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Photo du rédacteurCristina Moscini

Est-ce qu’une alcoolique s’ennuie de boire : la vraie vérité

 

« Est-ce que tu t’ennuies de boire ? » est l’une des questions qu’on se fait poser fréquemment, surtout au début, quand on annonce être devenue sobre.

 

Au début, ma première réaction des premières semaines, premiers mois était un résonnant « Crisse, non ! ». Je sortais tout fraîchement de ma relation tumultueuse avec l’alcool, j’avais encore le foie frissonnant à l’idée seulement de caler des shots sur un estomac vide - une équation ici de rentabilité chez la buveuse moyenne de peu de moyens.

 

Comme un syndrome post-traumatique, la pensée du boire m’horrifiait, alors que je m’accrochais nouvellement dans cette vie vécue à frette.

 

Puis, avec les mois sans brosse, les bénéfices se faisant ressentir, on pogne ce nuage rose, on désenfle de la face, notre pensée et notre moral s’éclaircissent, la vie devient plus vivable, on a du pep dans la step : on n'a encore moins le goût de recommencer à boire, on ne fait que commencer à goûter à cette vigueur agile qu’est la sobriété, généreuse dans ses cadeaux.

 

Et puis le temps passe encore, on fait notre premier tour de piste complet, notre premier calendrier. Une année est passée, la neige est tombée, puis fondue, les bourgeons dégelés, devenus feuilles, puis les feuilles, tombées, et bientôt, la neige les aura à nouveau enterré. On est, nous, plus solide dans notre identité, mais aussi, on a pu découvrir et apprivoiser un plus large éventail d’émotions qu’un humain doit s’attendre à vivre quand il n’est pas frosté engourdi par les substances dont il abusait alors.

 

Puis, si on est chanceux, une autre, puis une autre année passent. S’ajoutent au compteur de cette existence marchée dans le droit chemin. Les émotions sont toujours là, parfois trop fortes et encore épeurantes pour notre petit cœur habitué d’emmitoufler sous des couches de liquide à pourcentage élevé tout trouble désarçonnant, mais, on s’est drillé, on fait nos devoirs : on journalise, on s’étudie, on s’ouvre le hood de qué-cé-qu’y-a-qui-va-pas, on se répond honnêtement, on se traite en adulte, on se brosse les dents, on vit de maturité et de ginseng.

 

Récemment, je me suis demandé, puisqu’on jase de rendre accessible l’aide médicale à mourir au Canada pour les personnes toxicomanes [mon avant-dernier texte sur ce blogue], si y serait pas en voie d’exister, une nouvelle pilule qui permettrait de mourir, mais pour quelques heures. Peut-être qu’un des milliardaires astronautes pourraient nous gosser ça entre deux NFT, et ajouter ça comme option aux caisses automatiques pour mieux apprivoiser le prix grimpant de la margarine ou l’inflation obscène du pied de céleri : une pilule de mini-mort-éphémère. Je prédirais un succès retentissant.

 

Parce qu’après tout, n’est-ce pas exactement ce qu’on faisait en tant que dépendant ? Se tuer un peu, se tirer la plogue pour quelques heures, quelques jours ? Et le chemin le plus rapide pour y arriver était ce qu’on appelle bien justement, finalement, vivre d'expédients ?

 

Que ce soit la wine-mom qui se clenche un thermos de sauvignon pour passer à travers la game de soccer plate du plus jeune, à l’ado qui se gèle pour aller à ses cours, à l’employé qui a un tiroir secret pour finir son shift, est-ce qu’on veut pas tous, skipper la vie, ou du moins, ce qui nous y ennuie ?

 

Et quand on arrête de boire, c’est pas – ou du moins dans mon cas - la substance, le rituel qui manque, mais c’est cet intangible et métaphysique voyage dans le temps qui donnait l’illusion de fast-forwarder le plus inconfortable de nos vies de misère, pour se réveiller, certes décrissé, mais rendu de l’autre côté sans avoir senti le cahoteux trajet ?

 

Être à jeun, c’est vivre tous ces voyages en temps réel, pas de skip, pas de raccourci, pas de tableau souterrain, pas de mot de passe : fais ton shift, pis farme ta yeule.

 

Bon, pas t’a faite farme ta yeule, j’ai quand même cent quarante quelques billets ici où je me plains moult des différentes déclinaisons en couleurs et douleurs de ce dit voyage en terre santa sine sangria (du latin approximatif pour dire sans sainte sangria, s’cusez). Et aussi, les choix et décisions et changements imposés dans notre sobriété rend notre vie plus tolérable de ce qu’elle était au jour 1, ça c’est une promesse vraie. Mais reste, cet inconfort inévitable qui adviendra de façon ponctuelle, parce que la vie est ainsi faite, et cette absence du bouton Escape.

 

Donc l'alcoolique abstinent peut ne pas s'ennuyer de boire, mais de cet échappement, si élusif eusse t'il été jadis [Bescherelle].

Je ne m’ennuie pas de boire, mais il m’arrive, par moments, jamais longs, de regretter ce temps où je croyais au Père Noël, où je croyais en l’illusion des substances, le tapis volant des stupéfiants, pour flyer quelques heures dans un pays où y fait jamais mal. Grandir, maturer, débrosser, c’est d’admettre que cette place n’a jamais existé. Y a pas de lutins ni d’Avenue des Cannes de bonbons au Pôle Nord, mais que les ours Coca-Cola, amaigris et jaunis depuis le réchauffement climatique.

 


Je pense pas qu'on devrait avoir honte d'avouer ça, au contraire, il nous faut en parler, en toute honnêteté démaquillée.


Quand je buvais, j’avais la certitude que de l’autre côté de la bouteille m’attendait un confort, les bras et le chest de Morphée et Dionysos, que je chevauchais également les yeux fermés et le cœur grand ouvert à la menterie que je me racontais, dans la consommation. Raw-dogger la life, comme disent les anglais, c’est vivre comme Scarlett O’Hara après la guerre de Sécession (Autant en emporte le vent, la cassette 2 pour ceusses qui l’ont juste vu en VHS dans l’temps). J’entends par là que oui, l’héroïne est plus forte, plus capable, alerte, débrouillarde, en possession de ses moyens, mais elle y aura laissé peut-être une partie de son innocence d’étourdie, qu’à la moindre difficulté, c’était possible de se cacher la tête sous les couvertures jusqu’à ce que le danger, réel comme fictif, s’en aille.

 

Shout out aux personnes qui persévèrent en sobriété, même si je ne retournerais jamais en arrière, je travaille sur le deuil d’une personne plus vulnérable que j’étais, qui n’était pas dans la bonne direction et qui n’avait comme conviction que des illusions servies avec au rim, un citron ou bien une lime. Ça peut sembler paradoxal que les pas qu’on faisait pour avancer aveuglé, se faisaient plus assurés, mais aujourd’hui, cette vigilance pour laquelle on l’aura échangé, nous offre hélas que bien peu de certitudes, mais au moins celles de la santé, de l’intégrité, et une fois ces nuages temporaires chassés, une joie qui nous revient si puissante et tangible qu’on peut même la laminer.  


 

Mon livre, S'aimer ben paquetée est disponible en librairie et en ligne : ici.


Je serai de passage en dédicace au Salon du livre de Montréal, info ici et ci-dessous.


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