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Photo du rédacteurCristina Moscini

Une alcoolique chez la psy

Dernière mise à jour : 23 mai



La dernière fois que je suis allée chez un psy, je suis partie de Québec pour ne plus revenir. En quelques rendez-vous, j’avais gagné un mince espoir de perspective sur une vie qui me dégoûtait alors, et j’avais décidé d’aller me donner « une dernière chance », et d’aller voir (et vivre) dans un autre code régional, si j’y étais...


J’en ai eu pour mon argent, serait un euphémisme. Je suis encore là, et ce déménagement m’a facilité l’étape qui serait la plus lourde pour moi après : celle d’arrêter de boire.


J’ai gardé comme souvenir de ces séances d’assisage les pieds repliés croisés sur un fauteuil de cuir pendant que les cuticules des doigts des mains j'étais après me ronger, qu'être étudiée et suivie par une personne experte qui me charge l’heure aux cinquante menutes m’était riche en épiphanies. Que « mes problèmes donc bien compliqués et tortueux » n’avaient pas grand chose qui sortaient de l’ordinaire de la moyenne des ours blessés, une fois dits, une fois déclarés ces maux, dans l’oralité.


Toul’monde est malheureux toul’temps, comme dit la chanson, après tout. (Tam ti di dam.)


Mais ces problèmes, bien que communs en société, se valent d'être exprimés. L'action du mal qui se doit d'être articulé, si on veut bien en guérir, c'est là une importance non-fumeur et non-négligeable.


*


J’ai recommencé à fréquenter un bureau de psychologue dans les derniers mois, pour faire le point sur mon évolution, et mes deux ans et demi de sobriété.


Je relis parfois mes anciens textes ici, pour me prendre le pouls, pour voir cette évolution depuis mon arrêtage de boire; le pink cloud des premiers mois, la déprime, la pandémie, l’ennui, la frustration, l’espoir. Ça pelte dans tous les sens.


Alors que je vis une période de joie grimpante, qu’un projet auquel je tiens à cœur verra enfin le jour sur une scène (*Un monologue très personnel que j’ai écrit sera adapté au théâtre dans quelques semaines par une fabuleuse équipe), je ressens quand même, ou évidemment, de l’anxiété.


En sobre, l’anxiété, l’angoisse, c’est rof à vivre. Ce sont des peurs (parfois) insensées auxquelles le cerveau, la rationalité n’ont peu d’arguments pour calmer le jeu. Dans la saison 7 de RuPaul’s Drag Race (shoutout aux autres fans), RuPaul discute avec Katya, qui a rushé auparavant avec la dépendance, et Katya indique ressentir ce nuage noir d’anxiété qui la poursuit, malgré qu’elle vit actuellement les moments les plus faciles, les plus beaux de sa vie. RuPaul soumet l’hypothèse que Katya serait accro à l’anxiété.



Et c’est là quelque chose de pas fou pantoute.


Pour moi, ne pas me sentir automatiquement comme un sac percé rempli de marde gratinée en me levant le matin, c’est une lente et longue adaptation sur laquelle je travaille encore. J’ai dû apprendre, par instinct de survie mais pas par envie, à stopper le train de pensées intrusives avant qu’il ne me rentre trop dedans, avant que je ne pense à commettre des actes là pour me nuire, pour me détruire, pour me saboter. Chin-chin jusque dans le fond du fleuve, ma pourrite ?, me suggérai-je jadis.


Les pensées intrusives sont communes, chez ceux qui consomment comme chez les sobres. Chez les dépendants abstinents, ça peut être sous forme de flashs de désir de consommer, la fameuse « petite voix du mal » qui encourage à prendre les pires décisions pour soi. Ça peut être aussi des rêves ou cauchemars récurrents dans lesquels on a recommencé à boire, scrappant ainsi une belle lignée de progrès.


Ces rêves apparaissent souvent en période de stress, où notre cerveau paniqué pompe des scénarios anxiogènes, juste pour nous faire pulser la patate un peu, d’un coup ça irait trop ben trop souvent, tsé.


C’est pas tant le fun. Mais, on finit par se comprendre le pattern, (mais) reste que c’est comme d’apprendre à travailler dans une équipe où y a un snake qu’on ne peut pas renvoyer parce que c’est le fils du boss, ou quelque chose d'une déplaisaisance équivalente. Ce fils du boss vit avec un loyer contrôlé dans notre tête et le mieux qu'on puisse faire est de diminuer ses shifts sur l'horaire, lui baisser le volume, si on ne peut entièrement l'évincer.


