Le mois dernier, j'ai eu à faire de la recherche sur des organismes pour la prévention du suicide pour un article et, pour la première fois depuis longtemps, j'ai pu prendre le temps d'apprendre ce qui se fait maintenant comme intervention et soutien, pour ce problème aussi complexe que funestement encore populaire.
La mort, c'est pas juste Abe Simpson qui pointe Maggie d'un tremblement de voix affolé. La mort, est à la fois mystère inéluctable, fatalité retardée, et ce qui ajoute une plus-value à la vie (sans ça, pensons-y comme rien n'aurait de sens d'être deboute en ce bas monde), et en gros, un moteur de peur pour avancer, stagner, reculer, avancer encore. C'est la carte la plus pesante dans le jeu de tarot de notre conscience.
Se clancher, y penser, y rêvasser, c'est tabou. Il faut en parler, et on en parle, oui, beaucoup plus qu'il y a dix, quinze, quarante ans. C'est une avancée dans le bon sens.
Seulement, est-ce que la mort qu'on veut se donner doit être absolument empêchée ?
L'an dernier sur ce blogue, je faisais des comparaisons entre Soleil Vert et la législation canadienne à venir pour le programme MAID, d'aide médicale à mourir, qui serait dorénavant disponible aux personnes souffrant de dépendance.
J'imaginais macabrement comment démêler au triage quelqu'un qui consomme régulièrement se trouvant à plat en sevrage devant un docteur, et qu'on ne perdrait pas de temps dans les bureaux à déterminer si la personne toxicomane peut ou pourrait s'en sortir autrement que de signer son papier du médecin pour la mort. "Décrisse mon drogué, du balai ma soulonne !"
Ainsi on emprunte des mots comme 'dignité des derniers moments' en écho à ceusses qui sont en phase terminale, pour camoufler cette libération souhaitée des bancs de parc et dessous de ponts où les honteux personnages de la société nuisent au gentrifiage du paysage. C'est rof, sérieux.
Même là. Est-ce que c'est une décision personnelle ?
Dans La Presse en 2013, Andrée Yanacopoulo qui aura marqué les esprits de tous ceusses qui auront visionné le documentaire Deux épisodes dans la vie d'Hubert Aquin de Jacques Godbout, réalisé en 1979, revenait sur ce qui semblait être sur pellicule son apparent consentement, sa complicité en sorte, autour de l'acte du suicide longuement pensé de son conjoint, célèbre auteur.
En entrevue plus de trente ans plus tard, elle disait ceci : «Quand j'ai rencontré Hubert, j'étais encore une femme soumise. Je ne parlais pas beaucoup, j'étais timide. Hubert m'a appris à être vraiment moi-même, à trouver que les femmes étaient les égales des hommes. Il m'a construite en cela. Intellectuellement, je n'avais pas attendu, mais malgré tout, être au contact d'un esprit comme le sien, ça ne peut qu'être vivifiant. Mais à partir du jour où il a décidé qu'il allait se tuer, il m'a détruite.» Mais est-ce vraiment possible de sauver quelqu'un de lui-même ? «J'ai tout fait pour l'en empêcher. Et j'ai horreur de ça quand on dit qu'il s'est suicidé parce qu'il était déprimé. C'est faux. Hubert était déprimé de naissance, il me disait : «J'aurais préféré ne pas naître.» Est-ce qu'on peut appeler ça de la dépression ? Je ne suis pas d'accord.»
Est-ce qu'on est redevable de rester en vie en vie jusqu'à la toute fin ? À qui ? Nos enfants, notre famille, nos amis, notre boss, nos passagers de l'autobus voyageur qu'on dirige dans le fleuve la pédale au fond ?
Difficile de pas être mielleux suffocant quand vient le temps d'énumérer les raisons pour insister sur un•e proche ou nous-même de rester en vie...
Reste, je te jure tu vas payer moins d'impôts l'an prochain !
Reste, il faut savoir si quand on mourra tous en 2027, ce sera d'une guerre civile ou d'une catastrophe climatique !
Reste, ils vont faire OD à Chernobyl la saison prochaine !
Reste, il y a un recall sur 48 produits que tu utilises quotidiennement qui indiquent un bris dans les chaînes de production à grandeur mondiale dû à un manque de main d'œuvre qualifiée et de corporations qui réduflexent les portions et salaires mais augmentent leur bonus chaque trimestre !
