Tous les sobres apprennent à la connaître, la petite crisse de voix. Rémi Giguère, dans l’un de ses podcasts Wassobre où j’étais invitée, disait appeler la sienne « Voldemort ». Je ne sais pas si la mienne a un nom quand elle me vient, la petite crisse de voix, mais elle sonne comme Mad Dog Vachon quand il se fâche contre Pat Patterson… ou, pour une référence moins nichée et plus récente, comme le Hormone Monster, Maury, dans la série animée Big Mouth (Netflix). Tout ça pour dire qu’il y a quelque chose de très vivant au dedans de les dépendants (et ce n’est pas le souci de la syntaxe, apparemment), et que cette chose vivante, est cette petite crisse de voix, qu’il faut apprendre à taire, mais quand même savoir écouter…
Bon, si vous êtes nouveau sur ce blogue : Salut ! Bienvenue ! J’ai arrêté de consommer en mars 2020, et tous mes billets sur l’alcoolisme et la sobriété se retrouvent dans l’onglet Boisson. Si vous êtes un vieux de ma vieille écriture sporadique, bonjour aussi ! Vous savez que je ne chiale pas souvent sur la sobriété, je suis même assez vendue du concept, puisque ma vie sans consommer s’est retrouvée améliorée dans toutes les sphères possibles, avec moult cadeaux de l’univers et de floraisons d’esprit que je n’eussions jamais même espéré. En gros, c’est le fun, je trippe. Toutefois, je ne suis pas à l’épreuve des tentations. Elles sont tout autour. Je m’en sacre assez souvent; la sobriété est un choix clair dans ma tête. Je constate quand même comment ces pulsions reviennent hanter même le plus résolu des humbles génies de la dry life, de comment l’ombre d’une bâtisse de la SAQ croisée sur mon chemin peut encore réussir à m’émouvoir. Comme un cauchemar qui s’accroche aux jambes et qui grimpe pour vous rentrer dans le ventre, pour ne pas dire dans le trett' cul. Les tentations, elles sont souvent ailleurs qu’on les présumerait. Je postais récemment en Story, une captation d’une soirée arrosée avec des amis. Bien que ce fut un party sobre pour moi où j'étais la seule (pour la première fois de ma vie d'ancienne soûlonne dégénérée) à ne pas emmêler ma coupe de vin dans mes rallonges de cheveux, des réactions instamnes « Fais attention », qui me sont apparues, à quelques reprises, signifiant de ne pas te tenir trop avec du monde qui consomme, « tu peux flancher »... Certes, c’est vrai, mais dans mon cas :
Ce n’est pas en me trouvant dans ces scénarios de fêtes, de banquets, de brosses, de débauches où je me sens le désir d’en déboucher une et puis mille.
C’est dans des petits moments d’allures inoffensives, que cette voix dangereuse me vient. J’ai déjà parlé comment pour moi que ce sont les moments de frustrations, même bénignes, qui sont ceusses où les flashs de caler une bouteille au goulot en plein jour me viennent parfois, même encore aujourd’hui, et même en sachant les reconnaître. Ils naissent d’une incapacité pas encore tout à fait guérie à gérer l’inconfort de la colère, ou de cette faute d’avoir appris à gérer ces moments d’inconfort. Ce n’est pas à l’heure des joies et célébrations où la voix vient, c’est quand « ça va mal ». Mais on s’entend, quand on est sobre, ça va pas mal moins souvent mal, même que la vie est parfois plaisante en maudit, pour ne pas dire en tabarnaque d'esti.
Cette petite crisse de voix est un appel au sabotage. « Wow, de dire la petite voix. Ta journée ne s’est pas enlignée comme tu l’espérais, sais-tu quoi d’autre de surprenant que tu pourrais faire ? Boire ! Lol ! » Et quand j’entends ça, j’apprends à ne pas être déçue de moi, après tout, mon cerveau, ce vieux singe qui apprend encore à faire des grimaces, a eu plus de vingt ans à prendre ces chemins de pensées bien tapés. Les défaire, faire tomber la neige du temps sur ces pistes de ski-doo maudites n’est pas tâche facile; ça prend du temps, justement. J’apprends à me remercier alors, quand ça arrive, de noter et d’écouter cette voix, et de carnetiser « quand » cette pulsion spontanée advient.
Est-ce que je suis en train de m’améliorer ? Est-ce que j’ai peur du succès potentiel au bout de mon chemin ? Suis-je méfiante de mon propre progrès parce que ça feele différent de mes habituelles talles de décrépitude et de déréliction ?
Étais-je plus heureuse quand je frenchais des bums à pleine langue la yeule ouverte dans des tavernes l’après-midi en train de boire copieusement le loyer ? Alors pourquoi j’y cours, en pensées ? À un moment donné, il faut arrêter de se traiter comme une pastille d’urinoir en fin de vie. Et reconnaitre enfin que cette voix, elle ne veut pas notre bien, elle veut l’engourdissement immédiat, même si ça veut dire avoir dix fois plus mal plus tard.
S’assoir dans l’inconfort de l’incertitude est un défi humain monumental. On vit tous d’expédients en attendant notre prochain nanane : le prochain vendredi, la prochaine paye, les prochaines vacances, le prochain verre qui va « être le bon », le prochain chum, le prochain orgasme, le prochain clic. C’est la carotte au bout du goulot, pour certains d'entre nous. Et oui, c’est épeurant de rester debout à ne pas savoir « quand » on se sentira bien, quand on se sentira mieux. Mais, sacréfice, c’est la façon adulte de lui fermer la gueule, à cette petite crisse de voix. Mettre des culottes à nos neurones, et aller prendre une marche au lieu d’un verre, manger une pomme au lieu de sniffer une clé.
Quand vous la ré-entendrez, cette petite crisse de voix, prenez le temps de vous demander pourquoi elle survient ? Quel est le désir sous-jacent de cette audacieuse tentation ? Qu’est-ce qui vous préoccupe vraiment à ce moment-là ? Écoutez-vous, sans juger, sans mentir, car un problème nommé est un problème coupé de moitié.
Santé !