Faque bref, je suis retournée chez la psy…


* *


Qu’est-ce que j’ai à chialer ? Ma vie va mieux qu’il y a six mois, un an, deux ans, quatre ans, dix ans… Pourquoi je capote ?


Pourquoi je pense à boire, alors que je n’ai pas l’intention ni l’envie de le faire ? D’où ça vient ?


Statistiques sans source à considérer avec un grain de sel :

On dit qu’un peu plus de la moitié des dépendants et plus du tiers des alcooliques souffriraient d’un diagnostic double. Signifiant qu’ils seraient atteints d’un autre trouble d’ordre psychologique, le syndrome de choc post-traumatique étant le plus commun. On appellerait ainsi le trauma le « gateway drug » par lequel la dépendance aux substances vient s’installer…

J’en lis souvent, des belles citations de ce genre sur les internets, je ne peux me permettre de prendre ça pour du cash quand je ne prends pas le temps d’étayer la véracité de leur source, mais je les prends comme point de départ pour des réflexions qui m’aideront, sans diagnostic, à m’ouvrir sur la pluralité des perspectives données sur cette fameuse et élusive origine, de la dépendance. De savoir d'où ça part donne toujours une aiguille de boussole plus nette, même si ça ne fait pas le reste du chemin à notre place.


Selon la psy que j’ai consulté, ce ne serait pas rare que le cerveau dépendant ou traumatique se cherche des zones de capotage, puisqu’habitué à être en mode survie, en mode de défense contre les attaques de l’extérieur, une hyper vigilance qui empêche de savourer le moment présent, une obligation invisible de choisir dans nos prédictions, toujours, la pire des pires issues envisageables.


Et ça digère mal, et ça dort mal, et ça fatigue.


Et on se dit : « Coudonc, qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? »


* * *


Mais je retiens ça, cette défaillance, dans certains cerveaux, à travailler à trouver un certain stoïcisme dans l’éventualité d’une catastrophe, d’un déraillement, de, soyons honnête, la moindre bifurcation au plan original et imaginaire qu’on s’impose pour réussir à s’accrocher, dans le jour à jour de la sobriété.


Une amie qui consultait elle aussi m’a illustré ça ainsi : « On s'défendra contre le tigre une fois qu’y sera dans’ cour ». C’est à dire qu’on ne gagne rien à se battre contre des monstres (encore) invisibles, juste au cas où qu’ils apparaîtraient. Qu’on brûle de l’énergie alors qu'on pourrait peut-être, mener des combats plus tangibles, qui sont là eux aussi (eille, la vie est 'rof déjà comme ça, ce serait fou de s'en rajouter pour gratis).


Alors, comment on fait, en pleine saison des éclipses, pour ne pas succomber aux tourments de cette folie qui gruge nos talons qui eux pourtant n’ont pas cessé de marcher droit dans cette sobriété studieuse ?


Je l’sais po.


Je suis à l’étape d’absorber encore un peu plus de savoir et d’expériences en arrière de la cravate, avant de pouvoir théoriser davantage.


Mais de ne pas savoir, c’est là l’occasion de pratiquer ce sentiment inconfortable des dépendants : apprendre à s’assoir même dans l’incertain. Yay !


* * * *


Si vous baignez dans cette incertitude rongeuse de paix, je vous encourage selon votre ville à checker si votre CLSC le plus proche offre des consultations gratuites avec un ou une psychologue, et si vous avez un peu de moyens, de vous céduler quelques rendez-vous dans une clinique privée. Pas besoin d'une tonne, pour déjà sentir une différence et s'ouvrir vers plus de clairceur pour soi. Ça revient moins cher que de toute crisser notre vie là et partir sur une balloune, et on gagne assurément un velours intérieur, qui vient apaiser pour un temps, cette impression de vinaigre permanent dans l’œsophage. Ça guérit un brin.


(Ça, pis du magnésium en tablette. Je ne peux prescrire professionnellement aucune solution, mais en attendant, prenez vos suppléments pis vos vitamines, pis bonne chance.)


 

Mon livre en librairie !


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