Reste, ils ont euthanasié Peanut, l'écureuil domestique superstar du web à New York alors qu'il n'a jamais fait de mal à personne et ça rappelle que la joie est trucidée chaque fois qu'elle naît bercée d'espoir citoyen même dans des trends aussi anodins !
Je blagouille. Il y a les animaux, les levers de soleil, les arbres, pis une chiée d'affaires le fun. Mais tsé.
J'y ai pensé beaucoup. J'y ai pensé souvent. Même quand ~ça va bien~. J'y penserai encore probablement encore plein de fois au courant de ma longue et fructueuse vie ponctuée d'épreuves et de déceptions et de joies et de jambon.
Mais une des choses qui me ressaisit...
Bon, backstory. Mon père - qui est mort depuis treize ans (d'un cancer, rien de rare) est né en Italie en 1932. On avait beaucoup de choses pas en commun. Au niveau du parcours, mais pas tant différent au niveau de l'humour.
Bref, ti-gars en Italie, paf, Deuxième guerre mondiale dans ses premiers souvenirs de vie. La famine, la peur, la pauvreté. Toute. Pis après devenu grand, service militaire obligatoire, il s'est vanté d'avoir été qualifié d'indifférent à la discipline. Bref (bis), il finit ça, va rejoindre son frère à New York qui voulait réussir dans le showbiz (son frère a réussi à être acteur dans quelques films d'horreur de série B des années 1960), mais mon père c'était pas trop sa tasse de thé. Bref (the third) repogne le bateau, débarque cette fois-là à Québec en roulant ses R que le christ et avec huit piasses dans ses poches, et fait sa vie.
Entécas, comme beaucoup d'immigrants, mon père a roulé sa bosse de jobs en jobs, eu une première famille, une première femme, des enfants, une business de pneus usagés, un amour pour les cigarettes, sa chaîne en or et le brandy, pis, c'est autour de 55 ans que moi, nouvelle progéniture, je suis arrivée dans son décor.
Anyway, tout ça pour dire, que c'est le portrait d'un homme déraciné de son pays d'origine, qui a somme toute fait sa place, mais qui était extrêmement solitaire, avec un esprit encombré de la violence de son enfance, et de toutes les épreuves qu'il avait traversé depuis, souvent tu-seul, souvent dans sa deuxième langue.
Je ne sais pas pourquoi, une fois quand j'étais ado, le sujet du suicide était venu sur la table, un dimanche après-midi où j'étais garde-partagée chez lui.
"Si moi j'veux m'tuer, pérorais-je alors sûrement en tournant mon doigt dans mon unique dread (qui était juste une accumulation de cheveux longs pas peignés), ben-c'est-mon-droit !"
Le père, automatiquement, s'est mis à crier (un pléonasme car j'ai déjà mentionné qu'il était Italien). "Tu ne vas pas té touer !", qu'il hurle dans son appartement, la fumée de sa clope en long fil, imperturbée, comme habituée de l'entendre.
J'ai à peine le temps de rouler des yeux comme l'indolente puberte que je fus qu'il poursuit : "Tu ne dois jamais te tuer ! Tu dois tenir tête à tes ennemis !"
Je suis restée bête. Mes ennemis ? Mon père plisse les yeux et le petit cercle de braise s'illumine rouge aux commissures de ses lèvres sévères et sérieuses.
Si j'arrivais pas à voir de qui il parlait dans mon cas, dans son cas, il semblait clair qu'il avait une liste.
Cet homme, que j'ai vu chaque dimanche de mon enfance lire les avis de décès du journal et se moquer des défunts plus jeunes que lui. Se moquer de La Mort, en fait, qui n'avait toujours pas réussi à l'attraper. Cette faucheuse dite grande, elle lui occupait l'esprit plus souvent qu'il n'y paraissait.
Ce père, qui peut-être n'avait pas eu la carrière, l'abondance, le succès que jeune il aurait espéré. Je n'ai jamais osé lui posé la question à savoir s'il avait jamais pensé au suicide. Le fait de rester en vie par dépit à 'ses ennemis' était sans équivoque.
Avoir une réponse toute prête, dans laquelle se cache bien plus que de la facétie ou du front, mais un irascible désir de se tenir debout face aux démons, aux épreuves, c'était la réponse la plus parfaitement absurde, pour mon questionnement d'une existence qui l'est souvent, toujours autant.
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