'à laquelle j'étais pas habituée. Y avait comme quelque chose dans l'air, qui donnait l'impression que tous ceusses qui habitaient-là, autour de mille personnes à ce moment-là, avaient une histoire drôle au coeur qu'ils venaient tout juste d'entendre. Comme une inside joke que la vie est infiniment belle. Est-ce que j'essaie maladroitement d'expliquer des personnages heureux ? Peut-être ben.
Une des premières choses que j'ai remarqué évidemment était qu'il n'y avait pas de bar. Pour le plus proche, il fallait sortir du village et faire quinze minutes de char vers Charette où on pourrait retrouver pichets et tables de pool. Mais à St-Élie, non. Trois restaurants : un sur la rue principale, un dans le presbytère, et un dans une yourte. Pas d'épicerie : un dépanneur station-service dans le bas du village où tu pouvais acheter quelques viandes, un coin de mur SAQ, des légumes, fruits, produits laitiers, tampons, lunettes fumées, et un autre dépanneur station-service avec sensiblement les mêmes offres. Y avait, pour le plaisir des locaux, un magasin-maison ancestrale amenagé en comptoir de repas préparés avec amour, et la boulangerie du village pour ta baguette et tes tartinades de saison. Oué mais c'est ben beau, mais si moi j'cherche d'la poudre ?
Ce village-là m'a pas laissé longtemps continuer à m'démoniser le test sanguin.
J'étais d'abord chambreuse. Et d'échos en en échos, d'entraide en entraide, j'ai resté chez l'un et l'autre. Pour garder des chats, arroser des plantes. On me faisait confiance. La nouvelle au village, l'amie de l'autre, qui travaille au Rond Coin (me su trouvé une job dans la yourte rapidement), on me donnait accès sans me connaître. On m'a aimé sans me peser la valeur à la livre. Une des maisons dans lesquelles j'ai resté, c'était la maison d'une adulte. Quelques années de plus que moi. Pas beaucoup. Chez elle, de vrais rideaux, pas des draps avec des clous, une économie de bout d'six pack. Chez elle, une base de lit, pas de quoi de patenté avec des boîtes de carton repliées parce qu'investir dans autre chose qu'un bill au bar serait de la folie. Elle avait un jardin dans lequel il poussait des courges. Dans mon corps ne poussait qu'une cirrhose. J'ai commencé à comprendre la beauté.
Et de filtres en silex (de café), j'ai fini par apprendre à ouvrir mes yeux un peu plus, même si j'avais encore peur en tabarnaque de vivre à frette. J'ai vu du monde opérer sur une autre fréquence. J'ai recommencé à faire des rêves en couleurs la nuit. À vouloir faire des choses qui allaient exister demain. J'organisais des petits spectacles dans la yourte, des activités locales, j'me magnais l'cul pour qu'on parle du village, pour contribuer, pour rendre l'ascenseur un peu de cette beauté qui m'avait été donnée.
Un peu plus d'un an s'est passé. J'étais déjà, à la fois beaucoup et juste un peu, changée. Je suis déménagée à Shawi quelques autres mesures de temps après ça, à deux minutes à pied de mon syndic de faillite, car j'avais pris la décision de me prendre en main. De me donner une chance. Encore quelques autres mois après ça, j'arrêterais de boire pour de bon.
L'"Eldorado" était un pays imaginaire que les conquistadors espagnols pensaient découvrir entre l'Amazone et l'Orénoque. Ils croyaient y trouver une multitude de trésors, qui leur rendraient la vie facile. C'est de là que provient le nom "Eldorado" que l'on utilise pour désigner un lieu où la vie est facile...
Je vous nous souhaite tous de se trouver un Eldorado-de-Caxton. Les miracles pour fleurir, doivent commencer par germer quelque part.
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La pièce S'aimer ben paquetée avec Ariel Charest, merveilleuse actrice qui est présentement ambassadrice du défi 28 jours et qui expérimente l'abstinence de boisson, sera sur scène à plein d'endroits et de dates en 2024.