Y a encore des jours qui sont difficiles.
Qui a dit qu’arrêter de boire c’était facile ?
Moi.
Oupsi.
Mais à travers tous les avantages de ma sobriété, dont j’ai brodé du lexical en masse dans le Guide du Nouveau Sobre, il y a des journées moins évidentes.
Vous ai-je fait remarquer qu’on vit en 2020 ? Chaque semaine, l’actualité regorge et se surpasse de raisons de se doper jusqu’à la mort, de se boire la cervelle, de sauter en bas de son cul tant l’humanité n’en finit plus de juter de son pus dans le miroir de notre acné collective.
Ce haut le cœur, je le vis aussi. Des fois, je voudrais boire aussi pour fast-forwarder jusqu’à la fin des temps. Beaucoup des fois où je cherchais la boisson à ce qu’elle ne m’en quitte plus la paume, c’était dans ces instants-là. D’impatience. D’urgence à sublimer l’inconfort.
Du genre, puisqu’il m’est impossible d’arrêter de faire tourner la planète que je débarque, je vais m’annihiler au point où mon vomi couvrira celui croûté là dans cet affreux manège depuis des siècles, où l’immondice survit sous le plâtre gangréné de nos systèmes brisés.
Ah ! Que de ténébreux propos, Baudelaire dans des sweatpants Ardène. #goals
Le présent que l’on vit est gloomy comme disent les jeunes. Le présent n’est pas jojo, comme dirait Jojo Savard. On nous avait promis qu’aujourd’hui, c’était Pepsi. Faute d’utopies en liqueur brune, les SAQ retrouvent leurs profits de première vague de confinement, à l’heure où les régions passent du rosé à la zone gros rouge qui tache.
Est-ce ça qui me donne soif ?
Est-ce vraiment l’alcoolique en moi qui a soif ?
Ou est-ce plutôt le désir de me chasser l’âpreté morale qui me roule dans gueule comme un morceau de marde mal passé ?
L’affaire, c’est que j’ai pas soif. Je sais que j’ai pas envie réellement de boire. J’ai pas envie d’être soûle, j’ai pas envie d’être lendemain de brosse.
Comme ben des dépendants, j’ai des pulsions de dedans qui veulent être dehors.
Chaque fois depuis mon début de sobriété il y a sept mois où j’ai eu envie de me crisser un goulot dans la gorge, c’était par colère, impuissance.
Mais l’affaire, c’est que je peux pas boire et que ça crisse une volée à Gilbert Rozon. Je peux pas boire la justice aux victimes d’agression. Je peux pas boire à rendre la vie à celles et ceux qui l’ont perdue aux mains d’une société hypocrite, cruelle. Ça peut me donner le pouvoir magique de débouler des marches d’escaliers et parler en lettres attachées, mais ça s’arrête pas mal là.
La boisson ne règle rien. Je peux boire et me soûler tous les jours et toutes les nuits en espérant que ça sauve les petits canards englués dans les mers de goudron, comme dans les annonces de savon à vaisselle. Mais canetons gommés resteront.
La boisson faisait juste fermer le rideau. Pour un instant, j’entendais pu, je voyais pu. Rien.
Longtemps, j’ai pensé que je buvais pour aller me rechercher de l’enfance, de l’insouciance. C’est vrai que c’est le fun d’échapper sa vigilance comme une poupée de coton pour aller jouer avec les plus grands.
Être sobre, c’est mettre et lacer mes tites crisses de bottines chaque jour en acceptant qu’y a des choses que je ne peux pas changer, et des flaques qui continueront de me perméabiliser le sol des pieds. Être sobre et se dire qu’on ne peut pas pousser la christie de boule à Sisyphe plus vite qu’y faut.
Être sobre et affronter la maussaderie qui nous guette, c’est apprendre à faire l’amour à la lumière du jour à quelqu’un qu’on a ramassé la veille. Avec ferveur, honneur, et dignité.
Je ne me sauverai donc pas dans le sauvignon, pas de danger que je m’oublie dans le chablis. Je ne noierai pas mes malaises dans le sangiovese. (J’arrête.)
À ceux qui se versent un verre devant les flammes dans l’écran d’une réalité qui nous dépasse, je vous lève le mien (de kombucha). À mes aîné.es de sobriété pour qui l’armageddon des jours n’est pas nécessairement une nouveauté : respect. S’il y a une chose (parmi tellement) que je retiens dans mon arrêtage de boire, c’est ça : vaincre l’inconfort se bâtit de volonté et de vision.
La lumière du phare est peut-être petite pis loin en crisse, l’océan est peut-être fait en marde pis en volcans, nos rames sont peut-être des crocodiles sidéens qui nous mordent les doigts, le bateau prend peut-être l’eau mardeuse, mais viarge, rame, bebé, rame. Y a du bon dans cette planète.
Chaque coudée dans le bon sens est une coudée qui nous éloigne de l’épouvantable.
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Si vous ne connaissez pas les podcasts Wassobre, je vous invite à découvrir cette communauté de sobriété aux témoignages variés ici.
Image utilisée : La Bacchante, c.1844-47 (huile sur canvas) par Gustave Courbet (1819-77)