« T’es pu comme avant ! » lancent parfois des diablotins à la figure de des ceusses ayant effectué une tangente tant dans la sobriété, que dans une série de choix plus matures ou équilibrés pour eux-mêmes...
Certes l’intonation pouvant se faire à certaines de ces instances accusatrice n’empêche pas que la réplique contient une essence de vérité : comme avant, nous ne sommes plus. Nous sommes à un temps différent, le maintenant, et nous avons été démasqué de notre id n'étant désormais plus conforme à celui du passé. Dans le passé, je t’aimais, je t’appréciais, je secondais tes décisions, tes humeurs, mais dans le présent, c’est un nouveau formulaire qu’il nous intime de remplir, car… tu (toi) n’est plus (no compute) comme avant (nostalgie rose confortable et usuelle), en bref, toi être un intrus, étranger, risquant de ne plus partager les caractéristiques nécessaires pour faire favorablement partie de l’alliance commune qui nous unit. Ça fait peur, han ?
C’est – dans mon cœur trop tendre et trop sensible - une phrase à proscrire que j’irais même jusqu’à dire, quand vous souhaitez vous faire encourageant face au progrès qui peut (hélas ou hourra) apparaître inquiétant de quelqu’un près de nous qui travaille vers une meilleure voie. Il est à noter qu’en cas contraire, quand votre comparse est en situation de déchéance sociale, déchirant ses méritas accrochés au mur de chambre pour les rouler en paille pour sniffer de la pinotte écrasée, le « T’es pu comme avant » envoiera alors un signal d’alarme imminent, et sous-jacera du « Es-tu correcte ? », « Qu’est-ce qui t’arrive, que se passe t’il dans ta vie présentement ? ». Mais, pour le bien de cet article qui demeurera dans l’ombre de l’internet, concentrons-nous (on pourrait se dire tu tellement on est seuls ici) sur le « t’es pu comme avant » que l’on reçoit quand on a fermé le robinet de la débauche, de la grande fête, du dawa (shout-out au vernaculaire des corridors de polyvalente du début des années 2000).
J’aurai quarante ans dans moins de trois ans. Et je suis sobre d’alcool et de drogues depuis quatre ans et demi.
Encore à ce jour, je reçois parfois des phrases de type « T’en souviens-tu quand 1) t’as lancé ta brassière au chanteur/serveur/brigadier/briqueleur/sommelier ? 2) t’as déboulé les marches du bloc/sur une plaque de glace en face du bar en talons hauts/en bas de tel lit ? 3) t’as vomi au coin de Saint-Vallier et Ste-Hélène/St-Jean et Honoré-Mercier/Saint-Joseph et Du Pont ? » On pourrait en conclure sans trop de calculs écrits que je fus une fêtarde colorée de délurage et on n’aurait pas tort. Mais, aussi, ça finit à la longue par me faire l’effet semblable à un vieux chanteur de charmes à qui on demande et exige de rejouer la même chanson.
Et de me voir, lasse, pareille à un sexagénaire en pantalon de cuir, rouler des yeux et entamer genre Suite Madame Blue en maugréant que j’ai des albums plus récents qui reflètent assurément qui je suis devenue mais qui n’ont pas marqué autant les esprits que ces moments et éclats de vie réalisés sous l’influence de la drogue et l’alcool, et où j'étais plus jeune parfois d’une bonne décennie. Et s'imaginer le public crier Chouuuuu ! Joue des tounes qu'on connaît !... Il est à noter que je lance encore ma brassière, mais désormais dans le confort de chez moi après un petit yoga ou petite marche de santé au lieu d’en la direction d’honnêtes travailleurs après quelques tequilas.
Tout ça pour dire que, j’ai la certitude d’avoir fait du chemin depuis. Et ce chemin, je le remarque chez les autres aussi, sobriété ou non. Ça fait partie de vieillir ou murir.
Mais il me chatouille à l’esprit de vouloir gratter l’intention derrière une telle phrase, quand on la vocalisera à un ancien drogué, une ancienne alcoolique, des anciens fêtards qui se sont donnés eux-mêmes leur last call et qui ont fait le lourd travail continu de passer à autre chose.
De ma position, avec certainement une perspective subjective, je ne m’imaginerais simplement pas dire « T’es pu comme avant » à quelqu’un dont la somme des activités ensemble se serait résumée à faire des clés de poudre cachés sur et sous les comptoirs des établissements publiques nocturnes.
Life goes on. La vie chante. L’essentiel c’est d’être aimée. Do you believe in life after love ? Ce sont là des paroles de chanson, je m’égare…
Sur plusieurs pages de sobriété comme Apéro à zéro, Sober Babes, Le Sober Club, je vois passer des memes de rétablissement de type « mon vendredi soir avant » et là on voit un raveur tout émoustillé en pleine partouze et lightsticks et « mon vendredi soir maintenant » avec un personnage au lit avec sa tablette et une tasse de thé entouré de chats rescapés. Je vois ces mêmes memes (« mêmes memes », quand même !) sur les pages démontrant la différence entre la vingtaine et la trentaine. Un assagissement. Nécessaire. Naturel. Après tout, on ne veut pas être la dernière personne à quitter le party.
On n’est pas pareille comme avant à partir du moment où on décide de se choisir chaque maudit matin. Et pis qu’on se prend soin jusqu’à chaque maudit soir. En dépendante, on part de loin. (D’une fois à l’autre, j’accorde au masculin ou féminin, il faut comprendre que tout le monde est inclus et que j’ignore où se trouve le point médian sur mon clavier.)
Des fois, je pense à Courtney Love quand elle avait fini par se peigner les cheveux pour assister aux Oscars en 1997, elle avait joué dans quelques films notables dont un où elle avait été nominée, et s’affichait dans des robes de haute couture avec pas de trous dedans. On la traitait de sell out dans les coins, ce n’était plus la kinderwhore riot grrrl grande dame du grunge qui pisse dans les amplis et qui boit dans vos pichets. On en a voulu à James Hetfield d’avoir arrêté de boire parce que les albums de Metallica ne sonnaient pu pareils (je viens vraiment de Beauport parce que l’exemple de Metallica est mentionné dans comme 12% de mes textes sur ce blogue). Ça revient à How dare you change the caricature we got accustomed to ? Comment oses-tu enlever ton bonnet de bouffonne ?
J’applaudis l’audace de ceusses ayant choisi la tranquillité, qui sont sortis du manège du chaos quand ça ne faisait plus leur affaire.
Car si sous les dehors plein de bonhommie des party animals qui mettent la vie dans les soirées où tout semble n'être qu'une belle grosse fête déculpabilisée, il existe aussi cette même personne quelques heures ou quelques jours plus tard, quand la balloune dégonfle enfin et qu’ils n’ont plus à performer cette dangereuse et essoufflante danse des abus. Il ne reste alors que cette mortelle solitude, cette implacable souffrance et isolement dans la consommation, et c’est la source ou la raison, en fait, que plusieurs bifurquent de cette vie pour s’en éloigner le plus possible, et laisser aux fantômes cette détresse invisible, et entre les deux mondes une distance d'hors de portée, d'au plus loin que les plus sinueuses de ces mains qui ont eu faim de notre mort, quelque part dans le temps d’avant.
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