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Photo du rédacteurCristina Moscini

Tu peux pas défaire ce que t’as faite en boisson

Dernière mise à jour : 23 mai



Un meme, sur la page de @drop_the_bottle_. C’est anodin, han ? On pense pas que c’est les petites choses qui vont nous faire réagir autant.


Mais l’affirmation, en tant que telle, me roulait dans bouche comme de la viande avariée. Et les commentaires banalisants ont juste lancé le botch de Player’s Light sur la flaque de gaz qui s’épandait de ma vieille âme tuméfiée.

« If you did it when you were drunk, you wanted to do it sober », qu’il est écrit, et en dessous (c’est là où est la joke du meme), « I’m pretty sure I didn’t want to sleep outside in a wheelbarrow all night but alright. »

Et dans les commentaires, ça rigole par centaines. On y va d’accidents personnels, de choses gênantes qui sont arrivées en boisson, on tourne au comique cette dissociation encouragée entre « soûl » et « pas soûl ».


Pourtant, je ne vois que le danger d’incorporer ce genre de rhétorique à son discours. Mon premier red flag est que ça banalise les agressions sexuelles. « Voyons, j’étais soûl ». « Toi, avais-tu bu ? ». « Es-tu sûr.e de t’en rappeler comme ‘faut ? » « Tu vas pas gâcher la vie de quelqu’un qui a voulu un peu trop faire le party ? » Ce sont toutes des phrases épouvantables, qu’on a lu dans les rapports de procès, (quand ça se rend jusque là), ou qu’on a entendu répété à nous, malheureusement.


Et ça me choque. Ça me met, en beau fusil. Non, ça me met en tabarnaque de furie. Ça me décrisse tellement le manque d’imputabilité dans notre système, que j’ai chialé une fois jusque dans un article du Devoir*, qui traitait justement, du lien énoncé entre les substances utilisées par des agresseurs, au moment de leur crime. Le journaliste avait alors pris quelques unes de mes citations, alors que j’étais fleuve de lave fâchée. En outre, il aurait pu être dit aussi dans ce que je pensais, qu’utiliser l’excuse du « J’étais soûl » serait de la diffamation pour les alcooliques.


Ainsi, un ivrogne peut passer cinquante ans de sa vie à se soûler sans planter sa graine de force dans les orifices des autres. Si tu te fais violer, ce sera pas Molson ou Labatt qu'y faudra crisser au cachot.

Et cette boisson à double tranchant : Quand vous êtes l’agresseur, elle vous excuse, quand vous êtes la victime, elle vous condamne ! Y a tu juste moi que ça fait tilter ?

Dans ma vie, j’ai bu en saint-ciboire, j’ai bu à tous les degrés. Et je me connaissais le comportement; j’avais honte régulièrement des niaiseries que j’ai dites, des amis que j’ai choké, des brigants que j’ai choisi de frencher. Et toutes ces fois, pourtant, j’étais seule capitaine au gouvernail de mes galères. J’ai aussi été droguée sans mon consentement, trois fois. Réparti sur plusieurs années, par des personnes et dans des lieux différents. Z’allez me dire, avec la vie que je menais, trois fois en vingt ans de brosses quasi-quotidiennes, c’est pas pire pantoute ! À quoi on remarque s’être fait drogué.e, qu’on pourrait demander ? Une totale déroute, des pertes de conscience sévères, une confusion qui s’étend au-delà du lendemain, des vomissements différents de nos renvou’ habituels de soûlonne pépère, un corps malade et anormal dans son état, même quand l’autodestruction y était régulière. Sur une de ces trois fois-là, j’ai aussi pu expériencer d’être violée.


Nous vivons dans une ère où les Brock Turner de ce monde pognent six mois de prison même en se faisant prendre sur le fait de violer une personne inconsciente, dehors, par deux témoins. Nous sommes dans une ère où les Julien Lacroix pleurent la pénitence de l’ombrage apporté à leur carrière, alors que les accusations de viols volaient, et qu’il n’avait même pas encore trente ans. Nous vivons dans une société ou les Gilbert Rozon poursuivent leurs victimes en cour, où les Bill Cosby sont libérés même après les dénonciations de plus de soixante victimes, et reçoivent des amendes minimes, où le choix de la petite bobette, le nombre de bières avalées, le nombre de partenaires sexuels précédents, le domaine de notre carrière est passé au peigne fin avant de penser à sentencer quelqu’un qui s’est introduit dans vous, sans permission. Le corps des victimes est une propriété bien rarement assurable ou protégeable, par la loi ou sur la place publique.


Pour chaque #MeToo, où j’ai applaudi chaque victime d’être allée de l’avant avec la dénonciation de ce qu’elle a vécu et doit traîner au cœur comme un boulet de plomb et de marde, je pense à… Ils sont où, ces estis-là ? Pour chaque victime qui prend la voix, y a un bourreau qui se tait. Et je me demande si ces câlices de raclures se taisent par plaisance, dans l’illusion et la sécurité que rien ne leur arrivera, où s’ils vivent terrifiés, dans un silence angoissé, perdant cheveu par cheveu, pour chacune des esties de menteries qu’ils auront conté. Merci de comprendre que l'accord il/elle suit victime/bourreau dans le texte-ci, mais que ça inclut toute violence sexuelle sur tout genre subit.


M’a vous dire, se réveiller habillée du haut et nue à partir des hanches, pendant qu’un minable a tourné votre corps inanimé de côté pour vous molester, ça glace le sang. Et y a des jours, même après toutes ces années, que je ne sais pas quoi faire avec ça. J’ai, comme bien du monde, une profonde méfiance en le système de justice actuel, qui journalièrement fait acte de desservice aux plaignants. Où le contexte de party seulement, où la mention d’alcool serait le chant du cygne pour tout espoir de condamnation, ou même de considération. Je sais pas si j’arriverai un jour à me guérir de mon cynisme, je me le souhaite, j’y travaille.


Mais bon, alors non, vous ne me verrez pas être grand’ troubadour du retour de des ceusses accusés d’agressions. Si tu l’as faite pendant que t’étais pompette, je te souhaite de continuer d’être pompette en prison. Ou, soyons plus dramatique, c’est un blogue littéraire après tout, en Enfer. Brûlez, mes crisses de chiens pas de médaille. Pis que je vous vois jamais badmouther la boisson en vous servant d’elle comme excuse. J’ai beau prêcher la sobriété, je ne tolèrerai pas qu’on parle en mal de l’alcool de cette façon-là.


Ni aujourd’hui, ni jama’.


Incroyable qu’une page de memes de sobriété m’ait reviré dans mes bas de même. Résolument, la sobriété continue d’en faire apprendre sur soi. C’est peut-être ça, la bonne nouvelle.



 


Avez-vous des ouvrages de référence sur le système judiciaire à recommander ?


Des cas, comme ceux plus récemment mentionnés dans les médias, ou l’alcool et les agressions ont été mis en lien ? Merci !


*Lien Article du Devoir sur les agressions : ici.

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