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Photo du rédacteurCristina Moscini

Une Saint-Patrick comme les autres

Dernière mise à jour : 23 mai



J’avais hâte de parler de la Saint-Patrick dans ma lentille d’alcoolisme et maintenant de sobriété. Après tout, selon mes souvenirs d'abreuvée, c’était un peu la fête de la boisson : les pintes de bière teintes en vert, les accents celtiques, véritables ou inventés qui émanaient des tavernes attrayantes sur mon chemin d’alors, et je me revois, encore, soûle et possédée, suivre les leprechauns à chapeaux & barbichettes orangées, jusque dans les tréfonds de ces enfers imbibés.


La Saint-Patrick, fête où tous les plus susceptibles de pogner des coups de soleil sur leurs taches de rousseur s’attribuent et se réclament de l’Irlande. Dans ses clichés, ses bouillis, ses pots d’or et arcs-en-ciel imagés.


Mais surtout, dans l’idée de l’ivresse, le plus tôt possible.


Puis, m’est arrivée la sobriété pour me rendre compte que, à la mi-mars, finalement, il ne se passait pas grand chose de spécial réellement à part une brosse dans la semaine qui me rendrait la langue verte et colorerait ma bile sur les trottoirs des rues quelques heures plus tard.


Quand on est alcoolique, c’est Saint-Patrick tous les jours.


On est quelques couches plus heureux, car on a l’impression que les plus sages ou les moins maganés que nous emboitent le pas, pour une fois, pour trinquer comme ‘faut. À grands coups de spéciaux renforcés par les bars environnants. Trinquons, à ces verdoyantes promotions, au pichet comme au gallon !


J’ai souvenir d’une année, un 17 mars où j’avais dégringolé de pubs en pubs, dès 11h le matin pour boire comme si y avait le feu. Les tables étaient pleines alors, je n’étais pas seule dans mon ivrognerie. Les mêmes quantités d’alcool n’auraient été inquiétantes que si j’étais attablée à un bout de comptoir, seule, mais là, nous étions légion ! Des ‘irlandais’ de la Colombie-Britannique croisés à la tablée. Des pichets éclusés. Puis un brouillard mental sous un soleil accusateur de la rue St-Jean.

Successivement, devant mes yeux, un printemps lumineux de tout juste midi, les neiges qui fondent, les asphaltes qui se découvrent et je me pognasse avec un anglais. Le chartreuse de sa langue et l'émeraude de la mienne font un camaïeux de french un peu dégueulasse, mais c’est fête. C’est fête, après tout.


Et dans cette dégringolade décontrôlée, je demeure convaincue que je fais là quelque chose de bien spécial, alors que seulement quelques gouttelettes de colorant alimentaire me séparent de mon habituelle intoxication quotidienne de jeune dépendante sans but et sans avenue.

C’est aussi ça, l’alcoolisme ordinaire : croire aux fêtes sponsorisées à coups de Jameson, de Guinness ou de toute marchandise de la Société des Alcools à écouler. On devient prosélyte du calendrier des gorgées. Saint-Patrick on boit ceci, Saint-Jean on boit cela, Jour de l’An du crémant, mois de ceci, du whisky, mois de cela, tequila…


Toutes, toutes les raisons sont bonnes. On devient bon à trouver des raisons.


Des raisons, pis des défaites après.


Je suis là, sur la rue St-Jean, il y a huit ou dix ans, soûle d’un avant et après-midi à avaler à grande vitesse et à grande soif tout ce qu’on m’offrait et tout ce que je pouvais me payer, et puis… je m’en vais travailler.


Avant que je sois travailleuse autonome, mes nombreuses jobs étaient dans le public. Toutes, sans exception, m’ont averties au moins une fois de mon état éthylique. En d’autres mots; y a pas une place où je suis jamais rentrée paquetée au moins une fois.


Et c’est là la beauté de l’alcoolisme versus la toxicomanie. L’alcool, on l’excuse. On m’a excusé, à chaque fois. Même si je le méritais pas. Y a pas de blâme à faire aux institutions, je prends plutôt mon expérience pour illustrer comment moi j’ai pu en profiter, de ce laxisme sociétal vis à vis la beuverie. Trop boire, c’est comme un petit secret pardonné. Un cheat code permis, je ne saurais me l’expliquer autrement que ça doit être que la business de la boisson est un trop gros char pour le petit moteur du bon sens.


On n’arrive pas à voir une personne dépendante en perte de contrôle derrière ce collègue un peu pompette. On ne voit peut-être pas assez, l’alarme du jugement abandonné… Prends un café, va te laver la face. Refais pu ça. Ou, refais-toi pu pogner *wink-wink*. C’est Saint-Patrick après tout.


Fais ton shift, y a de la boisson à servir.


Alors on va prendre un bain de toilette publique. À se laver la face à l’eau frette et l’essuyer avec du papier brun rigide. On se chique une gomme à la menthe polaire pour l’haleine de fond de tonne, aussi efficace qu’un petit sapin pour camoufler 48L de gaz naphta, et on apprend des plus expérimentés, que la prochaine fois où tu veux rentrer paquetée avant un rush, arrange-toi pour avoir la politesse de faire une ligne ou deux. Les clients attendent, va changer le baril de Kilkenny. Ding ! Ding !

Et c’est ainsi que se poursuit, un petit, très petit jeudi.


 



BOUTIQUE

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